Se déclarer féministe à 20 ans, le comble du chic ? Pour les filles 2.0, le féminisme est plus qu’un retour de hype : c’est une évidence. Une seconde nature. Côté face, le féminisme swag est porté par des militantes de choc : Rihanna, Beyoncé, Miley Cyrus et Emma Watson. Sexy jusqu’au bout des seins, ces nouvelles icônes diffusent dans toutes les strates de la société l’idée d’un féminisme plus nécessaire que jamais. Côté pile, une nouvelle génération pragmatique prend la parole sur des sujets « de niche » ultraconcrets (la drague, le viol, le manque de respect…), via des Tumblr revendicatifs. « Une connexion Internet, voilà ce qui manquait pour créer une nouvelle vague de féminisme ! » ironise Ondine, étudiante de 25 ans et créatrice de #PayeTonUtérus. « Le Web fait souffler un vent de renouveau sur le militantisme, observe Benjamin des Gachons, directeur des campagnes de change.org [spécialiste de la pétition en ligne, ndlr]. Qu’il s’agisse de petits collectifs ou d’individus isolés, les nouveaux outils leur permettent de se faire entendre et de mobiliser en masse très rapidement. Avec parfois des effets immédiats, comme pour la taxe rose [lire cidessous “Les Georgette Sand”, ndlr]. »

Les groupes 2.0. passent et ne se ressemblent pas toujours. Dans le sillage hétéroclite des filles de La Barbe, Viedemeuf.fr, #PayeTaShnek ou #IVG_ JeVaisBien!, les petits nouveaux essaiment un peu partout en France, avec quatre points communs évidents : une défiance générale envers le féminisme institutionnel et politique, un refus de se positionner sur les débats idéologiques qui divisent leurs aînées (la prostitution, le voile et la GPA), une organisation horizontale et ultra participative, ainsi qu’un ancrage revendiqué dans la vraie vie. « Enfin il se passe quelque chose de neuf ! » se réjouit Marie-Jo Bonnet. Cette historienne et militante de la première heure voit d’un excellent œil cette récente ébullition : « Tout au début, dans les années 70, le féminisme était bien un mouvement de masse, un processus collectif de libération. On était rebelles, pas bien-pensantes, pas figées dans une pensée unique, on s’engueulait, c’était vivant ! Mais dans les années 80, le féminisme s’est politisé avec la création d’un ministère des Droits de la femme en 1981, le vote de lois tournant autour de l’égalité. Il s’est institutionnalisé encore plus dans les années 90, en devenant une matière enseignée à l’université, un savoir sociologique. Ainsi s’est-il peu à peu mué en une pensée très stéréotypée traversée d’oppositions souvent caricaturales, voire enlisé dans des débats stériles… A mille lieues des préoccupations quotidiennes de la base. » « Les lois existent, mais il faut s’attaquer aux mentalités, confirme Valérie Rey des Dé-chaînées. C’est nettement plus compliqué ! Il faut aussi en finir avec les débats parfois honteux des féministes officielles qui laissent à penser qu’il y aurait deux catégories de femmes, et que certaines pourraient décider à la place des autres où se place leur dignité. » Etat des lieux des dernières initiatives virales.

Les Georgette Sand

C'est un cas d'école. Comment, en un rien de temps, un collectif à peine éclos s’est retrouvé, fin 2014, au centre des discussions entre un ministre de l’Economie (Emmanuel Macron) et une secrétaire d’Etat chargée des Droits des femmes (Pascale Boistard) ? Sans doute en mettant le doigt là où ça fait mal : le marketing « genré », qui consiste à vendre un produit plus cher aux femmes qu’aux hommes. « Tout est parti du blog de la journaliste féministe Sophie Gourion qui relayait un article de “Forbes” montrant qu’en moyenne les femmes américaines dépensaient 1 400 dollars de plus que les hommes pour acheter des produits similaires, racontent Gaëlle Couraud et Ophélie Latil, les fondatrices. On s’est rendues au supermarché, et on a pris la mesure de cette taxe rose [un lot de rasoirs jetables packagés en rose pour femme est vendu plus cher que le lot des mêmes rasoirs pour homme, ndlr]. » Affligées, elles créent un Tumblr, une page Facebook, puis une pétition sur change.org qui recueille plus de 40 000 signatures. Depuis, Emmanuel Macron a lancé une enquête au sujet de cette « woman tax », mais les Georgette veulent aller plus loin : « Améliorer la visibilité des femmes dans la société et œuvrer à la déconstruction des stéréotypes. » Coquettes sans s’en laisser conter, elles ne se séparent jamais de leurs nœuds papillon dans les cheveux, « symbole de glamour chez les femmes et de sérieux autour du cou des hommes ». Au-delà des symboles, elles réfléchissent à la mise en place d’outils de coaching et de « mentorat », notamment dans les entreprises, « où c’est encore un non-sujet ».

Georgettesand.org

Stop au harcèlement de rue !

« Psst, mademoiselle, t’es bonne ! » Le jour où Héloïse Duché a réellement pris conscience du caractère sexiste de la formule, la thésarde en sciences de l’éducation est passée à l’action. Militante alter, ancienne de Jeudi noir et de Génération précaire, elle a lancé l’an dernier le hashtag #Stopharcelementderue (sur le modèle du #Stopstreetharassment américain) et créé une page Facebook. Rejoint par 80 personnes dont quelques hommes, le collectif parisien a essaimé à Toulouse, Mulhouse, La Rochelle, Lille… L’idée ? « Créer des zones “antirelous” dans les bars, les transports, les festivals, pour sensibiliser les gens, explique Héloïse. Les mouvements féministes plus installés ont du mal à faire descendre les thématiques dont on discute sur le Net dans la “vraie vie”. Tant mieux si, grâce à ce type d’actions, le féminisme, qui était devenu ringard, retrouve une forme de noblesse et redevient cool. » Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes vient de publier un rapport indiquant que chaque Française avait été harcelée au moins une fois dans les transports en commun. « Ne pas tout confondre. Etre sifflée dans la rue est plutôt sympa », a réagi sur Twitter la chef d’entreprise Sophie de Menthon, provoquant une vague de protestations ulcérées et ironiques sur le réseau social avec le hashtag #plutotsympa. Stopharcelementderue.org et aussi #safedanslarue et projetcrocodiles.tumblr.com

Colère : nom féminin

« Je suis impulsive, je m’emporte facilement », prévient Laura, étudiante, membre du collectif nantais qui a créé l’an dernier une série de T-shirts au slogan crâne : « Ta main sur mon cul, ma main dans ta gueule ». Tant mieux, on évite ainsi le jargon militant. Monté à l’initiative d’une dizaine de filles, Colère : nom féminin est né d’un ras-le-bol : « Nous n’avons pas envie d’être une “viande à viol” en libre-service dans la rue, pas envie que l’on demande à une fille ce qu’elle portait le jour où on l’a agressée, comme si elle était coupable a priori. » L’idée : vendre des supports portant des slogans punchy, comme « Et ta maman, tu la siffles ? » pour financer des cours d’autodéfense collectifs de type Krav Maga. Où donc finit la drague et où commence le harcèlement ? « C’est simple, explique Laura, la drague, c’est un échange. On la tente avec respect, sans insister. Sinon, c’est du harcèlement. Si je marche dans la rue avec des écouteurs sur les oreilles, je ne cherche pas l’homme de ma vie. Et je me fous de savoir ce qu’un mec sur le trottoir pense de ma tenue. » Quid du petit mot gentil ? « Les compliments, on s’en méfie, ajoute Laura, parce que ça va du “Mademoiselle, t’es bien jolie” à “T’es bonne, tu suces ?”. Vous connaissez beaucoup de femmes qui disent aux mecs dans la rue “Bonjour, vous êtes bien charmant aujourd’hui” ? » Sur Internet, Colère reçoit des mails d’insultes par paquets. Le collectif tient bon : « Parce que c’est la partie visible de l’iceberg du sexisme dans notre pays, où un député peut encore, à l’Assemblée nationale, imiter la poule quand une femme prend la parole [l’UMP Philippe Le Ray, pendant le discours de l’élue EE-LV, Véronique Massonneau, ndlr]. »

Facebook.com/colerenomfeminin

Macholand

 « Le déclencheur, c’était le manifeste des 343 salauds, raconte l’un des deux fondateurs, Elliot Lepers, étudiant de 23 ans. Des hommes connus se vantaient d’aller voir des prostituées : pour nous, c’était le pompon ! On a monté ce site pour s’attaquer au sexisme dans la vie publique. C’est dans la culture de masse que se perpétuent les stéréotypes et les clichés. » « La tolérance face au machisme ordinaire est de moins en moins grande, il faut que cela se sache ! » renchérit Clara Gonzalès, 22 ans, étudiante elle aussi et cofondatrice de macholand.fr. Très vite, Caroline de Haas, une «  vieille  » de 34 ans, à l’origine de Osez le féminisme !, rejoint l’association. Déjà vu par 300 000 visiteurs âgés de 18 à 35 ans, le site a une fonction de lanceur d’alerte : « On a commencé en dénonçant une pub Darty et en demandant à l’enseigne de la retirer, pétition à l’appui. On cherche à faire des actions concrètes, pour ne pas être dans l’incantation », explique Caroline de Haas. Entre pubs, clips, catalogues ou textes officiels, ils reçoivent une dizaine de signalements sexistes par jour. « Le Web est un levier fantastique, mais aussi une limite, constate Elliot Lepers. La lutte numérisée, où chacun est prêt à agir derrière son ordinateur, c’est très efficace pour mobiliser la société civile, mais il faut aussi que ça se concrétise… » Une première réunion publique a été organisée en décembre dernier, avec un mot d’ordre : la tolérance. « On recherche un pluralisme d’opinions sur les sujets qui fâchent, insiste le jeune féministe. L’idée n’est pas de nous enfermer dans des positions dogmatiques comme certains mouvements institutionnels, mais de fédérer des opinions différentes dans le cadre d’une grande envie commune. »