Billet de blog 12 décembre 2013

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Laurence De Cock

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Réforme Peillon : des enseignants piégés dans un dangereux chantier

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Rédacteurs/rédactrices : Laurence De Cock (lycée), Véronique Servat (collège), Cécile Gintrac (CPGE), Servane Marzin (lycée), Eric Fournier (lycée), Fanny Layani (collège), Guillaume Mazeau (MCF), Samuel Kuhn (collège), Laetitia Leon-Benbassat (lycée),

Les amateurs de stratégie politicienne peuvent se frotter les mains. C’est un très joli coup qui vient d’être joué ; de ceux qui laissent le partenaire de jeu dans l’état de stupeur du débutant contemplant l’étendue du gâchis d’une partie à peine entamée.

Beaucoup d’enseignants, de tous les cycles, se retrouvaient dans le diagnostic de l’accélération du démantèlement du peu qu’il restait de notre idéal éducatif. Nous constations, impuissants, la violence avec laquelle ‑de plus en plus vite, de plus en plus tôt‑  un système procède à la sélection et au tri de la jeunesse, marginalisant les élèves en difficulté, et réservant ses meilleurs moyens aux élèves les plus doués. Nous nous entendions assez bien sur le constat d’un mépris des enseignants produit par l’amoncellement de réformes sans consultation, par la dégradation des conditions de travail, par la suppression de la formation, le gel des salaires, les programmes infaisables ; toute cette réalité funeste qui, sous les doux auspices de l’austérité, produit de plus en plus de souffrance au travail.

Soucieux de voir le système éducatif mieux fonctionner, mais aussi très inquiets face à l’enracinement d’un profond malaise au sein de leur profession, tous les enseignants attendaient donc beaucoup du « changement maintenant ».

Nous avons récemment appris par canal médiatique que trois chantiers étaient menés simultanément : programmes, éducation prioritaire, et statuts-métiers-missions des enseignants. Les trois, d’une importance égale et considérable sont encordés : les nouveaux programmes accompagneront donc une réflexion sur le statut de l’enseignant et ses pratiques professionnelles dans et hors la classe. Sur le fond, pourquoi pas.

Sur la forme, nous aurions pour le moins apprécié que soient tenus à la lettre les engagements du ministre en la matière. Car Vincent Peillon, en février dernier, a publié, ses intentions concernant l’école que nous pouvons considérer comme des écrits programmatiques[1].

Les conditions d’une réforme efficace reposent, selon lui sur la condition « que l’on se donne la peine d’une réflexion sereine, collective, et argumentée ».

On s’étonnera donc, avant même d’aborder le contenu, de cette précipitation autoritaire de la réécriture du décret de 1950 dont les finalités n’ont été ni débattues, ni négociées avec les partenaires sociaux mais présentées, formellement, avant de devoir être adoptées en février prochain. On sait d’avance que le ministère n’acceptera donc que les propositions les moins coûteuses : le recul ou les avenants négligeables au contrat.

Question « sérénité » des débats, on peut dire indéniablement que nous en avons pour notre compte. La manière avec laquelle s’est orchestrée la discussion (fort légitime) sur les inégalités scolaires est un modèle du genre : il fallait un diagnostic (PISA), des coupables (les politiques précédentes, les pesanteurs du système perpétuées, à leur corps défendant, par des enseignants crispés sur leur obsolète statut), des solutions (désigner à la vindicte les plus privilégiés d’entre eux).

On savait que se délieraient chez certains professeurs de CPGE les langues les plus  farouchement opposées à toute indexation du métier aux réalités de l’urgente démocratisation scolaire à construire. Ainsi suffirait-il de montrer publiquement du doigt ces « nantis réacs » pour prouver que leur appartenance au corps enseignant n’est qu’une alliance de façade.

La manœuvre est subtile. D’abord parce qu‘elle rend invisibles les collègues de CPGE soucieux de fédérer les cycles[2], ensuite car il nous a fallu beaucoup de patience et d’auto-contrôle  pour ne pas répondre à certains de nos collègues CPGE interviewés dans les médias ainsi qu’aux tribunes indigestes vantant les derniers bastions des hussards noirs de la république . Leur répondre en effet que les week-ends de nombreux professeurs sont, autant que les leurs,  occupés par la correction de copies, par la préparation de séances pour des classes de plus en plus nombreuses, par l’angoisse du lendemain pour les cours difficiles ; à leur répondre enfin que beaucoup d’enseignants, vacataires, certifiés, agrégés, passent de nombreuses heures de concertation, de régulation, de tête à tête avec leurs élèves, ou de discussions avec les parents. S’il y a bien une réalité partagée par tous, c’est l’alourdissement de nos charges de travail.

Quel piège nous a tendu ici un ministre qui pourtant fustige dans son livre les méthodes de ces prédécesseurs :

« On prend à partie une opinion publique qui voit bien que quelque chose ne va pas ou ne va plus dans notre école, sans pour autant l’informer des études et des analyses de plus en plus sérieuses objectives qui existent pourtant ».

Et rappelle plus loin tout le respect qu’il nous doit :

« On ne peut vouloir que les enseignants soient respectés et qu’ils enseignent le respect à leurs élèves, qu’ils soient attentifs, exigeants à l’égard d’eux-mêmes, justes dans leurs appréciations, quand on ne fait pas preuve soi-même de respect à leur égard. »

Le respect passe par la légitimation de la parole du terrain. Saisir cette parole ne peut se faire par le biais de consultations administratives, formelles, codifiées dans des QCM indigents dont on sortira le plus rapidement possible une « synthèse ».

Le respect passe par la reconnaissance de l’expertise professionnelle de ceux qui portent et se saisissent d’un métier et ne se contentent pas d’être les simples exécutants d’un empilement de décrets.

Le respect passe enfin par la décence de ne pas s’essayer à une mise en concurrence de tous les chaînons de notre système éducatif, de la maternelle à l’Université, en culpabilisant les uns de leurs soi-disant échecs (le primaire, le secondaire, l’université), les autres de leurs soi-disant succès (les CPGE).

Et pourtant, chacun des chantiers est fort mal engagé.

Celui de la réécriture des programmes était urgent. Mais, là encore, on sait déjà que le calendrier, calé sur le rythme politicien ne collera pas avec celui de la profession, ce qui augure une mise en œuvre à marche forcée.

Le chantier de l’éducation prioritaire est lui amorcé de façon très bancale. Les journées de concertation qui ont eu lieu ont montré pourtant que les acteurs de terrain avaient des propositions à faire. Au moment des assises, cette parole a été confisquée et travestie par la technocratie administrative de l’éducation nationale. Cette même administration qui, à l’échelon académique,  expliquait aux collègues en grève d’un collège de Bobigny de 500 élèves que l’obtention d’un demi  poste de CPE supplémentaire était inenvisageable car le département était fort bien doté[3].

Restent enfin les «fameux « statuts ». Une fois encore, il faut aller vite, trop vite. Il est évident que les fameux « statuts de 1950 », dont chacun reconnaît le caractère obsolète, doivent être repensés à l’aune de la massification du système scolaire et des transformations des métiers depuis 60 ans. Or, dans le projet soumis la semaine dernière, si le travail invisible des enseignants est explicitement cité, cela ne se traduit ni par une revalorisation des salaires, ni par une revalorisation des primes, ni par un véritable temps de décharge. Rien qui permette une reconnaissance autre que verbale de cette charge de travail hors du cours, alors que son poids n’a cessé de s’accroître. Le ministère refuse ainsi de considérer  réellement les difficultés croissantes de ce métier.

Dans ce contexte de méfiance, qui pourra par ailleurs nous assurer que cette réforme du métier n’annonce pas une annualisation du temps de service et une augmentation du temps de présence dans les établissements ?

A-t-il déjà été dit clairement que certains enseignants, pour garder leur plaisir du métier, ont besoin de quitter un tant soit peu leur établissement ? Est-ce un blasphème d’affirmer haut et fort que le métier d’enseignant requiert également un détachement psychologique et géographique du quotidien, au mieux fatigant, au pire épuisant, de leur lieu de travail ?

Qui a déjà enseigné dans quelques quartiers relégués du territoire comprendra très bien que la qualité d’enseignement dépend également de la quantité d’oxygénation.

Il va de soi que ces questions se posent avec encore plus d’acuité dans l’éducation prioritaire déjà bien mal lotie. Sur ce point, avoir dressé les enseignants les mieux payés contre ceux qui connaissent une forte pénibilité du travail n’est pas une mesure de refondation, mais une pathétique mesure de diversion.

Pourquoi ne discute-t-on pas du fond de cette refondation des statuts qui n’est qu’un emplâtre sur une jambe de bois ? Pourquoi refuse-t-on dans ce pays de faire de l’éducation une véritable priorité économique ? Pourquoi les Universités croulent-elles sous les dettes et le Secondaire précarise-t-il de plus en plus ses personnels ?

« Je considère que les professeurs doivent pouvoir être mieux payés. Je considère que leurs carrières doivent pouvoir être diversifiés et rendues plus attractives et moins difficiles (…) il faut être capable aujourd’hui d’ouvrir une grande négociation pour permettre la redéfinition du métier, c’est à dire des obligations de service, des déroulements de carrière, de l’évaluation des personnels et, bien entendu de façon liée, des rémunérations. »

Dans ce projet fort louable, il semble qu’une dimension de la refonte soit passée à la trappe, sacrifiée une fois de plus sur l’autel de l’austérité et de l’urgence politique. On aurait pourtant apprécié que l’ultime promesse ministérielle soit tenue :

«  Je n’ai pas de carrière à faire. Mais j’ai quelques convictions »

 De notre côté, nous avons encore beaucoup d’attentes.


[1] Vincent Peillon, Refondons l’école pour l’avenir de nos enfants, Seuil, 2013. Toutes les citations en italique sont tirées de l’ouvrage.

[2] Lesquels n’ont pas non plus été entendus vraisemblablement par la coordination des CPGE qui n’a réclamé que le retrait du volet CPGE de la réforme http://www.netvibes.com/coordinationcpge2013#La_reunion_de_la_CCP_au_ministere

[3] http://delaune-en-greve.blogspot.fr/2013/11/communique-de-presse-9-le-rectorat-de.html

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