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Le traité transatlantique "pourrait détruire 130.000 emplois en France"

Yannick Jadot , eurodéputé EELV.

Yannick Jadot , eurodéputé EELV. - Bertrand Guay - AFP

Yannick Jadot, eurodéputé EELV, est l’un des rares parlementaires européens à avoir accès aux documents servant aux négociations du traité transatlantique. Farouchement opposé au projet, il estime que les Etats risquent de perdre très gros dans ce dossier.

Alors que les négociations entre la Commission européenne et les Etats-Unis ont entamé cette semaine leur huitième round, les opposants au traité transatlantique (ou TTIP, ou Tafta) ne désarment pas. Yannick Jadot, eurodéputé EELV est l’un des seuls à avoir accès aux documents qui servent de base aux discussions. Pour BFMBusiness.com, il livre sa vision résolument pessimiste du dossier.

Le TTIP pourrait mettre en place des tribunaux d’arbitrage privé, pour régler les conflits entre les entreprises et les Etats. En quoi est-ce un problème ?

Juridiquement, cela n’empêchera pas les Etats de légiférer comme ils l’entendent. Mais si le risque de se faire attaquer existe, il y aura un refroidissement, une appréhension. Les multinationales pourront avoir une influence sur le pouvoir législatif en amont, et ainsi conclure des compromis. En cela, le mécanisme d’arbitrage privé amène à réduire l’ambition législative.

Ce mécanisme est-il réellement dangereux ?

Il faut se rendre compte que ces tribunaux pourraient donner tort au Conseil d’Etat, par exemple! D’autre part, quand on sait qu’une quinzaine de juristes ont, à eux seuls, réglé l’ensemble des différends dans le cadre des autres accords en vigueur dans le monde, cela pose question. Certains seraient juge un jour, et conseiller d’une entreprise le lendemain. Cela conduirait à un véritable affaiblissement juridique.

Comment cela pourrait-t-il se traduire concrètement ?

On peut imaginer que Syriza aurait été attaqué s’il avait remis en cause la privatisation du port du Pirée, par exemple. Mais aussi qu’Apple, qui a vu ses avantages fiscaux supprimés en Irlande, récupère les impôts qu'il a dû verser du fait de cette décision.

La Commission européenne a un temps évoqué un bénéfice de 0,5% de croissance, mais aussi de nombreux emplois supplémentaires…

Ces chiffres, la Commission n’ose même plus en parler. On s’est rendu compte que c’était 0,5% de croissance en plus, mais d'ici à 2027, c’est-à-dire 0,03% par an! En outre, une étude réalisée par l’université américaine de Tufts montre que l’adoption de ce traité détruirait 600.000 emplois en Europe, dont 130.000 en France. Il y aura des bénéfices, bien sûr, mais reste à savoir pour qui.

Pourquoi les négociations bloquent-elles ?

Du côté européen, les blocages concernent la protection des investissements (l’arbitrage privé) et la sécurité alimentaire. Et aux Etats-Unis, c’est l’ouverture des marchés publics qui pose problème. La fin du "Buy America" est une question sensible, et ne sera sûrement pas débloquée en 2016, année électorale.

L’opacité des négociations a vivement été critiquée. Cette situation a-t-elle évolué?

Il est vrai que les documents de la partie européenne sont désormais accessibles assez facilement. Mais cela ne concerne que la position de l’UE sur certaines questions. Le document consolidé, qui fait état des conclusions des négociations, n’est consultable que par une vingtaine de parlementaires. Pour moi, il ne sert quasiment à rien d’aller déchiffrer des centaines de pages complexes sans expert juridique à mes côtés. Et si Mathias Fekl, le secrétaire d’Etat au Commerce français, souhaite le consulter, il doit se rendre à l’ambassade des Etats-Unis. C’est donc une fausse transparence qui a été instaurée.