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Paula Radcliffe, marathon woman

A 41 ans, la Britannique Paula Radcliffe disputait sa dernière compétition officielle dimanche 26 avril, devant son public à Londres, là où elle avait établi le record du monde de la discipline il y a douze ans.

Par  (Envoyée spéciale à Monaco)

Publié le 21 avril 2015 à 18h17, modifié le 26 avril 2015 à 17h00

Temps de Lecture 7 min.

Paula Radcliffe, le 26 avril 2015, lors du marathon de Londres.

Elle a si souvent couru seule, loin devant les autres, que l’expérience a forcément dû être singulière. Dimanche 26 avril, Paula Radcliffe a bouclé, en 2 h 36 mn 55 s, ce qui pourrait être son dernier Marathon de Londres dans la foule des anonymes. Ou presque.

Recordwoman du monde de la distance depuis avril 2003 sur ce même parcours en 2 h 15 min 25 s, la Britannique de 41 ans, qui souhaitait faire chez elle ses adieux à la compétition officielle, s’élançait pour une fois avec le groupe placé après les élites.

« Puisque je ne peux pas courir vite, je vais profiter enfin de l’ambiance festive de l’épreuve, raconte Paula Radcliffe quand on la rencontre, quelques jours avant la course, une orange pressée à la main à la terrasse de l’Ariston Bar, à Monaco où elle s’était réfugiée après l’échec des Jeux d’Athènes en 2004 et qu’elle n’a plus quitté depuis. J’espère que les autres concurrents ne zigzagueront pas trop. Je suis certaine qu’à l’arrivée, je ne serai pas contente de mon chrono. »

La Britannique a pu se consoler avec le gâteau géant qui l’attendra à l’arrivée, elle qui n’a plus couru 42,195 km depuis sa troisième place à Berlin en 2011 (2 h 23 min 46 s) et traîne depuis vingt ans une blessure dont les médecins ont découvert tardivement l’origine.

Deux ans après son titre de championne du monde junior 1992 de cross-country, Paula Radcliffe se met à sérieusement souffrir du pied gauche. En 2012, les explorations révèlent qu’il s’agit d’une fracture de fatigue de l’os naviculaire non diagnostiquée à l’époque. « La fêlure ne s’est jamais totalement consolidée », explique Paula Radcliffe. Au fil des années sont apparues des douleurs arthritiques ; le cartilage a finalement cédé peu avant les Jeux de Londres et, en août 2012, au lieu de courir « son » marathon olympique, l’athlète subit une greffe osseuse. « J’ai été incapable de faire même un footing léger jusqu’en avril 2013, se souvient-elle. Mon pied va beaucoup mieux mais il ne fonctionnera plus comme avant. » C’est également à cette blessure qu’elle doit d’être en délicatesse avec ses tendons d’Achille de manière récurrente.

Le Marathon de Londres est son Graal depuis que, à l’âge de 11 ans, elle est venue y encourager son père, marathonien amateur. Elle l’a gagné dès sa première participation, en 2002, avant d’y établir l’année suivante un record du monde qui résiste depuis douze ans. Du coup, son militantisme pour un athlétisme propre s’est partiellement retourné contre elle.

Paula Radcliffe au Marathon de Berlin en 2011.

Car Paula Radcliffe s’est toujours affichée en pourfendeuse du dopage. Dès 2001, aux Mondiaux d’Edmonton au Canada, la 4e du 10 000 m avait mis la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) en émoi en brandissant dans les tribunes une banderole fabriquée maison clamant : « Les tricheurs à l’EPO, dehors ». L’attaque visait la Russe Olga Yegorova, vainqueur du 5 000 m contrôlée positive quelques semaines plus tôt, mais autorisée à courir à cause d’un vice de procédure. L’Anglaise a ensuite arboré systématiquement sur ses brassières de compétition un ruban rouge témoignant de son opposition au dopage, comme d’autres signifient leur combat contre le sida.

Malgré les soupçons de tricherie dus à la longévité de son record, elle n’a jamais désarmé dans son combat contre le dopage. Egratignée par un article de presse concernant son titre européen et son record ­continental obtenus sur 10 000 m à l’été 2002 dans des conditions atmosphériques très difficiles, elle avait adressé à l’IAAF une lettre ouverte réclamant la congélation de ses prélèvements sanguins et urinaires pour des vérifications futures. Dernièrement, sur son compte Twitter, elle a fustigé son propre équipementier qui venait d’offrir un contrat au sprinteur américain Justin Gatlin, 33 ans, suspendu deux fois pour dopage dont une pendant quatre ans, entre 2006 et 2010. « La mentalité américaine veut que quand on a payé, c’est comme si rien ne s’était passé, s’insurge Paula Radcliffe. Gatlin n’est même pas repentant, il ­rirait presque au nez des gens. »

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Elle demeure cependant sceptique sur l’opportunité de rendre publiques les données du passeport biologique, dont les ­variations des paramètres sanguins permettent de détecter les conduites dopantes. « Cela risque d’engendrer des dérives, ­estime-t-elle. Les données qu’ils comportent doivent être soigneusement analysées par des experts ; les mettre entre les mains de n’importe qui donnerait lieu à des interprétations hasardeuses. »

Qu’on ne s’y trompe pas. Si cette grande blonde efflanquée court en dodelinant de la tête, c’est « une marque de fabrique, pas de fatigue ». On a repéré ce tic à l’occasion de ses deux victoires aux championnats du monde de cross en 2001 et 2002. Sur piste, elle a d’abord souvent échoué au pied du podium après avoir imprimé le « train » durant 24 des 25 tours que compte un 10 000 m. Ses explications animées avec Gary Lough à l’arrivée des courses étaient devenues un classique.

Mystérieuse blessure à la cuisse

Ancien miler sérieusement blessé à un ­genou alors qu’il préparait les JO d’Atlanta en 1996, ce dernier a renoncé en 1998 à une carrière internationale pour devenir le partenaire d’entraînement de Paula avant de l’épouser et de la coacher. Aux JO de Sydney, en 2000, il a mal vécu sa quatrième place sur 10 000 m. « J’avais donné mon maximum mais je n’étais pas encore assez forte, relativise-t-elle. Je suis une optimiste, et l’avenir était plein d’espoir et de promesses. »

« Montée » sur marathon à l’âge de 28 ans, Paula Radcliffe, forte de son record du monde, débarque aux JO d’Athènes en 2004 en grande favorite, mais avec un mystérieux hématome à une cuisse. « On n’a jamais su d’où ça venait », dit-elle. Un médecin le lui ponctionne mais elle ne supporte pas le remède prescrit contre l’infection. « J’étais ­incapable de me nourrir et de m’hydrater correctement, mais je n’ai rien dit pour n’inquiéter personne davantage, regrette-t-elle. Au départ, j’étais frigorifiée malgré la chaleur torride. Ma tête tournait, et j’étais incapable de suivre la ligne bleue [qui trace le parcours le plus direct du départ à l’arrivée], je me retrouvais sans cesse dans le caniveau. J’avais des absences. » Au 35e kilomètre, elle s’est ­affalée sur le trottoir pour pleurer sur son abandon. Elle a ensuite pris le départ du 10 000 m avant d’abandonner à nouveau.

« Je n’ai pas de titre olympique mais j’ai un palmarès dont je n’aurais osé rêver à mes débuts »

Ce fiasco grec a ébranlé son mari. Le couple a consulté un psychologue du sport, qui a trouvé madame plutôt à l’aise dans ses runnings tandis qu’il s’inquiétait pour monsieur. Les Radcliffe-Lough ont alors quitté l’Angleterre et ses médias impitoyables pour Monaco. « J’exprime mes émotions, explique Paula ; ainsi, j’évacue la tension et je vais de l’avant.Gary est plus renfermé, plus pessimiste, et il veut à tout prix me protéger. C’est la limite à laquelle se heurtent les coachs : s’ils peuvent évaluer d’un seul coup d’œil l’état de forme de leur athlète, ils n’ont pas ­accès à son intérieur, à son véritable ressenti. C’est vrai, j’ai culpabilisé de ne pas avoir ­gagné ce titre olympique, mais j’ai également compris que je ne pourrais jamais satisfaire tout le monde. » Aux JO de Pékin en 2008, blessée au fémur gauche, elle échoue à nouveau mais gagne à New York pour la troisième fois trois mois plus tard. « Je n’ai pas de titre olympique mais j’ai un palmarès dont je n’aurais osé rêver à mes débuts », note Paula Radcliffe qui, à l’âge de 7 ans, était anémique et asthmatique.

La préretraitée voudrait, à terme, continuer à servir son sport. Pourquoi pas dans les instances internationales ? Cela tombe bien, le 19 août, les fédérations nationales éliront le successeur du Sénégalais Lamine Diack à la tête de l’IAAF. En lice, l’ex-tsar ukrainien de la perche Sergueï Bubka, le lord anglais Sebastian Coe, champion olympique du 1 500 m en 1980 et 1984.

« Sergueï est un type super, mais je pense que Seb a une meilleure vision pour l’avenir de l’athlétisme et qu’il aura le courage d’engager des réformes ; je lui ai dit que j’étais prête à le soutenir de mon mieux s’il est élu, et que j’aimerais travailler avec lui », déclare Paula Radcliffe sans plus de précisions. En haut de la pile des dossiers qui attendent le futur président, on retrouve celui du ­dopage. A la suite de la diffusion, fin 2014, d’un documentaire de la chaîne allemande ARD sur un système de dopage généralisé en Russie et de nombreux cas dans 38 autres pays – avec la complicité présumée de l’IAAF –, une enquête a été diligentée par l’Agence mondiale antidopage et le comité d’éthique de l’IAAF. Par médias ­interposés, Paula Radcliffe a enjoint le réalisateur du film de « partager ses informations avec l’IAAF et l’AMA afin de mettre fin au climat de suspicion général ».

Avant la course, dimanche, elle comptait « faire appel à la mémoire de [son] corps » et s’inspirer de l’exemple de son époux : « Quand j’étais enceinte de notre fille, en 2006, Gary a couru le Marathon de Londres en 2 h 41 minsans avoir fait une séance de plus d’une heure au cours de sa préparation ».

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