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Archéo & paléo

Quand les flottes de l'amiral chinois Zheng He traversaient le détroit d'Ormuz

Le plus grand navigateur chinois de l’empire des Ming au 15e siècle a bien franchi la porte d'entrée du golfe Persique avec sa puissante flotte. Un exploit de plus pour ce marin aux expéditions légendaires.
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Zheng He Hang Tai Tu
Le détroit d'Ormuz et ses îles, sur la carte nautique de l'amiral Zheng He
Ran Zhang

Amiral chinois, navigateur, eunuque et musulman. Les chercheurs avaient déjà suivi à la trace quelques-unes des fascinantes expéditions de l’amiral Zheng He, considéré comme le plus grand navigateur chinois de l’empire des Ming et de l’histoire maritime du début du 15e siècle. Bien avant les Portugais Vasco de Gama ou Magellan (1434), ce grand eunuque musulman sillonnait dès 1405 les mers de l’Asie du Sud-est (Java, Sumatra) à l’océan Indien (Sri Lanka), la mer Rouge (Egypte) et les côtes de l’Afrique (Mozambique). Avant que ces pérégrinations ne soient brusquement stoppées en 1433 - date de sa mort - lorsque la Chine décida brusquement de se fermer au monde.

Les chercheurs sont désormais en mesure de rajouter avec certitude un nouveau chapitre à cette grande épopée, celui de sa présence à Ormuz ! "Grâce à l’archéologie nous avons pu identifier des passages de Zheng He dans le golfe Persique", explique en effet Ran Zhang, archéologue à l’université de Durham (Grande-Bretagne). Le jeune chercheur et son collègue Lin Meicun, du département d’archéologie de l’université de Pékin (Chine) ont en effet pu retrouver et analyser des vestiges de céramiques impériales, traces du passage des flottes Ming menées par l’amiral (lire encadré). 

 Bateaux-trésor. C’est à la demande de l’empereur Yong Le que le navigateur chinois a lancé à plusieurs reprises ses imposantes jonques à la découverte du monde (lire encadré). À en croire l’Histoire dynastique des Ming, ces "bateaux-trésors" (baochuan) mesurait 138 m de long sur 56 m de large… interprétation que les experts ont aujourd’hui ramenée aux dimensions plus raisonnables de 50-60 m (rappelons que les caravelles de Christophe Colomb atteignaient à peine 30 m). Des moines bouddhistes et des religieux musulmans participaient à ces voyages uniquement faits à la gloire de l’Empereur puisqu'il ne s’agissait pas d’expéditions conquérantes contrairement à celles qui furent lancées par l'Europe.

Porcelaines et céladons du XVe siècle provenant d'Ormuz. Collection Williamson. Université de Durham (UK) © Ran Zhang

Ormuz. "Nous savions que Zheng He avait pu atteindre le détroit d’Ormuz et qu’il y avait eu des échanges sur place, poursuit l’archéologue Ran Zhang. Ceux ci sont en effet décrits dès 1413 dans un récit de Tarikh-i Ja’far. On peut y lire qu’en échange de la soie, des céramiques et des porcelaines impériales, les marins chinois achetaient de grandes quantités de perles et d’objets précieux". Mais aucune preuve concrète n’avait encore pu être rapportée. "Ormuz était considéré comme un centre du commerce mondial", poursuit Ran Zhang. On pouvait y croiser des commerçants venus d’Egypte, de Syrie, d’Azerbaïdjan, du Khorasan, du Turkestan, de Chine, de Java, du Tenasserim, du Bengale, de Malabar, de Zanzibar, d’Abyssinie, d’Aden ou encore de Djeddah… Autant d’échanges commerciaux qui contribuèrent à l’essor économique du Golfe. Dans le détroit, deux îles pouvaient cependant prétendre avoir accueilli les navires de Zheng He. L’imposante Qeshm – qui avait la faveur des historiens - et, face au continent, et la petite Hu Lu Mo Si (Ormuz en Chinois).

Porcelaine et céladon. Les deux archéologues ont donc analysé l’ensemble des collections de céramiques issues des fouilles archéologiques réalisées sur ces îles en 2006 "pour tenter de déterminer laquelle était la véritable Ormuz de Zheng He", précise Ran Zhang. Au fil des ans, Qeshm livra des vestiges allant des Parthes (3e av.J.C- 3e ap. JC) aux périodes islamiques, sans trace de la moindre présence chinoise. En revanche, les recherches se sont avérées beaucoup plus fructueuses sur la petite Hu Lu Mo Si puisqu’on y a retrouvé des porcelaines bleues et blanches, des grès de Qingbai et des céladons (porcelaine à glaçure vert-pâle) de Longquan datés du 14e-15e siècles. "Ces porcelaines bleues et blanches proviennent des fours chinois de Jingdezhen, dans la province du Jiangxi. Là où étaient fabriquées en grandes quantités les productions impériales. Les céladons, eux, sont sortis des fours de Fengdongyan", poursuit le spécialiste. Des tessons de porcelaine bleue et blanche retrouvées également à Julfar, aux Émirats Arabes Unis (EAU). Lingot d'or

Rapporté des expéditions de Zheng He, ce lingot d'or retrouvé dans la tombe du souverain Ming, Liang Zhuang. © Ran Zhang

Les trésors des "Océans de l'Ouest". De même, en Chine cette fois, ce sont des pierres précieuses et des bijoux en provenance du Golfe et datant de ces époques du XVe siècle qui ont aussi été exhumés, en particulier dans la tombe du souverain Ming Liang Zhuang (1411-1441). Sans doute rapportés par les expéditions de l’amiral Zheng He. Ainsi, on peut encore lire sur un des lingots d’or : "… jour d’avril de la 17e année du règne de Yongle, acheté dans les océans de l’Ouest", "Océans occidentaux" étant un ancien terme chinois pour désigner le golfe Persique. On sait donc désormais avec certitude que l’île de Hu lu Mo Si des cartes nautiques de Zheng He correspond bien à l’île d’Ormuz.

Zheng He
Né au Yunnan en 1371, Zheng He a grandi sous la dynastie mongole des Yuan (1279-1368) dans une famille convertie à l’islam. Fait prisonnier à 13 ans, il subit la terrible épreuve de la castration, avant d’être admis au service de Zhu Di, le futur empereur Yong Le. Il baigne toute sa jeunesse dans les récits de voyage de son père et de son grand-père qui ont tous deux visité La Mecque. Zheng He sait donc, dès son plus jeune âge, que d’autres mondes existent au-delà de la Chine. Devenu l’un des nombreux eunuques de la cours des Ming (1368-1644), après avoir étudié les arts de la guerre et s’être distingué au combat, il devient le confident de l’empereur qui le nomme "Amiral des mers de l’Ouest". De 1405 à 1433, l’ex-petit paysan va ainsi diriger la plus grande flotte que le monde du 15e siècle ait portée. Honoré par l’empereur Yong Le au point que celui-ci lui fait bâtir un temple à Nankin, l’amiral Zheng He meurt à Calicut (Inde) en 1433, lors de la septième expédition.

La tradition des eunuques
Sous les Ming, les eunuques sont l’une des composantes caractéristiques de la cour. Ils veillent officiellement au gynécée, mais gouvernent en fait en sous-main en ne cessant d’intriguer. A la fin de la dynastie, on en compte plus de 10.000. La plupart sont issus des familles les plus pauvres : Pour échapper à la misère, des parents n’hésitent pas à vendre leurs enfants, en dépit de la terrible intervention imposée à ces derniers. Celle-ci consiste à les châtrer pour leur permettre d’accéder à la Cité Interdite. Influents, les eunuques sont à l’origine des grandes expéditions maritimes. Mais ils perdent peu à peu de leur pouvoir face aux lettrés confucianistes hostiles aux dépenses exorbitantes qu’entrainent ces voyages au long cours jugés "inutiles". Un décret interdit même la construction des navires de haute-mer (1436). La plupart des eunuques finirent leur vie dans des conditions misérables, rejetés de tous. Souhaitant être inhumés dans leur intégrité, les eunuques conservaient leurs organes génitaux embaumés dans un petit coffret appelé le San Bao "la boîte au trésor".

Les sept Expéditions Chinoises du 15e siècle
Les six premières expéditions maritimes chinoises dirigées par Zheng He (1405-1407 ; 1407-1409 ; 1409-1411 ; 1413- 1415 ; 1417-1419 ; 1421-1422) eurent lieu sous le règne de Yong Le. Après la mort de cet empereur, une septième et dernière expédition fut ordonnée par Xuande, son petit-fils. Elle se déroula entre 1431 et 1433.

Les grandes dates de l’exploration européenne
1434 : Le Portugais Gil Eanes double le Cap Bojador, sur les côtes occidentales de l’Afrique.
1458 : Diogo Gomes explore les côtes de Guinée
1488 : le Cap de Bonne Espérance est doublé par Bartolomeu Dias. La pointe sud de l’Afrique. Le fameux Prassum promontorium des portulans.
1492 : Christophe Colomb atteint l’Amérique, et plus précisément les Bahamas, croyant gagner les Indes.
1498 : Vasco de Gama atteint les Indes. 
1513 : Vasco Nunez de Balboa découvre le Pacifique.
1519 : Tour du Monde de la flotte de Ferdinand de Magellan. Un seul bâtiment rentre à Séville en 1522. Magellan a été tué aux Philippines en 1521.

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