"Un ancien qui a tout fait, de la folk à l'expérimentation électronique, en passant par le rock progressif et le grunge", un homme "qui a su durant toute sa carrière se renouveler, partager, travailler avec d'autres, parfois plus jeunes." Si c'est en ces termes que Jean-Paul Huchon, le président (PS) du conseil régional d'Ile-de-France décrit son idole Neil Young en février quand il lance son blog, Rust never sleeps -la rouille ne dort jamais- c'est évidemment un auto-portrait qu'il entend dresser.
Un selfie à l'amour propre blessé par la candidature rivale de celle qui est depuis 2002 sa première vice-présidente en charge des Finances à la Région, Marie-Pierre de la Gontrie. Quand elle officialise en décembre 2014 son envie de briguer la tête de liste PS, elle le fait au nom du "renouvellement". "J'ai eu la conviction qu'il fallait que j'y aille au lendemain des municipales de 2014 où le mandat de trop a coûté au PS de nombreuses villes comme Quimper, Limoges, Dunkerque", explique-t-elle. "Son argumentaire, c'est 'casse-toi le vieux'", se désole aujourd'hui Jean-Paul Huchon, 68 ans, dont 17 passés à la tête de la région. Vexé, quitte à surjouer un petit peu: "je suis quand même plus rock'n'roll que Marie-Pierre".

Jean-Paul Huchon lors d'une conférence sur le rock & roll dans son fief de Conflans-Sainte-Honorine, en février... 2004.
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Fini le rondo, place aux riffs électriques pour un Huchon plutôt connu jusqu'alors pour sa consensualité. "Je n'ai plus d'atomes crochus avec elle depuis longtemps, tout le monde sait qu'elle a un caractère difficile. Les entreprises accepteront-elles de travailler avec quelqu'un qui les bouscule, les comprend moins bien?" L'intéressée encaisse, feint la surprise et préfère évoquer le sondage Ifop-Fiducial pour Paris-Match et Sud-Radio qui ne donne que deux points de plus à son rival (22% contre 20%) au premier tour.
Un résultat "cruel" alors qu'elle reconnaît qu'elle est une "illustre inconnue" pour le grand public. Selon elle, Jean-Paul Huchon aurait dû suivre les exemples de Bertrand Delanoë et de Pierre Mauroy qui ont su passer la main à leur dauphine, à Paris et à Lille. "La situation politique en Ile-de-France n'est pas la même qu'à Paris, rétorque le patron régional. Bertrand [Delanoë] avait confiance en Hidalgo. Moi, je n'ai pas confiance en Marie-Pierre de la Gontrie." La maire de Paris soutient d'ailleurs sa rivale. Un revirement spectaculaire après dix années de franches inimitiés entre les deux femmes sur fond, déjà, d'investiture pour la tête de liste à Paris aux deux dernières élections régionales.
Un axe Hidalgo-Gontrie
Anne Hidalgo n'est évidemment pas insensible au fait que Marie-Pierre de la Gontrie soit une femme alors qu'en face, droite et centre alignent Valérie Pécresse et Chantal Jouanno dans une région qui peut basculer. L'argument féministe porte d'autant plus que Carole Delga est la seule autre femme socialiste désignée comme future tête de liste aux régionales, en Midi-Pyrénées/Languedoc-Roussillon. L'équipe Huchon préfère voir dans l'axe Gontrie-Hidalgo un deal passé au moment des municipales lorsque Jean-Marie Le Guen, un proche de Marie-Pierre de la Gontrie, avait renoncé à se présenter à l'investiture PS. Faux, selon les "gontristes" qui reconnaissent que la non-candidature de Le Guen a permis le rapprochement entre les deux anciennes rivales.

Marie-Pierre de la Gontrie (à droite), en compagnie d'Anne Hidalgo et de l'industriel Vincent Bolloré en octobre 2014.
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De là à présenter Marie-Pierre de la Gontrie comme la candidate de la capitale, il y a un pas que l'Yvelinois Jean-Paul Huchon n'hésite pas à franchir. "Je me considère comme Francilien et le garant de la solidarité avec la banlieue. La dernière fois qu'un Parisien a prétendu vouloir diriger la Région, c'était Balladur [en 1998]!", raille-t-il. Des distinctions territoriales à défaut de différences idéologiques. Les deux candidats à la candidature ont en commun un bilan -"Marie-Pierre occupait un poste normalement éminent", tacle Huchon- et un parcours. Strauss-khaniens, puis aubryistes. Ils affichent tous deux des soutiens, comme autant de trophées, qui couvrent l'ensemble du spectre politique du PS. D'Emmanuel Maurel à Jean-Christophe Cambadélis en passant par Malek Boutih pour la première. De Jérôme Guedj au député-maire de Sarcelles François Pupponi en passant par l'ancien ministre Daniel Vaillant pour le second.
Entre fidélités personnelles, calculs politiciens et logique départementale, difficile de s'y retrouver. Même les proches de Manuel Valls sont divisés entre le député Carlos da Silva et le maire d'Evry Francis Chouat qui appuient le président de région sortant et le sénateur-maire d'Alfortville Luc Carvounas qui roule pour sa rivale. Le camp de la Gontrie en est persuadé: si Jean-Paul Huchon rempile pour un quatrième mandat, c'est en réalité pour laisser la place dans deux ans à Carlos da Silva. "Il existe un deal non-écrit", croit savoir un pilier de la gauche francilienne. Une "vaste connerie pour mettre la merde dans la perspective duCongrès de Poitiers", rétorque-t-on au sein du cabinet Huchon. Où l'on ne cache pas en revanche que ce dernier mandat du baron de Conflans-Sainte-Honorine se ferait dans une "logique de transmission".
L'hypothèse Bartolone
A moins qu'un troisième homme se présente à son tour. Les prétendants ont du 30 avril au 7 mai pour déposer leur candidature (les militants désigneront leur champion le 28 mai). Dans les nuées de rumeurs, un nom revient avec insistance: celui de Claude Bartolone qui a la main sur la fédé de Seine-Saint-Denis. Pour l'heure, le président de l'Assemblée nationale n'envoie aucun signal. Aux journalistes, il assure même avec aplomb n'être candidat "ni à Matignon ni à une investiture pour les régionales". Mais l'hypothèse est prise au sérieux par les acteurs politiques franciliens. "Barto est le faiseur de rois dans cette histoire. Il y a trois fédérations qui compte: Paris, acquise à Marie-Pierre de la Gontrie ; l'Essonne, pro-Huchon; et le 93... Il peut couronner qui il veut, à commencer par lui-même", glisse un observateur privilégié.

Claude Bartolone, alors président du conseil général de Seine-Saint-Denis, aux côtés de Jean-Paul Huchon, le 13 juillet 2012 à Paris.
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Selon nos informations, Jean-Paul Huchon et Claude Bartolone ont prévu de se voir dans les jours qui viennent. Même au conseil régional, on reconnaît qu'une candidature Bartolone "rebattrait toutes les cartes". "En politique, rien n'est jamais gratuit, glisse un proche de l'ancien président du conseil général de Seine-Saint-Denis. Pourquoi pense-t-on à Claude? Parce que sinon, certains estiment que c'est perdu pour la gauche. Ou que, s'il y va, ça permettra au candidat que d'autres soutiennent d'éviter de se prendre une taule à la désignation..."
"Tout le monde, à commencer par Hollande et Valls, est très emmerdé par cette primaire, confie une figure de la gauche francilienne. Pendant que la droite fait campagne, les socialistes se tapent dessus..." Bref, un plan de sortie par le haut pourrait arranger tout le monde. "Si le sortant est désavoué par les militants, quelle énergie ça donnerait à la campagne? Cette désignation, franchement, c'est pas bien", reconnaît même Luc Carvounas. "Les grands chefs voulaient éviter cette primaire. Elle n'est ni productive ni lisible politiquement", ajoute un autre poids lourd de l'équipe de la Gontrie. Mais, après tout, comme le chantait Neil Young, peut-être vaut-il "mieux brûler vivement que de s'éteindre à petit feu".