Laurence Parisot : "Députés, réveillez-vous ! Saisissez le Conseil constitutionnel !"

Laurence Parisot : "Députés, réveillez-vous ! Saisissez le Conseil constitutionnel !"
Laurence Parisot, ancienne présidente du Medef, le 11 mars 2015. (FABRICE ELSNER/SIPA)

L'ancienne patronne du Medef est en colère. Pour elle, le projet de loi sur le renseignement est liberticide et dangereux. Elle lance un appel aux députés qui ont encore des doutes.

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L'appel sera-t-il entendu ? Laurence Parisot, l'ancienne patronne du Medef, est en colère. Elle estime que le projet de loi sur le renseignement ne devrait pas voir le jour dans sa forme actuel. Liberticide, dangereux. D'où l'appel au sursaut qu'elle lance aux députés qui auraient encore des doutes : "Il faut une initiative transpartisane pour saisir le Conseil constitutionnel sur la loi Renseignement". Interview.

Le projet de loi sur le renseignement est actuellement examinée par les parlementaires. Depuis le début, vous êtes contre cette loi. Pourquoi ?

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- Je suis révoltée par cette loi. Ma position n'est pas surprenante par rapport à mes convictions philosophiques et politiques. Un pays comme le nôtre ne peut pas renier ses fondamentaux : la liberté individuelle et la protection des individus.

Il me paraît impossible d'abandonner ces principes. C'est pourtant ce qui est en train de se passer avec le projet de loi sur le renseignement. Elle va bouleverser notre société. Ce n'est pas la première fois que je me bats contre une loi liberticide. Les Français ne peuvent pas vivre dans une société de surveillance.

Vous faites référence à votre prise de position contre le fichier Edvige créé en 2008 ?

- Oui. Déjà à l'époque, je m'insurgeais contre la création de ce fichier qui recensait les personnes "ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif". Comprendre : toutes les personnalités françaises ! 

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Je suis montée au créneau pour interpeller Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l'Intérieur. Comment ne pouvait-elle pas savoir qu'un tel fichier était liberticide et contraire aux valeurs de la société française ?

Selon vous, le projet de loi sur le renseignement touche la société française à plusieurs niveaux...

Ma révolte s'appuie sur des considérations philosophiques, mais pas seulement. Cette loi aura un impact négatif sur l'économique française. C'est aussi une préoccupation pour moi.

La France est à un tournant, celui du digital. Si elle rate l'opportunité d'offrir un espace de développement pour les start-ups, elle ratera la révolution numérique en cours.

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Que vont penser les jeunes entrepreneurs du numérique, de cette loi qui écoute tout, espionne tout ? Ils vont estimer que la France n'est pas le bon environnement pour créer une start-up ! Et ils vont partir. Ils avaient déjà beaucoup de raisons pour s'expatrier. Cette loi leur en donne une de plus.

Et puis il faut penser à l'avenir. Je fais confiance à Manuel Valls et à François Hollande lorsqu'ils assurent qu'ils utiliseront cette loi à bon escient. Mais que se passera-t-il demain ? Ce texte met notre démocratie en danger. En 2017, Marine Le Pen peut arriver au pouvoir. Que fera-t-elle avec un tel outil entre ses mains ? L'extrême droite est une nuisance pour la démocratie. La loi sur le renseignement lui donnera trop de pouvoir.

J'ai une culture du risque. Mais je prends des risques calculés. Le risque avec cette loi est trop grand.

Il existe un large consensus au sein des différents partis politiques représentés à l'Assemblée nationale à propos du projet de loi. Que voulez-vous dire à cette majorité de députés qui approuvent ce texte ?

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- Ce consensus est ahurissant. A tous ces députés, j'aimerai offrir un stage dans une start-up pour qu'ils puissent comprendre ce qu'est le numérique, ce que l'on peut faire avec, de dangereux ou de merveilleux.

Je regrette le manque de conscience et de connaissance de notre classe politique sur le digital. S'ils en savaient beaucoup plus, ils seraient autant inquiets que moi à propos de ce projet de loi. Ils défendraient une régulation de la protection des individus, comme dans la loi informatique et libertés de 1978 et la création de la Cnil, et contre la régulation de la peur.

Réveillez-vous ! Faites quelque chose pour empêcher l'adoption de cette loi ! Je lance un appel solennel pour une action transpartisane afin de saisir le Conseil constitutionnel qui est encore le seul garant de nos libertés. Il faut saisir les Sages.

Avez-vous l'impression que le débat autour cette loi n'a pas été mené comme il se devait ?

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- Le débat n'a pas eu lieu, c'est consternant. Une loi qui va changer notre société aurait dû être débattue. Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'audition publique ? Pourquoi le juge n'a-t-il pas sa place dans la procédure de surveillance ? La vitesse à laquelle le gouvernement veut que cette loi soit adoptée, avec la procédure accélérée, est une grave erreur. Elle a tué le débat.

D'ailleurs, il faut remarquer le silence des intellectuels à propos de cette loi. Où sont-ils ? Que font-ils ? Pourquoi ne parlent-ils pas ? On ne les entend pas et pourtant nous avons besoin d'eux. Ironie du sort, hier [jeudi 16 avril, NDLR], c'était l'anniversaire de la mort d'Alexis de Tocqueville. Est-ce un signe ?

Propos recueillis par Paul Laubacher, jeudi 16 avril 2015

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