Génocide arménien: lettre ouverte à Emir Kir et ses coreligionnaires négationnistes
"Cher Emir, ton combat ridicule pour lutter contre une vérité historique que le monde entier reconnaît désormais de manière unanime est vain. Je pense donc qu'il est grand temps que tu choisisses le camp de la dignité." Une lettre ouverte de Gricha Safarian.
- Publié le 01-05-2015 à 12h43
- Mis à jour le 01-05-2015 à 13h42

Une lettre ouverte de Gricha Safarian, licencié en Sciences Politiques et Relations Internationales, ULB.
Cher Emir,
Tu as perdu.
Ton combat ridicule pour lutter contre une vérité historique que le monde entier reconnaît désormais de manière unanime est vain. Je pense donc qu'il est grand temps que tu choisisses le camp de la dignité. Non pas pour nous faire plaisir à nous les Arméniens. Mais pour toi-même, pour ton honneur il est temps d'arrêter ce combat indigne dans lequel tu es calé du mauvais côté de l'Histoire.

Tu vois la photo ici en haut. C'est mon grand-père, Gricha Safarian, à Téhéran en 1926. Il a échappé au génocide. Quelques années plus tard il arrivera en Belgique, comme toi, et deviendra Consul d'Iran. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il cachera des parachutistes recherchés par l'occupant allemand. Quelle plus belle manière de respecter son pays d'accueil que de prendre part à un combat aussi noble et périlleux que la lutte contre le nazisme ?
La dignité, c'est la qualité la plus importante que l'on se doit de préserver chez l'homme. Je suis persuadé que tu es d'accord avec cela Emir ?
Et cette fonction politique que tu as choisie, elle exige encore plus de dignité que n'importe quel autre travail. Alors quoi ? Qu'est-ce que c'est que cette attitude aussi archaïque que délirante ? Nier un fait historique pour faire plaisir, pour flatter sa communauté. Nous sommes en Belgique. Toi et moi nous sommes accueillis ici, nos grands-parents sont nés ailleurs.
As-tu lu ce que Pierre Vidal-Naquet disait de l'"l'historiographie d'état de la Turquie" dans "Les assassins de la mémoire" ? C'est tellement clair : "Les Turcs offrent l'exemple même d'une historiographie de la dénégation. Mettons- nous à la place des minorités arméniennes un peu partout dans le monde. Imaginons Faurisson ministre, Faurisson général, Faurisson ambassadeur, Faurisson membre influent des Nations unies, Faurisson répondant dans la presse chaque fois qu'il est question du génocide des Juifs, bref un Faurisson d'État doublé d'un Faurisson international et, avec tout cela, Talaat-Himmler jouissant depuis 1943 d'un mausolée solennel dans la capitale. Inutile donc de nous attarder sur une historiographie où tout est prévisible".
Pierre Vidal-Naquet disait aussi qu'on ne discute pas avec les gens qui disent que la lune est carrée.
Mais moi je veux discuter une dernière fois avec toi.
Maintenant que, très clairement, la Turquie a échoué dans sa tentative d'assassiner la vérité historique, j'ai quelques questions à te poser.
As-tu lu les archives du New York Times de 1915 à 1920 ? Les centaines d'articles qui décrivent au jour le jour ce qui ne peut que répondre à la définition du génocide donnée quelques décennies plus tard par Raphael Lemkin ?
As-tu lu la reconnaissance de culpabilité partagée donnée, avec grande dignité, par le Président allemand la semaine dernière
Et enfin, Emir, connais-tu Taner Akçam ainsi qu'un nombre de plus en plus grand d'intellectuels turcs qui lentement mais sûrement prennent le chemin de la vérité dans cette tragédie ?
Alors Emir, ce n'est pas possible, tu ne peux pas croire ce que tu dis. Tu ne peux pas vivre avec cette étiquette de négationniste collée à la peau.
A l'occasion des cent ans du génocide, pourquoi ne pas attraper l'occasion de te débarrasser de tout cela et rejoindre le camp de la dignité ?
Le négationnisme a échoué. Les millions d'Arméniens de la diaspora qui déferlent dans les rues de toutes les capitales du monde ces dernières semaines en sont la preuve la plus évidente.
Le négationnisme, c'est passé de guerre, c'est ringard, c'est minable. Laisse ce combat vain aux seconds couteaux qui n'ont pas d'autres manières de se faire remarquer et rejoint le camp de la dignité. Je t'y attends. Et je ne suis pas seul. Un tiers de la jeunesse turque, des centaines d'intellectuels de ton pays sont là avec moi.
Et pour ma part, je vais arrêter de m'énerver sur les négationnistes. Ils ont perdu. Ce centième anniversaire du génocide, et nonantième anniversaire du négationnisme qui lui colle à la peau, il célèbre la victoire, le renouveau, la renaissance du peuple arménien.
Désormais je regarde vers l'avenir, dignement, en silence. J'ai gagné, tu as perdu, il est encore temps pour toi de quitter l'indigne et de revenir vers la noblesse d'âme et d'esprit.
C'est ton choix.