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Le FN dit-il la même chose que les communistes il y a trente ans ?

La comparaison opérée dimanche par François Hollande entre le FN de Marine Le Pen et les anciens programmes du Parti communiste a déclenché la fureur du PCF actuel.

Par  et

Publié le 20 avril 2015 à 16h30, modifié le 21 avril 2015 à 07h34

Temps de Lecture 5 min.

Photo datée du 26 janvier 1994 du secrétaire général du Parti communiste Georges Marchais prononçant un discours, lors du 28e Congrès du PCF.

François Hollande a-t-il choisi de faire cette sortie ? A-t-il parlé trop vite ? Toujours est-il que la comparaison opérée dimanche 19 avril par le chef de l'Etat entre le FN de Marine Le Pen et le Parti communiste des années 1970 a déclenché la fureur du PCF de 2015.

Pierre Laurent, son premier secrétaire, exige des excuses, tandis que Jean-Luc Mélenchon estime qu'en « insultant le Parti communiste des années 1970, François Hollande oublie que c'était alors le programme commun qui conduisit à la grande victoire de 1981 ».

Ce qu'a dit François Hollande :

Marine Le Pen « parle comme un tract du Parti communiste des années 1970 (…) sauf que le Parti communiste, il ne demandait pas qu'on chasse les étrangers, qu'on fasse la chasse aux pauvres ».

Peut-on faire cette comparaison ? Sans doute pas avec le « Parti communiste des années 1970 ». D'un point de vue historique, en effet, François Hollande s'est un peu raté : il aurait fallu parler des tentations nationalistes qui ont eu cours au PCF à la toute fin des années 1970 et au début des années 1980.

1. Le programme commun ne parlait que peu d'immigration

De 1972 à 1977, Parti socialiste et Parti communiste étaient alliés. En ce sens, le « Programme commun » de 1972, signé par le PS, le PCF et les radicaux de gauche, ambitionne de grandes réformes en termes d'emploi, une nationalisation de groupes industriels, une décentralisation des institutions…

Ce projet se montre alors plutôt souple quant à l'immigration. Quand les « travailleurs immigrés » sont cités, c'est pour souligner qu'ils doivent avoir accès aux mêmes droits que les travailleurs français.

Extrait du

Ecrit avant le choc pétrolier, ce programme songe peu à ces questions d'immigration, qui ne sont pas prioritaires à gauche. Mais la fin de la décennie 1970 ne ressemble, à cet égard, que peu au début : le chômage est en nette progression, dans un contexte de crise économique qui dure. Et à l'aube des années 1980, le PCF, qui a repris son indépendance du PS, change de discours.

2. Les actions anti-travailleurs immigrés des maires PCF de banlieue parisienne

Le 23 décembre 1980, la mairie communiste de Vitry-sur-Seine provoque un tollé : des travailleurs maliens ont été amenés de la ville voisine et plus riche, Saint-Maur, dans un bâtiment en cours de rénovation sur la commune, contre l'avis de la mairie de Vitry.

A la veille de Noël, Paul Mercieca, maire de la ville, lance une opération commando : armé d'un bulldozer et de centaines de militants locaux, il fait détruire un mur du bâtiment et chasse les travailleurs immigrés (poursuivi durant des années pour ce fait, il sera finalement acquitté). Quelques semaines plus tard, un certain Robert Hue, maire de Montigny-lès-Cormeilles (Val-d'Oise), voulant lutter contre le trafic de drogue, met en cause une famille marocaine du quartier.

A chaque fois, les maires communistes subissent un tollé de protestations de la part de la presse et d'une grande partie de la gauche. Ils essaient cependant d'expliquer leurs actions : les travailleurs immigrés sont concentrés dans les mêmes communes, ce qui est autant dommageable pour eux – vu les conditions vétustes dans lesquelles ils sont accueillis – que pour les communes qui doivent assurer leur prise en charge.

3. « L'immigration nuit aux travailleurs » : le discours de Marchais

Plus largement, le discours que porte Georges Marchais, premier secrétaire et candidat, réclame une limitation de l'immigration, perçue comme nuisible aux droits et aux conditions des travailleurs.

« En raison de la présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l'immigration pose aujourd'hui de graves problèmes. Il faut stopper l'immigration officielle et clandestine », déclarait ainsi Georges Marchais, le 6 janvier 1981.

Georges Marchais se défend alors de tout racisme et dit parler dans l'intérêt de tous :

« Nous pensons que tous les travailleurs sont frères, indépendamment du pays où ils sont nés (...) » Mais « dans la crise actuelle, elle [l'immigration] constitue pour les patrons et le gouvernement un moyen d'aggraver le chômage, les bas salaires, les mauvaises conditions de travail, la répression contre tous les travailleurs, aussi bien immigrés que français. C'est pourquoi nous disons : il faut arrêter l'immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage. »

Cette vision de l'immigration reste radicale : elle rend responsables du chômage les travailleurs immigrés.  

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Lors de la campagne présidentielle de 1981, Georges Marchais écrit une longue lettre au recteur de la mosquée de Paris. Il y détaille la position des communistes sur l'immigration, qui n'est pas sans rappeler un discours qu'on trouve aujourd'hui au FN ou dans une partie de l'UMP  :

« Il faut résoudre d'importants problèmes posés dans la vie locale française par l'immigration [...] se trouvent entassés dans ce qu'il faut bien appeler des ghettos, des travailleurs et des familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes. Cela crée des tensions, et parfois des heurts entre immigrés des divers pays. Cela rend difficiles leurs relations avec les Français. Quand la concentration devient très importante [...], la crise du logement s'aggrave ; les HLM font cruellement défaut et de nombreuses familles françaises ne peuvent y accéder. Les charges d'aide sociale nécessaire pour les familles immigrées plongées dans la misère deviennent insupportables pour les budgets des communes peuplées d'ouvriers et d'employés. L'enseignement est incapable de faire face… »

4. Difficile de comparer deux époques si lointaines

Le PCF a donc connu une phase où il tenait des positions opposées à l'immigration et à la présence de travailleurs immigrés, c'est un fait. Peut-on pour autant le comparer à l'actuel FN ?

Marine Le Pen a opéré un glissement « à gauche » de son parti sur les thématiques économiques. Le FN n'hésite plus à critiquer les dérives du capitalisme ou du libéralisme, et à les opposer aux « travailleurs », reprenant une dichotomie classique à gauche. Surtout, le FN a su faire son nid dans nombre d'anciens bastions communistes et populaires, en jouant sur cette double rhétorique, contre l'immigration et contre le « grand patronat », qui peut présenter des similarités avec le discours communiste de 1981.

Mais sur l'Europe, par exemple, si les positions peuvent être proches (Georges Marchais souhaitait une « protection de notre marché intérieur », et le slogan du PCF en 1981 était « Produisons français ! »), il est difficile de comparer. En 1981, la formation européenne est encore embryonnaire et concerne surtout des accords économiques à l'intérieur de ses frontières, sans monnaie unique et avec une plus grande marge de manœuvre pour les Etats membres. En 2015, la France est l'un des moteurs de la zone euro, qui est bien plus intégrée, au point de prendre des décisions budgétaires communes, qui contraignent en partie les politiques nationales.

Surtout, le substrat idéologique du communiste est l'internationalisme. Le marxisme prône justement la disparition des frontières et l'union des « travailleurs de tous pays ». Si on peut questionner la période 81 où le PCF s'essaye au nationalisme, il n'est pas, comme le FN, héritier d'une tradition d'extrême-droite aux accents parfois racistes ou antisémites, comme le rappelle d'ailleurs François Hollande dans sa phrase.

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