Photo fournie le 4 août 2014 par la Marine italienne montrant un bateau de migrants secourus la veille en Méditerranée

Les trafiquants d'hommes défient directement les reliquats de l'Etat libyen.

afp.com/-

Ce n'est plus une hypothèse : la Libye est en train de devenir une véritable base de lancement à partir de laquelle des milliers de migrants, projetés à travers la Méditerranée par des trafiquants à la solde de cerveaux djihadistes, cherchent à atteindre l'Europe. En témoigne l'augmentation effarante des masses de désespérés, en provenance de toute l'Afrique, qui préfèrent prendre le risque de périr en mer plutôt que de retourner dans leur pays d'origine.

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Leurs points de concentration se situent le long des côtes libyennes, d'où partent vraisemblablement une dizaine d'embarcations par semaine, chargées de populations hétéroclites qui n'ont en commun que le fait de ne plus avoir rien à perdre. Il est impossible d'établir le nombre de ces boat people avec exactitude, mais, à l'approche de l'été, plusieurs centaines d'entre eux prennent la mer chaque jour, dans des conditions de navigation indescriptibles. Objectif, l'Italie, territoire européen le plus proche, qui a vu arriver sur ses rivages 170 000 d'entre eux en 2014.

Les trafiquants évoluent vers le terrorisme organisé

On sait à quelle espèce d'individus ils doivent verser le prix prohibitif d'une traversée cauchemardesque, qui représente souvent la totalité de leurs maigres avoirs, voire des emprunts d'infortune ; on sait moins que les trafiquants évoluent rapidement vers le terrorisme organisé. Tous les indices concordent pour estimer que ces derniers défient directement les reliquats de l'Etat libyen ; ils disposent d'armes et de matériels sophistiqués, qu'ils n'hésitent pas à employer contre les garde-côtes, et ont mis sur pied des sortes de groupes d'action, destinés à leur ouvrir la route en cas de barrage. Ils ne se cachent plus ; ils sont redoutés.

Plus que des filières, ce sont maintenant des milices, qui, à leur tour, ne demandent qu'à se rattacher aux groupes djihadistes pour renforcer leur ignoble business. Elles exploitent déjà, ou exacerbent, les haines interethniques ou interreligieuses qui règnent au sein même des migrants affamés, comme le montre un des derniers actes de barbarie. Il y a deux semaines, les autorités italiennes ont arraisonné un canot pneumatique à bord duquel s'était déroulée une rixe. En pleine nuit, une douzaine de chrétiens africains ont été jetés à la mer par des musulmans. L'horreur dans l'horreur.

Depuis le début de l'année 2015, on estime qu'au moins 1 000 clandestins ont péri noyés en Méditerranée ; il y a quelques jours, en un seul naufrage, près de 700 ont perdu la vie. Parmi les arrivants, on dénombre quelques centaines de mineurs, non accompagnés, qui ont parfois été incarcérés et torturés par les trafiquants.

Un moyen de déstabiliser l'Europe

L'incurie de la Libye, qui résulte de sa désorganisation complète et de son émiettement catastrophique, impacte l'Europe de manière croissante. Car le rapprochement entre les trafiquants d'hommes et les groupes djihadistes, qui est un objectif à avancée rapide, vise à utiliser la misère humaine, la marée des dépossédés de tout, comme un moyen de déstabiliser les démocraties.

En février, Daech revendiquait la décapitation au couteau de 21 chrétiens coptes, sur une plage de Libye, tout en associant à cette mise en scène apocalyptique un message éloquent : "Aujourd'hui, nous sommes au sud de Rome, sur la terre musulmane de Libye... cette mer dans laquelle vous avez caché le corps du Cheikh Oussama ben Laden, nous jurons devant Allah que nous allons la mêler avec votre sang." La menace s'adressait directement à l'Europe, qualifiée par les terroristes de "nation de la croix". Or cette dernière ne se défendra pas en restant seulement la gardienne de ses côtes.

Pour ses principaux Etats, il y a urgence à réagir en se projetant, en s'impliquant davantage à la source du problème et, surtout, en élaborant un plan d'ensemble courageux et ambitieux. Au lieu d'en rester à une "division du travail" complètement dépassée (à la France le Mali et le Sahel, à l'Italie la façade méditerranéenne...), il faut faire de la poudrière libyenne la priorité des priorités sur l'échelle des risques.

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