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La Chinafrique accro à la kétamine

La Chine est devenue le premier exportateur mondial de drogues de synthèse. Hong Kong joue le rôle de plaque tournante avec l’Afrique.

Publié le 13 avril 2015 à 14h04, modifié le 19 août 2019 à 12h51 Temps de Lecture 5 min.

Saisie de méthamphétamine en décembre 2013.

Entre triades chinoises et mafias africaines, les affaires vont bon train. Les ruelles du quartier de Sanlitun, dans l’est de Pékin, abritent aussi bien des boutiques de luxe que des bars crasseux. Dans les ruelles sombres, entre les vendeurs de cigarettes à la sauvette et les CD contrefaits, les dealers font le gué. La plupart viennent du Nigeria. Un signe de la tête et on vous donne rendez-vous loin des néons pour vous proposer le plus souvent des méthamphétamines. Des drogues de synthèse aussi puissantes d’addictives.

Alex a débarqué d’Abuja il y a cinq ans. Il connaît Sanlitun comme sa poche et vend des cristaux de bingdu (littéralement : « drogue de glace ») pour moins de 1 euro la dose. « C’est une drogue que beaucoup de jeunes consomment de façon récréative, explique Zhang Yongan, directeur du centre antidrogue de l’université de Shanghai. On prend du bingdu entre amis. Rien à voir avec l’héroïne, qui reste une drogue de marginaux, venus souvent des campagnes. »

Pour ce jeune Nigérian, les affaires tournaient bien jusqu’au coup de filet de l’an dernier. La police chinoise a fini par s’agacer de ce ballet dans l’un des quartiers les plus courus de Pékin. 8 000 personnes ont été arrêtées en quelques jours et aujourd’hui, selon nos informations, il y aurait toujours quarante-sept Nigérians dans la prison numéro 2 de Pékin.

Commander en ligne jusqu’à une tonne

La plupart sont des trafiquants de drogue. Alex s’est donc fait plus discret pendant quelques mois, puis il a fini par retourner chasser les clients avec le retour des beaux jours. Si les affaires d’Alex tournent bien, c’est qu’il est très facile de se fournir en drogue au cœur du régime communiste. Que ce soit sur le site Internet de ce laboratoire du Hebei, dans la lointaine banlieue de Pékin, ou sur celui de Quanao Chemicals, vous pouvez commander directement en ligne jusqu’à une tonne de drogue de synthèse livrable dans toute la Chine en moins de deux jours. De quoi attirer tous les dealers de la planète.

Dans ce trafic international, Hong Kong joue le rôle d’une plaque tournante entre la Chine continentale et l’Afrique. En février dernier, un officier de police sud-africain était arrêté à l’aéroport avec 2 kg de méthamphétamines dans ses bagages. « Ce sont pour la plupart des mules qui se sont fait avoir », explique le Père John Wotherspoon. Ce religieux installé à Hong Kong depuis 29 ans vient en aide aux Africains arrêtés à Hong Kong pour trafic de drogue. Pour ceux qui se font arrêter, c’est entre 8 et 9 ans de prison à Hong Kong, mais la peine de mort en Chine continentale. « C’est pourquoi le trafic est toujours aussi florissant ici. En Chine c’est devenu trop risqué », explique le prêtre.

Des drogues de synthèse qui échappent à toute répression

Si les Nigérians sont les plus actifs sur le continent, à Hong Kong ce sont les Tanzaniens qui contrôlent le trafic. La police locale s’inquiète de la montée en puissance des cartels de drogue à Hong Kong. Le cartel mexicain de Sinaola et ainsi de mèche avec la triade 14K de Hong Kong, selon un rapport de police publié la semaine dernière. Le gang tanzanien de Shikuba est lui toujours bien actif à Hong Kong, malgré l’arrestation l’an dernier de son chef, Ali Khatibu Haji, à l’aéroport de Dar es Salaam.

Si les mafias de la drogue jouent un rôle prépondérant dans ces trafics internationaux, la Chine a également sa part de responsabilité. Dans ce pays où l’industrie pharmaceutique a longtemps été contrôlée par l’Etat, la privatisation a fait exploser le marché. 20 % de croissance en moyenne depuis 2008 et près de 400 milliards de chiffre d’affaires par an, dont 10 % à l’international. Pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène, il faut se rendre dans la banlieue de Shanghai. Là, entre les exportateurs de tee-shirts et de médicaments, sont installés de petits chimistes aux grandes ambitions. La plupart vendent sur Internet des cristaux certifiés purs à 99,9 %. Méthylméthcathinone, dérivés de la méphédrone, naphyrone, pentedrone et kétamine… Des drogues de synthèse qui échappent à toute répression puisqu’elles ne sont pas encore répertoriées. Des molécules aux noms barbares, couramment utilisées en pharmacie, mais dont le mélange peut se révéler détonant.

« Il est très facile pour ces laboratoires de s’informer sur les drogues interdites, puis d’en inventer de nouvelles en changeant une simple molécule. Vous pouvez ensuite les commercialiser sans craindre la police ou les douanes », explique un agent de la lutte antidrogue à l’ambassade du Royaume-Uni à Pékin. Des laboratoires de ce type, on en trouve des milliers sur la côte entre Shanghai et Canton. La plus populaire actuellement en Afrique est la kétamine. Un anesthésique bien connu dont la Chine demande aujourd’hui l’interdiction pure et simple. Mais cette molécule, dérivée de la phencyclidine, est aussi très utilisée en Afrique et beaucoup de médecins s’opposent à son interdiction.

Interdire la kétamine ?

« La kétamine est un médicament essentiel utilisé pour l’anesthésie. Il est le seul anesthésique disponible pour les chirurgies essentielles dans la plupart des régions rurales des pays en développement, où habitent plus de 2 milliards de personnes. Placer la kétamine sous contrôle international laissera ces populations sans moyens d’anesthésie pour les chirurgies essentielles et aggravera la crise mondiale, déjà sérieuse, en matière de chirurgie », explique un médecin membre de l’OMS. Pour sauver l’Afrique de cette drogue aussi puissante que peu coûteuse, il faudrait donc prendre le risque de voir son usage médical limité.

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Lors de la dernière session de la Commission des Nations unies pour la drogue et les narcotiques, le professeur Zhimin Liu, directeur de la Commission nationale contre la drogue au sein de l’Université de Pékin, a plaidé pour l’interdiction de la kétamine. « La Chine ne peut pas seule lutter contre ce trafic », a-t-il expliqué, en vain. L’Organisation mondiale de la santé maintient pour l’instant la kétamine dans sa liste des médicaments essentiels, notamment pour répondre aux besoins médicaux des pays africains. En attendant que la Chinafrique s’entende sur le dossier de la kétamine, le trafic a repris dans les rues de Sanlitun.

Sébastien Le Belzic est un journaliste installé à Pékin depuis 2007, où il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.

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