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Mali

Le centre du Mali craint l’émergence d’un nouveau groupe armé : « La Force de libération du Macina »

Alors qu’une attaque suicide sur un centre de l’ONU a fait trois morts, un rapport Human Rights Watch s’inquiète du fait que les violences dans le pays ne sont plus cantonnées au Nord mais s’installent plus au centre.
Image via Flickr / Mission de l'ONU au Mali - Minusma

Dans un rapport publié ce mardi, l'ONG Human Rights Watch (HRW) s'inquiète du retour de la violence dans les régions centrales du Mali, habituellement plus calmes que le Nord, région où plusieurs parties s'opposent depuis 2012, dans un conflit aux racines diverses, allant de revendications autonomistes à la constitution d'un front djihadiste.

Plus tard dans la matinée de ce mardi, une base de l'ONU située à Ansongo, dans la moitié Nord du Mali, près de Gao, a été touchée par un attentat suicide. Trois civils ont été tués et seize personnes blessées dont neuf casques bleus, rapporte la MINUSMA. Une voiture se serait dirigée vers le camp et les soldats de l'ONU ont ouvert le feu pour l'empêcher d'entrer. Le conducteur se serait alors fait exploser dans le véhicule.

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9 Casques bleus blessés, 3 civils tués et 7 blessés lors d'1 attaque suicide à Ansongo, — MINUSMA (@UN_MINUSMA)15 Avril 2015

En ouverture du communiqué, HRW estime que : « Le gouvernement malien devrait prendre des mesures pour stopper les crimes violents et les abus de plus en plus fréquents, commis par les groupes armés et les forces de sécurité de l'État, qui menacent la sécurité de la population dans le nord et le centre du Mali. »

Dans le centre, dimanche dernier, deux soldats maliens ont été tués et deux autres blessés non loin de Diabali, à moins de 400 kilomètres au Nord-Est de Bamako, capitale du pays. Leur véhicule aurait roulé sur un « engin explosif », selon le porte-parole du gouvernement. On ignore encore qui est à l'origine de cette attaque non revendiquée. Le gouvernement de son coté évoque des « groupes terroristes », sans aller plus avant dans leur identification. On ignore également qui sont les quatre personnes qui ont tué un garde forestier, une semaine auparavant, dans la région de Mopti, également dans le centre du Mali, notamment dans une région frontalière avec le sud de la Mauritanie.

Communiqué du Gouvernement suite au décès de deux militairesLe dimanche 12 avril 2015, un véhicule des Forces… — Presidence Mali (@PresidenceMali)April 13, 2015

Ces deux attaques ont eu lieu dans les régions centrales du Mali, habituellement épargnée par la violence qui continue de faire rage au Nord du pays. La dynamique dans le centre est nouvelle et encore peu connue comme l'indique le rapport de l'ONG.

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« Depuis janvier 2015, un nouveau groupe armé islamiste a lancé une vague d'attaques contre des civils dans le centre du Mali, » lit-on dans le texte de HRW qui fait également état d'une « recrudescence des crimes violents commis depuis la mi-2014 par des bandes criminelles et des groupes armés dans le Nord ».

Dans le centre, concernant ce nouveau groupe islamiste, le rapport évoque des témoignages d'habitants qui racontent que « [l]es combattants de ce groupe ont traîné le chef d'un village près de Dioura hors de sa maison avant de l'exécuter, et qu'ils ont abattu un autre homme un jour de marché dans un village près de Nampala. » Le groupe aurait également incendié plusieurs bâtiments du gouvernement local et détruit une tour de communication. Lors de réunions publiques et dans des tracts distribués dans les villes et les villages, ce même groupe aurait menacé de mort la population locale si elle collaborait avec les forces françaises, le gouvernement ou la mission de maintien de la paix de l'ONU.

HRW rapporte que le groupe armé islamiste mentionné dans ce rapport est « parfois appelé la Force de libération du Macina » par les personnes interrogées et qu'il « a commis de graves abus au cours d'opérations militaires contre les forces de sécurité maliennes ». Les médias maliens attribuent quant à eux les récentes attaques dans le centre du Mali à un « Front de libération du Macina ». Le « Macina » peut désigner à la fois la région centrale du Mali, mais aussi l'ancien Empire théocratique du Macina, fondé au XIXe siècle dans cette même région par les Peuls, un peuple du Sahel majoritairement musulman et encore présent aujourd'hui en Afrique de l'Ouest.

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À lire : Menaces de violences ethniques sur des Peuls pris au piège en RCA

Un grand flou entoure encore ce Front ou cette Force de libération du Macina. Le rapport d'HRW évoque des témoins affirmant que « la vaste majorité [des] combattants semblaient être des Peuls venant d'un groupe armé islamiste allié soit au Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), soit à Ansar Dine. »

Le Mujao et Ansar Dine sont deux groupes djihadistes qui, avec Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) ont attaqué le Nord du Mali en 2012 et 2013, déclenchant l'intervention française au Mali.

À lire : Qui sont les Mujao, les terroristes qui revendiquent l'attaque d'un véhicule de la Croix Rouge dans le Nord Mali ?

Ousmane Kornio est consultant dans la sécurité et spécialiste du centre du Mali. Basé à Bamako il a grandi à Konna, dans le centre du Mali. Joint par VICE News ce mercredi,il explique que l'attaque de dimanche n'est pas nécessairement imputable à ce Front de libération du Macina.

« Dans cette zone, des groupes d'auto-défense d'éleveurs peuls se sont formés quand l'armée ne protégeait plus la zone, » dit Ousmane Kornio. « Aujourd'hui, ils luttent contre des djihadistes et des touaregs qui peuvent mener des attaques, dont peut être celle qui a tué les deux soldats maliens, dimanche dernier. »

Le nom d'une personne revient régulièrement dans les médias locaux lorsqu'il est question des groupes violents cités précédemment. Il s'appelle Hamadou Koufa, des médias maliens le présentent comme le chef du Front de libération du Macina.

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Ousmane Kornio nous a indiqué qu'il a croisé Koufa dans sa jeunesse, les deux ont vécu à Konna. « Hamadou Koufa est mort depuis deux ans, » nous dit Kornio qui indique que Koufa avait à l'époque la soixantaine, il était prêcheur professionnel de formation. « C'est lui qui avait attaqué la ville de Konna, début 2013, ce qui avait déclenché l'intervention française [NDLR, l'opération Serval]. Après un raid de l'armée française sur Konna, qui a touché la maison de Koufa, plus personne n'a jamais entendu parler de lui. » Kornio suggère que c'est dans cette attaque qu'il est mort.

Un autre nom circule dans les médias maliens ces dernières semaines : Iyad Ag Ghali. Il est l'actuel chef d'Ansar Dine et serait l'ancien compagnon d'armes d'Hamadou Koufa. « C'est à son contact que Koufa a terminé sa radicalisation, » explique Ousmane Kornio. « Ils ont ensuite fondé la secte [islamiste] Dawa pour diffuser leurs prêches radicaux, puis ont basculé dans le djihad armé en attaquant Konna. » D'autres médias maliens estiment ainsi que la Force de libération du Macina est aujourd'hui le « bras armé » d'Iyad Ag Ghali.

« Il est plus compliqué de lutter contre des petites cellules dans le centre du Mali que contre des grandes organisations djihadistes au Nord, » explique Ousmane Kornio. « L'opération Barkhane [NDLR, l'opération antiterroriste menée par la France après Serval] reste plutôt au Nord. Au centre, c'est la population qui doit résister. »

Suivez Matthieu Jublin sur Twitter @MatthieuJublin

Image via Flickr / Mission de l'ONU au Mali - Minusma