Chroniques

Idéologie et intégrité

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Par Paul Krugman

Vous voyez, le fait de savoir si un candidat serait un bon compagnon avec lequel vous aimeriez boire une bière ne devrait pas compter. L’on ne devrait pas non plus prêter attention à la vie sexuelle des politiques, ou même si leurs dépenses impliquent une véritable corruption. Non, ce que l’on devrait rechercher, dans un monde qui ne cesse de nous surprendre de la pire façon possible, c’est l’intégrité intellectuelle : la volonté de faire face aux évènements même s’ils ne sont pas en accord avec nos propres préconceptions, la volonté d’admettre ses erreurs et de changer son fusil d’épaule.

Et c’est une qualité qui se fait très rare.

Comme vous vous en doutez, je pense notamment à la sphère de l’économie, là où les vilaines surprises ne cessent d’apparaître. Si rien de ce qui s’est passé ces sept dernières années n’a réussi à secouer vos croyances de longue date en matière d’économie, c’est que vous n’avez pas fait attention ou bien que vous n’êtes pas honnêtes avec vous-même.

Des moments comme ça exigent un mélange d’ouverture d’esprit – la volonté d’entendre des idées différentes – et de détermination à faire du mieux que vous le pouvez. Ainsi que Franklin Roosevelt le dit dans un discours célèbre - "le pays exige des expérimentations continuelles et audacieuses. C’est du bon sens que de prendre une méthode et de l’essayer : si elle ne fonctionne pas, il faut l’admettre franchement et essayer autre chose. Mais par-dessus tout, il faut tout essayer".

A la place, ce que l’on voit chez beaucoup de personnages publics, c’est le comportement décrit par George Orwell dans l’un de ses essais : "Croire en des choses que nous savons être fausses et ensuite, lorsque nous avons la preuve que vous avons tort, nous retournons les faits afin de montrer que nous avions raison". Ai-je prédit une inflation galopante, qui n’est jamais arrivée ? Eh bien je dis que le gouvernement trafique les chiffres et d’ailleurs, je n’ai jamais dit ce que j’ai dit.

Que les choses soient claires, je n’appelle pas de mes vœux la fin de l’idéologie en politique, parce que c’est impossible. Tout le monde a une idéologie, une position sur la façon dont le monde fonctionne, dont il devrait fonctionner. En effet, les idéologues les plus téméraires et les plus dangereux sont souvent ceux qui s’imaginent être sans idéologie – par exemple les centristes auto-proclamés – et ils sont, de ce fait, ignorants de leurs propres partis-pris. Ce qu’il faut chercher en soi et chez les autres, c’est non pas une absence d’idéologie mais un esprit ouvert, prêt à envisager la possibilité que certaines parties de cette idéologie puissent être erronées.

J’ai le regret de dire que la presse a tendance à punir l’ouverture d’esprit parce que le journalisme du genre "ha !ha ! Je vous ai eu" est plus facile et plus sûr que procéder à une analyse politique. Hilary Clinton étaient en faveur d’accords sur le commerce dans les années 1990 mais aujourd’hui elle les critique. C’est une girouette. Ou bien, c’est peut-être l’exemple de quelqu’un qui a appris de ses expériences, ce qui est quelque chose que l’on devrait applaudir, pas ridiculiser.

Où en est donc l’intégrité intellectuelle aujourd’hui dans le cycle de l’élection ? Ce n’est pas terrible, au moins dans le camp des républicains.

Par exemple, Jed Bush a déclaré qu’il était "son propre chef" en termes de politique étrangère, mais la liste de ses conseillers incluait des gens comme Paul Wolfowitz, qui avait prédit que les irakiens allaient nous accueillir comme des libérateurs, et qui semble ne donner aucun signe d’avoir appris quoi que ce soit du bain de sang qui s’est produit là-bas.

Pendant ce temps, de ce que je vois, aucune figure importante du parti républicain n’a admis qu’aucune des terribles conséquences qui étaient censées se produire après la réforme de santé – l’annulation en masse de mesures existantes, la flambée des premiums, la destruction des emplois – ne s’est réellement produite.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous ne parlons pas simplement de se tromper sur des questions spécifiques. Nous parlons du fait de ne jamais admettre ses erreurs, et de ne jamais revoir ses positions. Ne jamais admettre que l’on s’est trompé est un véritable défaut même si les conséquences de ce refus d’admettre son erreur ne retombe que sur quelques personnes. Mais la lâcheté morale devrait vous exclure d’office de toute position à responsabilité.

Pensons-y. Supposons que le prochain président – et c’est plus que probable – soit confronté à une crise - économique, environnementale, des affaires étrangères – dont il ou elle n’a jamais rêvé dans sa philosophie politique actuelle. Il n’est vraiment, vraiment pas souhaitable que la personne qui doive répondre à cette crise soit quelqu’un qui ne peut toujours pas admettre qu’envahir l’Irak fut une décision désastreuse mais que la réforme de santé ne l’était pas.

Je reste persuadé que cette élection devrait ne porter que sur ces sujets. Mais si l’on doit parler de personnalité, parlons donc de ce qui compte, à savoir l’intégrité intellectuelle.

Paul Krugman

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