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MAROC

Au Maroc, le combat pour les sépultures des migrants morts en mer

Les naufrages se multiplient en Méditerranée et et les victimes sont de plus en plus nombreuses. À chaque drame, une infime partie des corps sont repêchés. D’autres resteront en mer ou s’échoueront sur les côtes méditerranéennes,  notamment au Maroc, où migrants régularisés et activistes se battent pour leur offrir une sépulture.

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Une tombe d'un migrant identifié dans un cimetière chrétien à Rabat, au Maroc. Photo de Laeticia Tura.

Les naufrages se multiplient en Méditerranée et les victimes sont de plus en plus nombreuses. À chaque drame, une infime partie des corps sont repêchés. D’autres resteront en mer ou s’échoueront sur les côtes méditerranéennes, notamment au Maroc, où migrants régularisés et activistes se battent pour leur offrir une sépulture.

Au moins 700 migrants se sont noyés en Méditerranée après le naufrage de leur chalutier samedi soir. Vingt-huit rescapés ont été secourus et 24 corps ont été repêchés, ont précisé les garde-côtes italiens.

Quelques jours avant, 400 autres migrants sont morts en tentant eux aussi la traversée au départ des côtes libyennes. À ce rythme, le bilan de 2015 pourrait largement dépasser celui de 2014, quand 218 000 migrants, en majorité originaires d’Afrique subsaharienne et de Syrie, avaient tenté de rejoindre l’Europe par la mer, et où 3 500 d’entre eux ont perdu la vie selon les chiffres du Haut commissariat aux réfugiés.

Un cimetière de migrants à l'état d'abandon, au Maroc. Photo du GADEM.

Le plus souvent, il faut attendre que les courants ramènent les corps vers les côtes pour les retrouver, obligeant les pays de la Méditerranée à les prendre en charge. Les migrants voyagent rarement avec des documents sur eux. L'Europe ne disposant pour l’instant d'aucun système centralisé d’identification, chaque pays s’organise à son niveau.

En Italie, l’État a commencé à mettre en place un système d’identification avec le ministère de la Santé, des scientifiques et les autorités locales. "À l’issue de ce processus d’identification, les migrants ont droit à une tombe à leur nom. Ce sont les mairies qui prennent en charge leur enterrement", précise Sara Prestianni, de la Cimade (Service œcuménique d’entraide). En Espagne, le système est moins abouti : la plupart des corps sont enterrés dans des tombes sans épitaphe. "En Grèce, malgré les efforts d’associations de solidarité avec les migrants, le plus souvent, ces corps sans noms s’entassent dans des fosses communes", regrette Sara Prestianni.

"La mission principale des gardes-côtes n’est pas de sauver des vies et de repêcher les corps" rappelle Laetitia Tura, coréalisatrice du film documentaire "Les Messagers" avec Hélène Crouzillat, une enquête sur la prise en charge des corps des migrants. "Il s’agit là d’une construction médiatique. Le rôle des gardes-côtes nationaux et de FRONTEX est de surveiller les frontières. Ils interpellent les migrants, contrôlent les embarcations. Et en violation du droit, les migrants interpellés dans les eaux territoriales des états européens sont souvent refoulés vers les pays de la rive sud de la méditerranée."

Les corps engloutis et recrachés par la mer posent le même type de problèmes aux pays du sud de la Méditerranée. "En Tunisie, les corps morts échoués sur les plages, vision quotidienne des habitants, sont gérés comme des déchets par les autorités. Ces corps sont entassés dans des décharges loin des regards", indique la réalisatrice.  "En 2011, les autorités ont créé une fosse commune pour ces corps. Mais en Tunisie, comme ailleurs, la lutte pour que ces migrants morts soient enterrés dignement est surtout le fruit d’efforts individuels et associatifs", précise-t-elle.

Fosse commune de migrants à Zarzis, en Tunisie. Photo de Laeticia Tura.

"On s’appuie sur les migrants illégaux à Tanger, ils savent qui est parti en mer"

Sédrik, résident camerounais au Maroc, participe activement à l'une de ces initiatives. Sa situation a été régularisée à l’issue d’une première vague de régularisation de migrants au Maroc. Selon les estimations du gouvernement marocain, il y a près de 30 000 à 40 000 migrants clandestins au Maroc, dont la moitié a demandé à être régularisée. Sedrik est aujourd’hui en lien étroit avec les migrants en transit à Tanger, dont la plupart ont pour but de rejoindre l’Europe.

Je suis souvent appelé à la morgue pour tenter d’identifier les corps des migrants morts. À Tanger, le "morguier" [employé de la morgue, NDLR] est très coopératif. Il nous laisse le temps d’identifier les corps. Il nous montre les documents qui ont été retrouvés sur eux. Mais le plus souvent, ils n’en ont pas. Ils ne vont pas prendre le risque d’être identifiés à bord de leur embarcation. Et il est souvent très difficile de les reconnaître quand les corps ont été abîmés par la mer.

 

Cas très rare de mise en bière d'un migrant en présence d'un représentant diplomatique. Photo de Fabien Didier Yene.

Je travaille en tant que bénévole au sein d’une association. Je joue le rôle d’intermédiaire avec les migrants en situation irrégulière. Les autorités marocaines et les ambassades des pays concernés sont obligées de traiter avec cette société informelle car en général, les migrants savent qui est parti en mer. Ils peuvent donc être très utiles au moment de l’identification. Après quoi, un proche ou un ami du migrant décédé est chargé de passer alors devant le procureur du roi.

À l’issue de cette procédure juridique, c’est la commune qui donne l’autorisation de l’enterrement dans un cimetière catholique, s’il était chrétien ou dans un cimetière musulman, s’il était musulman. Mais pour rapatrier les corps dans le pays d’origine, il faut l’autorisation de l’ambassade.

 

Cimetière où des migrants sont enterrés par le père Jérôme à Nouadhibou, en Mauritanie. Photo de Laeticia Tura.

Mais la majorité des corps ne sont en fait jamais identifiés. Certains migrants ne s’arrêtent pas à Tanger avant de partir en mer et de fait, ne sont pas connus des autres migrants. Dans ce cas, le travail d’identification est donc quasiment impossible.

"Sans corps, le deuil est impossible pour les familles"

Hicham Rachidi est secrétaire général du GADEM, association dont l’objectif est notamment d’influencer les politiques publiques relatives aux droits des migrants et des étrangers au Maroc. Son association suit de près la prise en charge des sépultures des migrants.

Le pire pour les familles, c’est de ne pas savoir. Le deuil devient impossible. Je me souviens de cette femme marocaine qui, chaque semaine, allait voir une voyante. Tant qu’elle ne voyait pas le cadavre de son fils, elle le croirait vivant, disait-elle. En général, les corps sont enterrés là où ils sont retrouvés. Il est très rare qu’ils soient rapatriés car cela coûte très cher.

En 2004, il y avait eu une intervention du cabinet royal pour rapatrier 43 corps de jeunes marocains échoués en Espagne. L’opération était très onéreuse et a duré des mois. Ils ont fait des tests ADN avec les familles, rapatrié les corps et organisé des sépultures. Le seul rapatriement a coûté 2 800 euros par cadavre. Mais ce n’est pas systématique. Des Marocains sont morts noyés au large de Soussa en Tunisie. Les corps n’ont jamais été rapatriés. C’était très difficile pour les familles. Elles ont vu le corps de leurs proches dans les reportages de TV5 monde mais jamais en vrai.

 

"Sans identification, c’est la commune qui prend en charge l’enterrement sous X"

Aujourd’hui, pour un ensemble de raisons, l’immigration clandestine des Marocains est moins importante. Et s’ils quittent le Maroc, ce n’est pas à bord des embarcations. La majorité de ceux qui tentent leur chance sont des migrants d’Afrique subsaharienne. Il est désolant de voir le nombre de cadavres que la mer recrache chaque année. Ils sont le plus souvent placés dans des chambres froides mais les capacités sont limitées. Les cadavres restent parfois des mois à attendre une éventuelle identification. Et quand ça n’aboutit pas, c’est la commune qui prend en charge l’enterrement, qui est fait "sous X".

 

Cimetière de migrants non identifiés, au Maroc. Photo du GADEM.

S’ils sont identifiés, la charge revient aux familles et aux proches. Il faut savoir qu’un enterrement catholique coûte environ 800 euros à Casablanca. Souvent, des membres de notre association contribuent pour aider les familles ou les proches à payer l’enterrement. Le rituel est moins onéreux chez les musulmans. Il suffit d’une ambulance pour transporter le corps, d’un linceul et de creuser un trou. En dernier recours, ils ont toujours une place dans un cimetière musulman.

Nous faisons des propositions concrètes pour tenter de remédier à ce problème des corps non repêchés. Les navires commerciaux qui prennent le temps de sauver des migrants en mer devraient avoir des bonus par leurs assurances. Il faut les inciter à sauver des personnes en danger. Beaucoup ne font que passer à côté des embarcations. Et pour les demandeurs d’asile, il faudrait créer un corridor pour leur permettre d’arriver sain et sauf de l’autre côté de la Méditerranée.

Billet écrit avec la collaboration de Dorothée Kellou, journaliste à France 24.

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