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Expérimentation animale, une barbarie injustifiée - 11,5 millions d’animaux cobayes par an

Image réalisée en octobre 2014, par les associations BUAV et Soko, lors de leur infiltration dans les laboratoires d'un Institut allemand.
Image réalisée en octobre 2014, par les associations BUAV et Soko, lors de leur infiltration dans les laboratoires d'un Institut allemand. © DR
Par Anne-Cécile Beaudoin

Chiens, chats, chevaux, oiseaux, primates… chaque année, en Europe, 11,5 millions d’animaux servent de cobayes dans les laboratoires. Aujourd’hui, une partie de la communauté scientifique dénonce cette pratique cruelle et dresse un constat accablant. Il existe d’autres méthodes pour tester les recherches : des biotechnologies plus prédictives pour l’homme. 

En octobre 2014, après sept mois d’infiltration au sein des laboratoires de l’Institut Max-Planck de Tübingen, les associations de défense des animaux BUAV (Angleterre) et Soko Tierschutz (Allemagne) livraient ces images insoutenables : des macaques rhésus prostrés dans leur cage, le visage ensanglanté par les trépanations, le crâne surmonté d’un implant en titane pour accéder directement et de manière permanente à leur cerveau. On croyait ces horribles photos hors d’âge. Mais le constat est là, rien n’a changé. Pourtant, rien n’est plus pareil : l’Initiative citoyenne européenne (ICE), lancée en 2013 pour demander à la Commission européenne de mettre fin à l’expérimentation animale et de rendre obligatoire l’utilisation des méthodes substitutives plus pertinentes pour l’homme, a recueilli plus de 1,2 million de signatures.

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La Commission doit publier sa réponse dans les semaines qui viennent.« L’expérimentation animale est la préhistoire de la science », explique le Pr Claude Reiss. Ancien directeur de recherche au CNRS, il a cofondé le comité Antidote Europe. Objectifs : informer à propos des dégâts de l’expérimentation animale sur la santé humaine et sur l’environnement, et promouvoir les méthodes substitutives. Il poursuit : « Utiliser des animaux comme modèles biologiques de l’être humain est un non-sens. Une espèce ne peut pas prédire l’effet d’une substance ou d’un médicament sur une autre espèce : c’est une loi de la biologie. Le chimpanzé, dont le génome présente 98,5 % d’homologie avec celui de l’homme, est insensible au virus du sida. Il est aussi peu affecté par le virus de l’hépatite B et meurt d’Ebola. » Un modèle aléatoire, donc.

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L’arche de Noé a échoué en enfer

Autres exemples : le persil tue le perroquet alors qu’il a des propriétés anticancéreuses pour l’homme, le paracétamol empoisonne le chat, etc. Et les animaux ne souffrent pas de nos modes de vie : tabagisme, alcool… « Quant au rat, utilisé pour évaluer un médicament, il ne sera jamais un homme de 70 kilos ! alerte Claude Reiss. La preuve : les effets secondaires des médicaments sont la quatrième cause de mort en France après les crises cardiaques, le cancer et les attaques cérébro-vasculaires. En 1997 on parlait déjà de 18 000 morts, plus que les accidents de la circulation ! » Aujourd’hui, le Pr Bernard Bégaud, directeur de l’unité pharmaco-épidémiologie de l’Inserm à l’université de Bordeaux, avance la fourchette de 10 000 à 30 000 décès. « Je comprends mal pourquoi aucune étude sérieuse n’a été menée depuis près de vingt ans, s’étonne-t-il. J’en ai fait part dans le rapport sur la surveillance et la promotion du bon usage du médicament, commandé par Marisol Touraine, en 2013. Je n’ai jamais eu de retour. » Joint par téléphone, le ministère de la Santé nous explique que « c’est difficilement quantifiable »…

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Les experts du ministère de la Recherche ont refusé de nous rencontrer pour évoquer les tests scientifiques sur animaux. Il faut donc aller pêcher les documents. Ainsi apprend-on, dans le 7e rapport de la Commission européenne publié le 5 décembre 2013, que près de « 11,5 millions d’animaux ont été utilisés en 2011 à des fins expérimentales et scientifiques en Europe ». La France, qui a fourni des données pour 2010 – contrairement aux autres pays membres –, fait partie des champions avec 2,2 millions d’animaux utilisés. Sur les 11,5 millions d’animaux, les rongeurs et les lapins représentent 80 % du nombre total, les souris 61 %, suivies par les rats, 14 %. Viennent ensuite les animaux à sang-froid (reptiles, amphibiens, poissons) 12,5 %, les oiseaux 5,9 %. Il y a aussi les chevaux, les ânes, les porcins, les caprins, les ovins et les bovins, les carnivores (qui incluent chats et chiens) et les primates « non humains » (depuis 1999, aucun grand singe n’a été officiellement utilisé en Europe). L’arche de Noé a échoué en enfer.

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Pour quelle utilité ? Plus de 60 % des animaux ont servi à la recherche et au développement pour la médecine humaine et vétérinaire, pour la dentisterie et dans les études de biologie fondamentale (c’est-à-dire la recherche du comment ça marche, sans visée pharmaceutique) ; 14 %, pour la production et le contrôle de qualité des produits et dispositifs employés ; 8,75 %, pour des essais toxicologiques et autres évaluations de sécurité. « Cancers, diabètes, autisme, Alzheimer, mucoviscidose… où sont les thérapies dues aux animaux de laboratoire ? interroge le Pr Claude Reiss. Le nombre des patients affectés par ces maladies a plus que doublé en dix ans. » Selon une étude britannique menée de 2002 à 2012 sur la maladie d’Alzheimer, 99,6 % des médicaments testés sur les animaux ont échoué sur l’homme. Et, en règle générale, « même quand les études animales suggèrent qu’un traitement sera efficace et sans danger, plus de 80 % des médicaments potentiels échouent quand on les teste sur les gens », reconnaît le chercheur américain Steve Perrin dans un article publié en mars 2014 par la revue scientifique « Nature ».

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"Aux scientifiques de trouver autre chose !"

Alors pourquoi persister ? « Parce que c’est comme ça qu’on a appris à faire, confie un chercheur. Et il faut bien publier, sinon vous finissez au placard ! » Alors on choisit un animal ciblé pour donner le résultat recherché. Témoin, la polémique autour des rats du chercheur Gilles-Eric Séralini : ils avaient développé d’énormes tumeurs après ingestion de maïs transgénique. Au-delà du terme OGM qui suscita l’effroi, on découvrit que l’espèce de rats sélectionnée était connue pour développer facilement des tumeurs. Certes, l’effet des ravages des OGM fut médiatiquement plus efficace. Aujourd’hui, la reproduction sur l’animal des pathologies humaines n’est plus moralement acceptable, et pas non plus scientifiquement pertinente. On nourrit les bêtes avec des aliments conçus pour développer la maladie ( safe-diets.com vaut le détour) ou on fabrique des mutants trangéniques. La souris par exemple, cet antique cobaye de laboratoire, a pris du galon artificiellement. Il y a la souris obèse, la cancéreuse, la diabétique et même la supersouris (qui ne parle pas encore !) à 16 000 euros, produite par l’Institut clinique de la souris, près de Strasbourg. « Il existe pourtant des moyens éthiques plus fiables et plus prédictifs pour l’homme, explique Arnaud Gavard, porte-parole du comité scientifique Pro Anima. Cultures de cellules et de tissus humains, modélisations informatiques… la palette est large et en plein développement. »

Le biophysicien Jean-François Narbonne et le chercheur en biologie cellulaire Christophe Furger, soutenus par Pro Anima, ont mis au point le programme Valitox qui permet de déceler la toxicité aiguë d’une substance sans passer par l’animal. Il est prouvé que ce test est fiable à 82 %, contre 65 % sur les souris. Valitox devrait donc être inclus dans le règlement européen Reach qui prévoit de tester, d’ici à 2018, 30 000 substances chimiques déjà présentes sur le marché, et d’épargner 9 à 16 millions d’animaux.

« Les méthodes substitutives sont intéressantes, concède François Lachapelle, chef du bureau de l’expérimentation animale à l’Inserm. Sur les 13 000 chercheurs de l’Inserm, 3 000 les utilisent en complément de l’expérimentation animale. Mais, pour la recherche fondamentale notamment, elles ne remplaceront jamais un organisme vivant, complet et autonome. » Les chercheurs de l’Institut Wyss de Harvard ont pourtant créé des organes sur puces, reliables entre elles, pour imiter la physiologie humaine. La révolution viendra donc des nouvelles technologies biomédicales. Mais suffiront-elles à changer les mentalités ? « L’animal de laboratoire est tellement ancré dans la recherche qu’il est difficile de s’en défaire, constate Christophe Marie, porte-parole de la Fondation Brigitte Bardot. Il faut passer à la contrainte. Lorsqu’en 2009 l’industrie cosmétique n’a pas eu le choix et a dû arrêter de torturer les animaux, elle est passée à autre chose. Aux scientifiques de trouver autre chose ! »

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