Interview

«Lorsqu’on arrive aux positions de pouvoir, là il y a un vrai barrage pour les femmes»

par Matthieu Écoiffier
publié le 14 décembre 2013 à 8h58

Margaret Maruani est une sociologue française, directrice de recherche au CNRS, elle dirige la revue Travail, genre et sociétés depuis sa création, en 1999. Elle analyse pour Libération en quoi l'accès à la parité ne signifie pas égalité pour les femmes, dans le monde dans l'entreprise comme en politique.

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Les femmes accèdent-elles enfin aux positions de pouvoir dans le travail ?

Depuis les années 70, les femmes réussissent mieux à l’école et à l’université : elles sont plus diplômées que les hommes. Et la plupart d’entre elles n’interrompent pas leur activité professionnelle lorsqu’elles ont des enfants. Désormais, elles représentent 48% de la population active. Mais, sur le marché du travail, elles n’ont pas les positions auxquelles elles pourraient prétendre. Tout est paradoxal : plus de femmes actives, salariées, instruites mais aussi plus de chômeuses, de salariées précaires et en sous-emploi. Les comportements d’activité masculins et féminins se rapprochent, mais les inégalités professionnelles s’incrustent : inégalités de salaire (27%), de carrières, de statuts d’emploi. Dans le domaine économique, la parité existe donc – quantitativement au moins. Mais elle n’est pas synonyme d’égalité, et c’est bien là le problème. La féminisation du salariat n’a pas débouché sur une régression véritable des disparités entre emplois féminins et masculins.

La majorité des emplois féminins restent concentrés dans un petit nombre de métiers peu valorisés et mal rémunérés. Mais d’autres s’en sortent, et il ne faut pas nier les progrès réels qui existent du côté des femmes diplômées et leur accès à des professions qualifiées. La croissance du nombre de femmes dans des professions qui demeurent prestigieuses – magistrates, avocates, journalistes, médecins, etc. – est là pour signifier que la dévalorisation n’est pas le destin de tout métier qui se féminise.

Existe-t-il un plafond de verre ?

Toutes les recherches faites sur le sujet, notamment les travaux de Jacqueline Laufer (1), concluent à l'existence d'un plafond de verre pour les femmes dans le monde du travail. Oui, les femmes cadres sont de plus en plus nombreuses : elles représentaient 16% des cadres au début des années 60 contre 40% aujourd'hui, et ce n'est pas rien. Mais, lorsqu'on arrive aux positions de pouvoir, il y a un vrai barrage. Le plafond de verre est extrêmement coriace, puisqu'il résiste aux progrès fabuleux réalisés dans l'éducation. Et là, on voit bien qu'il ne s'agit pas d'un problème d'instruction, de qualification ou de compétences, mais d'un problème de pouvoir, d'accès aux positions de pouvoir, exactement comme dans le monde politique. Et d'ailleurs, ce n'est pas un hasard si c'est la loi de 2000 sur la parité qui, en France, a relancé le débat sur l'accès des femmes aux positions de pouvoir dans la sphère économique.

Pourtant, la loi des quotas s’est imposée aux conseils d’administration…

Oui, la loi du 11 janvier 2011 instaure un quota de 40% de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises (plus de 500 personnes). J’imagine qu’on attend des effets similaires à ceux de la loi sur la parité en politique, mais nous manquons de recul pour pouvoir porter un jugement étayé.

Retrouve-t-on dans l’entreprise les mêmes stéréotypes que dans le monde politique (les femmes aimeraient moins le pouvoir pour le pouvoir, seraient plus collectives, moins ambitieuses et perso) ?

C’est une ritournelle que l’on entend très souvent, trop souvent. Elle n’a aucun fondement. La nature féminine, cela n’existe pas. Je n’y croyais pas lorsque l’on disait qu’elle était inférieure, je n’y crois pas plus lorsque l’on dit qu’elle serait supérieure.

Quelle est la situation en Europe ?

Les mêmes problèmes se posent en Europe. Mais, en France, les choses sont peut-être plus contrastées qu’ailleurs, car la réussite scolaire et universitaire des filles y est plus éclatante et que la féminisation du monde du travail y est accentuée - en termes de part des femmes dans la vie active, la France arrive juste derrière les pays scandinaves. Un autre phénomène traverse l’Europe (tout comme les Etats-Unis) : les inégalités se sont également creusées entre les femmes

Y a-t-il des pays où les femmes sont mieux acceptées ?

Dans les pays scandinaves, la part des femmes dans la vie active est très élevée depuis longtemps. Mais la ségrégation professionnelle y reste très forte, autant que chez nous ou les pays du sud de l’Europe. Il n’y a pas de modèle. Et d’ailleurs, au-delà de l’Europe, dans le monde du travail, les femmes sont partout, l’égalité nulle part !

(1) Lire notamment Laufer J., «le plafond de verre : un regard franco-américain» in Maruani M., Travail et genre dans le monde, l'état des savoirs, La Découverte, 2013

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