« Petit maire » tweete sa vie d’élu, et au village, personne ne le sait
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Sur son compte Twitter, ce maire raconte anonymement son quotidien à la tête d’une très petite commune : les tâches parfois ingrates, les confidences qu’on lui glisse à l’oreille, les bisbilles entre voisins. Reportage.
On ne vous donnera pas son nom, ainsi que certains détails qui pourraient vous amener à l’identifier, curieux comme vous êtes. « Petit maire » (c’est son surnom), 40 ans, est le premier magistrat d’une minuscule commune où vivent moins de 100 habitants. Elle est située – restons tout à fait vague – dans l’est de la France, entre Metz et Manosque.
Ceux qui reconnaîtront sur les photos le relief du paysage ou la façade en crépi de la mairie sont priés de rester discrets, merci. Pardonnez-nous ces précautions : Petit maire tient un compte Twitter anonyme et, sur ses terres, il gazouille incognito. Voilà plus d’un an qu’il raconte quasiment tous les jours sa mandature, ses tracas, qu’il documente en images sa vie d’élu, qu’il retranscrit des bribes de conversations ou rapporte de délicieuses anecdotes.
Un formidable témoignage vivant du quotidien d’un maire d’une commune rurale.
En 2014, le précédent maire s’en est allé après 25 ans de port d’écharpe, et le « twittos » anonyme n’était pas vraiment chaud pour se porter candidat. Petit maire, qui est aussi travailleur indépendant dans la communication, a d’abord été conseiller municipal en 2001, puis adjoint en 2008, avant de devenir édile en mars dernier.
« Au début, l’ancien maire passait à chaque permanence », se souvient Petit maire.
« Il m’avait dit “Le maire doit être au courant de tout” : tu bricolais dehors, il venait te voir... Ça doit lui manquer. »
Trois poêles à bois, un fauteuil roulant
Les premiers jours de son mandat, le nouveau maire s’est retrouvé dans une mairie fossilisée, avec des placards bourrés de papiers, de la documentation presque aussi vieille que lui. « Un cadastre de 1900 pourrissait au fond du grenier », se souvient l’édile qui a commencé par ranger, nettoyer et faire du tri dans les archives.
Il a trouvé des merveilles, sous la poussière : trois poêles, un fauteuil roulant en bois ou du matériel pédagogique appartenant à l’ancienne école que la mairie a donné à un musée.
Petit maire et la nouvelle secrétaire de mairie ont aussi réaménagé la salle principale où se trouve la table ovale du conseil municipal. Le bureau de cette dernière a été replacé face à l’entrée. Monsieur le maire n’en a pas : quand il vient pour la permanence publique, le lundi de 9 heures à 16 heures, il s’installe sur un coin du bureau, à côté d’elle.
Dématérialisation oblige, la mairie a également investi dans un nouvel ordinateur, une imprimante et un scanner.
Au village, personne ne tweete
Petit maire explique avoir ouvert un compte Twitter pour témoigner du rôle d’un élu dans une commune rurale, justifier le côté « homme à tout faire » inhérent à la fonction :
« On peut être maire cinq fois dix minutes dans la journée, l’immédiateté de Twitter colle bien à ce rythme-là. »
Quand il se pose une question, qu’il termine une conversation intéressante, qu’il sort de réunion, il partage ces moments avec ses 808 abonnés Twitter – c’est devenu un « automatisme ». Si bien qu’en préparant les conseils municipaux, Petit maire relit ses gazouillis pour se remémorer les semaines passées (il a en a écrit, à l’heure où nous écrivons cet article, 901).
A sa connaissance, aucun de ses administrés (hormis sa femme) n’est au courant. A sa connaissance (et ça aide), personne ne tweete au village.
Quand Petit maire prend des photos (discrètement, la plupart du temps), il est précautionneux et prend garde à ne laisser aucun indice, comme un logo sur un dossier ou une localité sur un camion de pompiers.
Un fin limier de Rue89 a eu beau chercher une heure, il n’a pu localiser que le département de Petit maire. Mais un internaute qui a mené sa petite enquête a découvert le nom de la commune et l’a fait savoir par e-mail, sur la boîte de la mairie. C’est la secrétaire qui a ouvert le message, elle n’était pas au courant de la « double vie » de son maire :
« Elle n’y a pas cru et me l’a fait suivre avant de partir en vacances. Ça m’a mis mal, alors je lui ai tout expliqué quand elle est rentrée. Elle est ensuite allée voir le compte pour savoir si ce que je disais était correct, et m’a dit qu’elle avait trouvé ça bien. »
« Il m’a demandé de garder le secret », relate la secrétaire de mairie de 38 ans, qui n’a consulté le compte que « deux ou trois fois ». Monsieur le maire parle souvent de sa « confidente » sur Twitter, en bien :
Elle dit de lui qu’il est un maire actif et « impliqué ». Le conseil municipal a deux projets principaux, pour l’instant : des travaux de rénovation de l’église et l’achat d’une table d’orientation pour le belvédère.
« Tu es le porte-tweets du monde rural »
Quand on discute du compte Twitter, attablé à sa cantine – le resto du village voisin –, Petit maire baisse un peu la voix :
« Je relate le quotidien d’un élu. Je ne veux froisser personne, ce n’est pas le but. »
S’il a choisi l’anonymat, c’est parce qu’il veut mettre en avant son rôle et parce que ce qu’il raconte pourrait avoir pour décor une toute autre petite commune rurale. Une de ses amies lui a donné un surnom qui lui plaît bien :
« Tu es le porte-tweets du monde rural. »
L’Assemblée nationale vient d’adopter un texte qui encourage la fusion des communes pour diminuer leur nombre (il y a environ 3 500 villages de moins de 100 habitants en France). Avant d’entamer son mandat, Petit maire était plutôt pour le regroupement. Depuis qu’il est en fonction, il penche plutôt contre :
« C’est important pour les gens d’avoir un référent et ils ont besoin de cette proximité, de sentir qu’on s’occupe d’eux. On risque de perdre l’élu qui est le mieux vu. »
« Vous allez finir par vous aimer ? »
En plus des dizaines de réunions, le petit maire, qui touche une indemnité de 580 euros net par mois, est souvent celui qu’on appelle (son 06 est noté sur le panneau d’affichage de la mairie). La mairie l’occupe l’équivalent d’un tiers -temps.
Il a parfois un rôle de diplomate :
Voire de « Pascal, le grand frère » :
Et puis il arrive que Petit maire ait envie de piquer une réplique aux Inconnus. Il mime le sketch de « Jésus II » :
« Vous allez finir par vous aimer les uns les autres, bordel de merde ? »
Service public et proximité
Une partie des terres de la petite commune est en hauteur : sur un promontoire s’élève un château qui appartient à un Américain. A ses côtés, l’église et un cimetière, tous deux partagés avec le village d’à côté, 40 habitants.
La commune de Petit maire est en fait composée de plusieurs hameaux et formait autrefois deux villages distincts qui ont fusionné en 1973. L’une des deux mairies a depuis été transformée en logement communal.
« On est dans quelle communauté de communes ? », lui a demandé fin mars dernier l’un de ses administrés. « Il n’arrivait même pas à citer le nom de la nôtre », se désole l’édile.
« Les habitants n’ont pas de liens avec la “com-com”, c’est complètement abstrait, alors qu’ils font des choses. »
Dans la communauté de communes de Petit maire, 80% des villages qui la composent comptent moins de 200 habitants. C’est un territoire rural, de petite montagne. « Avec 46 conseillers communautaires, c’est compliqué de discuter et difficile de laisser la place à la démocratie », soulève l’édile, conseiller communautaire et membre de la commission Tourisme, Culture et Communication.
« Tout est fait pour que tu n’aies pas envie de pousser le débat. »
Dans la loi de la nouvelle réforme territoriale, les députés ont rétabli un seuil minimal de 20 000 habitants par intercommunalité, sauf dérogations. Ça inquiète Petit maire : que va devenir sa « com-com », qui regroupe déjà 7 000 têtes ?
« On veut supprimer les communes et faire des “com-com” immenses, en perdant ainsi de la proximité et de l’efficacité. On va perdre du service public et découper à la quantité alors qu’il faut avoir une logique de territoire. »
Petit maire a découvert récemment que son arrière-grand-père, un agriculteur, était lui aussi maire de campagne. Ce que son arrière-grand-mère lui disait de sa fonction l’a marqué :
