“Umm Abdo”, la websérie syrienne qui pilonne le régime de Bachar el-Assad

A peine croyable : une fiction tournée à Alep, en Syrie, dans laquelle une gamine évoque, comme si de rien n’était, la guerre, les destructions, les privations.

Par Erwan Desplanques

Publié le 30 avril 2015 à 15h27

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h37

Elle ne porte pas de gilet pare-balles, elle n’est pas journaliste. Racha a une dizaine d'années et nous informe sur la situation en Syrie comme personne. Les bombardements, la détresse de la population, l’espérance au milieu du chaos. Tout cela ressemble à un jeu d’enfant. Elle tchatche, témoigne, s’amuse, arpente les ruines, s’insurge. Elle semble être la dernière à croire encore à la fiction. Celle dont elle rêve pour le pays. Et celle qu’elle incarne dans cette websérie atypique, Umm Abdo, qui a rayonné sur les réseaux sociaux en 2014 avant d’être présentée en compétition la semaine dernière au festival Séries Mania.

C’est un spectacle étrange. Une succession de sketchs où la petite fille imite les mères syriennes en costume traditionnel, discute en faisant la lessive. Dans le premier épisode, elle reçoit un coup de fil d’une émission télé imaginaire — What’s your dream ? — qui lui propose de réaliser l’un de ses vœux. La fillette s’enflamme aussitôt dans un monologue drôle et habité : « Mon rêve ? Un pays en sécurité, effacer le mot réfugié du dictionnaire, vaincre le tyran, arroser les plantes sur le balcon, manger des graines et du pop-corn, éveiller la conscience des dirigeants internationaux... » En arrière-plan défilent des images de la ville d’Alep où la série a été tournée l’année dernière. Une ville toujours divisée entre partisans de Bachar el-Assad et rebelles. On aperçoit des immeubles éventrés, un hélicoptère qui lâche un baril d’explosif, une mare de sang. Des images documentaires intégrées à la fiction, un peu comme à la toute fin de Valse avec Bachir.

 
« Le tournage a été difficile, raconte aujourd’hui son producteur Adnan Hadad, activiste, cofondateur du centre des médias d’Alep et réfugié depuis peu en Turquie. Des bombardements ont ponctué les prises, avec des explosions régulières à deux cents mètres de l’équipe. Pour l’éclairage, il fallait se racorder aux batteries des voitures, etc. Bidouille et économie de crise.»

Abd Rabbo Ammar/ABACA

Avant la guerre, la Syrie était pourtant l’un des plus gros producteurs de fictions au Proche-Orient, juste derrière la Turquie. Depuis 2013, la grande majorité des tournages ont été interrompus. Umm Abdo est une exception. D’abord conçue pour YouTube, sous-titrée en plusieurs langues pour interpeller l’opinion internationale, la série réalisée par Bachar Hadi a finalement été achetée par trois chaînes de télé locales. « Sans aucune censure, aucun contrôle du régime », assure le producteur. Il était essentiel pour lui de créer « une série réellement indépendante pour raconter la vie des gens, alors même qu’ils sont en train de se tirer dessus ». Le programme a très vite bénéficié d’un bon bouche-à-oreille, à l’étranger mais aussi sur place, chez les rebelles comme chez les pro-Bachar el-Assad. «Certains nous ont reproché de faire jouer des enfants, de leur faire porter ces costumes, mais la portée satirique de la série a finalement plu, en plus de son intérêt documentaire. Nous sommes les seuls à raconter la réalité du quotidien à Alep. Et à porter un message d'espoir. »

Continuer à produire des fictions dans le chaos syrien tient selon lui d’une forme de résistance. Laquelle a un prix : alors qu’il a eu le plus grand mal à obtenir son visa pour venir présenter sa websérie en France, dans le cadre de Séries Mania, Adnan Hadad a été tabassé par la police turque sans explication dès son retour à Istanbul, mardi dernier, alors qu'il attendait son vol pour Gaziantep, à la frontière syrienne.

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