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Les brigades internationales contre Daech - Syrie

Mars 2015, à la frontière nord de la Syrie, à 150 kilomètres à l’est de Kobané. William (au premier plan) se rend régulièrement sur ce poste avancé de la ligne de front. Blessé à la hanche en janvier lors d’un entraînement, il s’occupe pour l’instant du ravitaillement.
Mars 2015, à la frontière nord de la Syrie, à 150 kilomètres à l’est de Kobané. William (au premier plan) se rend régulièrement sur ce poste avancé de la ligne de front. Blessé à la hanche en janvier lors d’un entraînement, il s’occupe pour l’instant du ravitaillement. © Véronique de Viguerie
De notre envoyée spéciale Manon Quérouil-Bruneel

En Syrie, des Français, des Américains, des Allemands s’engagent pour lutter contre l’Etat Islamique.

Même dans la guerre, le soldat William conserve ses bonnes manières. Alors que Josh, le sniper américain, fait le show en dégainant une fourchette – « la seule dans toute la province de Rojava », clame-t-il –, William accomplit la prouesse de manger élégamment avec les mains, poussant le ­raffinement jusqu’à s’essuyer d’un mouchoir plutôt que d’un revers de treillis. Rare Français à se battre au sein des unités de protection du peuple (YPG ), les milices kurdes syriennes, l’homme récuse tous les clichés. Ni montagne de muscles, ni ­barbouze, ni paumé. Juste un type normal, à la tête d’une agence de communication, qui, un beau matin, décide de prendre une année sabbatique pour s’en aller combattre l’Etat islamique. A l’origine de cet engagement, le sentiment d’un immense gâchis laissé par les guerres d’Irak et d’Afghanistan : « Des millions de dollars et tant de vies perdus pour que le mal triomphe ! Je ne pouvais pas rester les bras croisés », dit-il. Depuis la chute de Mossoul , en juin 2014, le Français s’avoue obsédé par l’avancée­ sanglante des djihadistes. Il visionne tout ce qu’il peut trouver sur les horreurs de Daech, puisant dans l’insoutenable de quoi forger sa détermination. L’homme se dit également ­soucieux de rétablir un semblant d’équilibre : « Il y a plus d’un millier de Français avec Daech. Je veux dire qu’ils ne représentent ni la France ni ses valeurs. On ne laissera pas ces ­barbares agir en toute impunité. »

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Déterminé mais pas tête brûlée, William a ­préparé son départ pendant plusieurs semaines. Sur la Toile, il ouvre la page Facebook des « Lions de Rojava », du nom d’un territoire kurde auto-­administré, regroupant trois cantons. Plus de 70 000 abonnés et un message d’accueil limpide : « Envoyez les terroristes en enfer et sauvez l’humanité. » William répond au questionnaire sommaire en ligne : « Avez-vous un passé criminel ? Etes-vous recherché dans votre pays ? » L’attentat du 7 janvier balaie ses dernières réticences. William est chez ses parents, à 300 mètres des locaux de « Charlie Hebdo », quand résonnent les coups de feu. « Là, je me suis dit : ils ont buté douze personnes en plein Paris, il faut y aller. » A 45 ans, il n’a jamais mis les pieds au Moyen-Orient. Encore moins dans une zone de guerre, qu’il rejoint pourtant avec une facilité déconcertante. Un vol commercial de Paris à Sulimaniya, au Kurdistan irakien, puis le passage clandestin de la frontière syrienne, la nuit, à bord d’un petit Zodiac qui enjambe les eaux boueuses du Tigre. Dans un paysage de derricks aux bras figés, au milieu de troupeaux de moutons, se cache une académie militaire où il est formé en quinze petits jours. Il y a plus de vingt ans qu’il a fait son « service », mais, rigole-t-il, « les armes, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas ». En revanche, il ne suit pas le cours proposé aux étrangers, « Histoire et lutte du peuple kurde ». « Trop idéologique, explique-t-il. Mon combat, c’est l’Etat islamique, pas la révolution kurde ou le marxisme. » William ajoute, lucide : « Nous sommes des alliés de circonstance. Les Kurdes le savent bien. »

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William: "Le jour de l’attentat à “Charlie Hebdo”, je me suis dit : il faut y aller"

Les utopistes, anarchistes ou militants d’extrême gauche ne sont pas légion parmi les recrues étrangères des factions kurdes. On y trouve majoritairement des vétérans de l’Irak et de ­l’Afghanistan, comme Josh : « Daech, c’est une métastase d’Al-Qaïda. Maintenant, il faut éradiquer pour de bon le cancer ­djihadiste. » Dragos, 18 ans, corps de colosse surmonté d’un visage de poupon, opine du bonnet en bichonnant sa kalachnikov roumaine, comme lui. Le lycéen a cassé sa tirelire avant de passer son bac, a pris le bus pour Munich et, de là, s’est envolé pour le Kurdistan irakien, histoire d’« éprouver la joie d’au moins en tuer un ». Comme William, il a suivi la formation militaire. « Complètement inutile : j’ai appris à 14 ans à démonter un PKM », frime le gamin, pressé d’en découdre pour honorer la promesse faite à sa mère de rentrer pour Noël. Josh, lui, se dit prêt à rester « six mois ou six ans », le temps nécessaire. Il n’est pas un mercenaire : « Je suis un combattant de la liberté, pas un chien de guerre qui touche son chèque à la fin du mois. »

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Sur la ligne de front, Josh (à g.), un Américain arrivé en septembre, et William (à dr.) autour d’un combattant kurde qui tente de repérer, à la jumelle, les snipers de Daech.
Sur la ligne de front, Josh (à g.), un Américain arrivé en septembre, et William (à dr.) autour d’un combattant kurde qui tente de repérer, à la jumelle, les snipers de Daech. © Véronique de Viguerie

Moins connu pour ses faits d’armes que pour sa participation à un programme de télé-réalité (survivre nu sur une île déserte), l’ancien marine de 28 ans reconnaît quelques errances, mais affirme avoir trouvé sa voie dans ce monde binaire et ­rassurant des « good guys » contre les « bad guys ». « Cet endroit est ma maison, ce peuple, ma famille, ce combat, celui pour l’humanité tout entière », récite-t-il, la main sur le cœur, lyrique comme on sait l’être au Kurdistan. Quelques bémols, cependant : la nourriture, « dégueulasse », et la logistique, « un cauchemar ». « Oublie ce que tu sais sur les armées occidentales… Ici, c’est la grande débrouille. » William confirme : « On n’a pas d’armes lourdes et on se bat à un contre huit. Quand on est une dizaine à tenir une position et qu’ils déboulent à cent, on recule et on manœuvre le lendemain… » Depuis la base de Tell Halaf, dans le canton de Ciziré, le ruban de bitume file tout droit vers Kobané, autre enclave kurde. Entre les deux, des milliers de djihadistes. Les unités de protection du peuple se battent kilomètre par kilomètre pour créer un corridor et unifier le Rojava, leur territoire autonome.

Josh affirme avoir trouvé sa voie dans ce monde binaire des "good guys" contre les "bad guys"

Dans cet affrontement acharné, les combattants étrangers ont aussi payé leur tribut. Le 20 mars, au milieu des célébrations de Newroz, le nouvel an kurde, le YPG a rendu un vibrant hommage aux premières victimes occidentales : ­l’Anglais Konstandinos Erik Scurfield, l’Australien Ashley Johnson et l’Allemande Ivana Hoffmann, tombés en héros sous les balles des islamistes. Ces martyrs médiatisés auraient suscité de nouvelles vocations en Europe, portant le nombre ­d’engagés occidentaux à environ 150. Une goutte d’eau, au regard des 16 000 étrangers ayant rejoint Daech, mais un symbole et un espoir pour les Kurdes qui désespèrent du soutien de la coalition internationale : « Bien sûr, nous préférerions des armes, mais nous espérons que leur présence encouragera leurs pays à soutenir notre lutte », dit sans ambages Redur Khalil, le porte-parole des YPG. « Nous essayons de ne pas les envoyer sur le front, mais la plupart insistent. Ils viennent de loin, ils veulent faire la guerre, la vraie », s’excuse-t-il. S’il se défend de chercher à recruter hors des frontières, d’autres s’en chargent, et même fort bien. Comme Jordan Matson, « le Brad Pitt du Kurdistan », devenu le porte-drapeau photogénique de la cause. Blessé par un tir de mortier dès le lendemain de son arrivée, l’ex-marine a passé sa convalescence à alimenter le site des « Lions de Rojava » et à répondre au flot d’aspirants combattants. De retour sur le front, il se défend de livrer une lutte millénariste. Mais il ne renie rien de sa fructueuse stratégie de communication : « Je devais parler de notre combat. La plupart de mes ­compatriotes pensent que la Syrie n’est qu’un ramassis de ­terroristes. Nous avons besoin de tout le soutien ­disponible. »

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Même déchaussés dans le salon, William (à g.) et Josh ne se séparent pas de leurs armes. Au mur, des photos de dirigeants kurdes.
Même déchaussés dans le salon, William (à g.) et Josh ne se séparent pas de leurs armes. Au mur, des photos de dirigeants kurdes. © Véronique de Viguerie

Sur le terrain, certains auraient cependant tendance à penser que cette internationale de l’anti-djihad est à double tranchant : « Ça attire beaucoup de cons qui souhaitent juste “updater” leur profil Facebook avec des photos de guerre et qui foutent le camp à la première bombe », grogne Brian, vétéran de la première guerre du Golfe. Il s’agace de voir la Syrie transformée en « camp de vacances » pour Occidentaux en mal de sensations fortes. Un autre combat se joue, celui des puristes contre les « touristes ». Si Redur Khalil reconnaît que son organisation a parfois dû prendre en charge des billets retour en express, la question des défections n’est pas, à l’évidence, son sujet de prédilection. Pourtant, une quarantaine de combattants auraient déjà tourné les talons. Certains considéraient qu’ils étaient sous-exploités, tels ces deux snipers anglo-saxons qui ont récemment quitté la base parce qu’ils estimaient ne pas pouvoir transmettre leur expérience à des Kurdes jaloux de leurs prérogatives. D’autres encore ont été poussés vers la sortie, comme ce Britannique qui volait les affaires ou cet Allemand qui a perdu son arme et ses bottes le premier jour. Quelques divas, aussi, qui exigeaient leur propre véhicule ou des armes dernier cri.

« Les Kurdes disent : “Nous n’avons d’amis que les ­montagnes.” Ces types nous font du tort », philosophe Hans, un solide Allemand qui précise avoir sacrifié – dans l’ordre – son travail de manager dans un bowling, sa maison, son chien et sa compagne, pour se retrouver à « chier dans un trou ». Mais ce trentenaire, « fait de cicatrices » comme il le revendique en lettres tatouées sur sa large nuque, dit s’être enfin trouvé. Pour William le Français, au contraire, cette guerre n’a rien d’une réalisation personnelle et tout d’un sacerdoce. Le bouge qui lui sert de chambre n’a aucun charme, et il a peu en commun avec ses frères d’armes biberonnés à la testostérone. Il n’ambitionne pas de mourir en héros à des milliers de kilomètres de chez lui, mais considère son engagement comme un devoir, celui de tous les Français « célibataires et vaillants ». « Venez me rejoindre ! Ce combat, c’est aussi le nôtre. » Et tant pis s’il trouve parfois le temps un peu long, confiné à la base à cause des risques d’attentats, à boire des litres de thé quand il rêverait d’un bon whiskey.

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