Sciences / Économie

Après la voiture électrique demain, la voiture à hydrogène après-demain?

Alors que la France s’engage tardivement dans la voie de la voiture électrique en installant un réseau de bornes de recharge, la voiture à pile à combustible, plus autonome, fait son apparition.

Une Toyota Mirai. REUTERS/Yuya Shino.
Une Toyota Mirai. REUTERS/Yuya Shino.

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La voiture électrique, qu’on présentait comme le véhicule de demain, va-t-elle se faire rattraper par la voiture d’après-demain? Celle-ci est également électrique. Mais alors que la première est propulsée par l’énergie accumulée dans des batteries rechargeables, la seconde produit elle-même son électricité.

C’est le grand retour de la pile à combustible, embarquée à bord du véhicule et dont le principe est connu depuis 1839: il associe l’hydrogène et l’oxygène pour produire l’électricité nécessaire à la propulsion, et ne rejette que… de l’eau.

On sait ce qui pénalise la voiture électrique: sa faible autonomie, de l’ordre de 150 km, ce qui la cantonne dans une fonction de voiture urbaine ou périurbaine. Dans la voiture à pile à combustible, ce problème disparaît. Car avec le réservoir à hydrogène installé à bord du véhicule comme un réservoir de carburant, la voiture à pile à combustible peut parcourir 500 à 700 km entre deux pleins. Et sans polluer. On croit rêver!

Les constructeurs asiatiques en pointe

Dans les faits, il existe de nombreuses autres contraintes et défis technologiques à surmonter. Mais d’ores et déjà, cette voiture électrique d’après-demain circule sur les routes, au Japon, depuis décembre dernier. Toyota, la première marque automobile à avoir commercialisé une automobile hybride avec sa Prius en 1997, innove à nouveau avec sa Mirai. Le japonais est donc au rendez-vous de 2015, fidèle au calendrier qu’il s’était fixé. On peut parier que les autres constructeurs vont, comme pour l’hybride, lui emboîter le pas.

Car tous ont exploré le concept, à commencer par le coréen Hyundai, qui commercialise également un modèle, et l’autre japonais, Honda, qui s’apprête à suivre. Daimler comme General Motors, BMW et Ford, ainsi que Volkswagen et Nissan ont des projets également avancés.

Il n’y a guère que les constructeurs français qui soient à la traîne, comme ils le furent d’ailleurs pour les technologies hybrides. Renault s’est focalisé sur la voiture électrique à batteries rechargeables, soutenu en cela par les pouvoirs publics. Comme pour l’électrique, le groupe s’appuie sur son allié Nissan, qui a conclu un accord avec Ford sur le sujet. Quant à PSA, qui avait travaillé avec le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) sur un prototype en 2006, il a dû procéder à des arbitrages budgétaires qui l’ont éloigné de cette technologie.

Bref, alors que d’autres constructeurs ont dépassé le stade du prototype et sont entrés dans un tour de chauffe qui va les conduire au lancement de leurs modèles, les deux groupes français ne semblent pas dans la course à la pile à combustible.

Il est vrai que, comme pour la voiture électrique, la voiture à combustible ne pourra décoller que lorsqu’un réseau de distribution aura été mis en place sur les marchés où elle espère se développer. Sans possibilité de faire le plein facilement, inutile d’espérer commercialiser des voitures. Les ventes de voitures fonctionnant au GPL sont restées discrètes à cause de l’absence de réseaux de ravitaillement, comparativement aux réseaux de distribution de carburant.

Faire le plein, un gros problème

Cette problématique de l’infrastructure se pose aussi bien pour des bornes de recharge électrique que pour des installations d’approvisionnement en hydrogène. La loi pour la transition énergétique portée par Ségolène Royal prévoit 7 millions de bornes de recharge pour voitures électriques en 2030 en France. Il n’en reste pas moins que recharger des batteries prend plusieurs heures et que l’autonomie d’une voiture électrique intégrale demeure réduite, induisant une utilisation spécifique du véhicule.

A l’inverse, même sous une pression de 700 bars pour pouvoir en embarquer une quantité importante, le plein d’hydrogène dans le réservoir installé dans le véhicule est réalisé en trois minutes dans la Toyota et confère une autonomie de 500 km à ce véhicule. Qui, de ce fait, peut être utilisé comme toute autre voiture de tourisme à moteur thermique. Un avantage bien réel.

Mais gros problème: il n’existe quasiment pas, à ce jour, de station service à hydrogène. On pourrait pourtant l’envisager: le groupe français Air Liquide, géant mondial de l’hydrogène, a travaillé sur le sujet. Il a même conclu un partenariat avec Hyundai pour perfectionner la technique sur des automobiles en grandeur réelle et pourrait dupliquer dans des stations services les installations qu’il a développées pour ses propres besoins. Total a aussi planché sur le sujet.

Mais compte tenu du coût d’une station de distribution d’hydrogène –de l’ordre du million d’euros aujourd’hui, selon Air Liquide–, aucun réseau d’approvisionnement ne pourra être mis en place sur le territoire sans un engagement financier des pouvoirs publics, à l’image des dispositions prises pour multiplier les bornes de recharges électriques.

Quel choix pour les aides d’Etat?

C’est là que le bât blesse. On voit mal, compte tenu des défis budgétaires, les décideurs publics ouvrir deux chantiers presque concurrents pour promouvoir simultanément la voiture à hydrogène et la voiture électrique. D’autant que le véhicule hybride (propulsion thermique + électrique) offre une autre voie pour progresser vers des voitures moins polluantes et que ce compromis est encore loin de la maturité en France (à cause de la priorité longtemps donnée au diesel).

Ainsi, même si d’importants progrès ont été réalisés sur la pile à combustible, notamment pour que cette technologie soit proposée à des prix accessibles, quoiqu'encore élevés (à 50.000 euros au Japon, le succès de la Mirai de Toyota à son lancement a été trois fois plus important que prévu par le constructeur), cette technologie risque de ne pas s’imposer en France. Pas à cause de la technologie elle-même, mais de l’absence de réseaux d’approvisionnement.

On doit aussi considérer que le système de la pile à combustible n’est pas aussi écologique qu’il n’y paraît, puisque la production d’hydrogène à partir d’hydrocarbures aujourd’hui entraîne des émissions importantes de CO2. Mais selon le CEA, d’autres gisements existent pour produire cet «or blanc», par électrolyse de l’eau à l’aide de l’énergie fournie par les éoliennes (la nuit, par exemple, lorsque cette énergie n’est pas utilisée) ou par récupération de l’énergie thermique dégagée par les centrales nucléaires. Il est donc tout à fait concevable de rendre la pile à combustible encore plus écolo-compatible.

Ainsi, sous réserve de pouvoir s’appuyer sur une infrastructure adaptée à l’approvisionnement des véhicules, la voiture propre d’après-demain pourrait très vite rattraper voire dépasser la voiture propre de demain. D’autant que, si les prix sont élevés, ils portent sur des véhicules plus polyvalents que les automobiles électriques intégrales et qui, à ce titre, peuvent supporter un différentiel à l’achat. Sans parler de la subvention de l’Etat qui devrait s’appliquer à la voiture à pile à combustible comme à l’hybride ou l’électrique, et des économies d’échelle que les constructeurs pourraient répercuter en augmentant les volumes de production –Toyota espère abaisser le prix de sa Moira à 20.000 euros d’ici à 2020.

Mais pour l’instant en France, sans lobby automobile pour promouvoir l’hydrogène, la pile à combustible demeure dans les limbes quand d’autres pays (Japon, Etats-Unis en Californie, Allemagne, mais aussi Danemark et Grande-Bretagne) réfléchissent à la façon de l’introduire. Après avoir buté sur l’hybride, la France pourrait regretter de fonctionner trop souvent dans l’automobile avec une technologie de retard… sauf dans le département de la Manche, qui fait office de poisson-pilote en la matière. Et, heureusement, des start-up comme Symbio FCell en Rhône-Alpes, soutenue par Michelin, se positionnent sur des applications de cette technologie dans l’automobile.

Cet article est publié dans le cadre d'un dossier innovation en partenariat avec le prix EDF Pulse.

 

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