INTERNATIONAL -
- "D'où viens tu ragazza ?" me demande le chauffeur de taxi qui me conduit à l'aéroport de Bologne, en Italie.
- "D'Ukraine", je réponds.
- "Bene, d'Ukraine. On entend beaucoup parler de l'Ukraine en ce moment". Ses yeux sombres aux longs cils me fixent dans le rétroviseur.
Je lui réponds en le regardant droit dans les yeux, certaine qu'il partage mes positions anti Poutine.
- "Oui, c'est une période difficile pour les Ukrainiens".
- "Les Nazis sont partout en Ukraine, même au Parlement!" déclare-t-il soudainement.
La conversation fut longue, et sa finalité importe peu. Ce qui est intéressant en revanche, c'est que la fervente supportrice que je suis de Maïdan et de tous les changements récents dans la politique Ukrainienne, ait ressenti de la gêne à défendre ses positions face à ce chauffeur de taxi Italien abreuvé de propagande Russe anti Ukraine, largement relayée par la presse Italienne comme j'ai pu le découvrir. Ce sentiment d'embarras était sans doute dû aux nouvelles d'Ukraine que j'avais lu avant d'entamer ce débat avec ce chauffeur de taxi Italien volubile en politique.
Les nouvelles revenaient sur le projet de loi défendu par le Ministre de la Justice Ukrainien Petrenko, visant à interdire "l'idéologie communiste" en Ukraine, afin d'opérer à la "dé-communisation" du pays, évoquée quelques mois plus tôt à Kiev. Une longue déclaration du ministre détaillait et justifiait l'initiative, émanant des portails gouvernementaux. Il s'agissait selon lui "de condamner les régimes totalitaires communistes et nazis en Ukraine, d'interdire leurs propagandes et de dé-classifier les archives des autorités communistes répressives". Quelques jours plus tard, le Parlement adoptait la loi sans même en débattre.
Cette déclaration ne fait pas que heurter mes racines Marxistes - c'est d'ailleurs une offense que je suis facilement prête à pardonner -, elle rend surtout impossible de défendre les changements de pouvoir Ukrainien en arguant qu'ils apporteront la démocratie et la liberté d'expression, dans un pays occupé par l'ours Russe affamé Poutine. Louer depuis Maidan le caractère sacré de la démocratie que les Ukrainiens espèrent si ardemment, et se rendre coupable, dans le même temps, d'un acte aussi anti-démocratique qu'interdire une idéologie politique (à défaut de punir comme il se doit les responsables, communistes ou non,d'actes criminels) relève d'un très haut niveau d'hypocrisie. Cependant, ce qui apparaît au premier abord comme une manœuvre politique insensée a ses objectifs.
Je soupçonne qu'en période de guerre et d'instabilité politique et économique, quand la paix immédiate est impossible et que le prix de la nourriture augmente de 53% (rapporté par Pravda.com.ua), il est plus commode d'exciter la population à un patriotisme primitif que de l'impliquer dans une prise de décision démocratique. On offre à la population un ennemi de la nation invisible à combattre contre lequel diriger sa colère. Il me semble que le "fantôme du communisme" remplit cette mission pour certains politiciens Ukrainiens. A l'instar du ministre Petrenko ils usent de l'Histoire comme d'un matériau brut, permettant de créer de nouvelles idéologies politiques pour servir de nouveaux régimes. La réputation objectivement négative que le communisme hérite de l'Histoire de l'Union Soviétique, et son association facile à la dictature de Staline, deviennent des instruments dans le combat idéologique qui oppose aujourd'hui l'Ukraine à la Russie. La tentative ukrainienne de comparer tous les Russes à des communistes staliniens est aussi ridicule que la propagande de Poutine qui consiste à comparer tous les politiciens ukrainiens, y compris le Président Poroshenko, à "Bandera", le célèbre leader nationaliste ukrainien.
Pour ceux d'entre vous qui ne voient toujours pas le paradoxe entre la promotion de la démocratie et l'interdiction de l'idéologie communiste, au prétexte des ravages du communisme en Union Soviétique, laissez-moi vous dire que cette vision, en plus d'être erronée, est extrêmement dangereuse. Reconnaître la nocivité d'un régime dictatorial quelle que soit son idéologie est un devoir pour un pouvoir démocratique. Cependant, interdire une pensée telle que le communisme, n'ayant jamais incité à haine, appelé à la violence ou nié le droit à l'indépendance d'une nation, n'engendre rien d'autre qu'une dictature idéologique.
Cette tentative de prohibition de la pensée communiste est un acte politique extrême du Premier Ministre Ukrainien Yatsenuk, déjà accusé de corruption. Le Premier Ministre a lui-même demandé au Parlement d'adopter cette loi et d'interdire simultanément les idéologies communistes et nazies, qui constituent selon lui "des idéologies contre l'Humanité". La loi adoptée interdit les symboles communistes au même titre que les symboles nazis, et met le parti communiste Ukrainien au rang des groupes criminels.
Je n'abuserais pas votre temps en analysant l'origine des idées derrière une telle déclaration ou en en commentant le potentiel intellectuel, mais je souhaite en pointer les dangers. Interdire le communisme en Ukraine libère un espace aux groupes d'extrême droite, tels que "Pravuy Sector" qui, bien qu'encore très limité et faible, peut, dans ce contexte, aisément gagner en popularité, en influence et en pouvoir. Toutes ces mauvaises parades pour endiguer le conflit servent la propagande Russe anti-Ukraine relayée par les médias de Poutine et permettent la propagation de mensonges jusqu'aux oreilles d'un chauffeur de taxi italien qui en vient à parler de "Nazis au Parlement Ukrainien". En conséquence, les chances pour les ukrainiens en souffrance d'obtenir un soutien international s'amenuisent fatalement.
Quand je vois qu'au même moment les socialistes français attaquent le droit à la vie privée et à la liberté d'expression de ses citoyens, les partis d'extrême droite à travers l'Europe s'auto-proclament soudainement "démocratiques" et le nouveau gouvernement pro-européen d'Ukraine déclare créer une société démocratique en instaurant une dictature idéologique, je me dis que le système a été vicié de l'intérieur, et que nous sommes à l'apogée de la confusion idéologique et des manipulations politiques à travers le monde.