FRONT NATIONAL - Pour retrouver pareille procédure, il faut remonter à l'avant-veille de Noël 1998, jour de l'exclusion de sept mégrétistes alors accusés de scission. Dix-sept ans après, le bureau exécutif du Front national se réunit à nouveau en formation disciplinaire pour décider ce lundi 27 avril d'éventuelles sanctions contre son fondateur, Jean-Marie Le Pen. Un conseil de discipline exceptionnel acté par la présidente Marine Le Pen après les nouveaux dérapages de son père sur BFMTV puis dans un entretien au journal d'extrême droite Rivarol.
"Jean-Marie Le Pen ne doit plus pouvoir s'exprimer au nom du Front National, ses propos sont contraires à la ligne fixée", a réaffirmé la présidente du FN ce dimanche sur Itélé et Europe1. "Il ne faut pas que ses propos engagent le mouvement", a-t-elle répété sans pour autant se prononcer sur la nature de la sanction envisagée.
C'est pourtant bien elle qui aura, quoi qu'il arrive, le dernier mot dans cette querelle familiale inédite sous la Ve République. Comme le permet l'article 19 des statuts actualisés du Front national, ce n'est pas la commission de discipline du FN présidée par Alain Jamet, un proche de Jean-Marie Le Pen, qui décidera du sort du "Menhir", mais son bureau exécutif réuni en commission disciplinaire (dont la composition est ici). Outre la présidente et le président d'honneur (qui refuse de participer à cette réunion), ce gouvernement resserré du parti est composé des vice-présidents, du secrétaire général et du trésorier. Le bureau exécutif étant composé d'une majorité de proches de Marine Le Pen, rien ne se décidera sans son aval.
Une exclusion techniquement possible mais improbable
"En cas de faute grave, le bureau du conseil d'administration peut, sur proposition de son président et à la majorité, suspendre provisoirement ou exclure un de ses membres", précisent les statuts. Autrement dit, "tout est possible", même l'exclusion, a résumé ce dimanche sur BMFTV le vice-président Florian Philippot.
Si cette hypothèse d'une exclusion est statutairement envisageable, elle est hautement sensible politiquement, le patriarche du Front conservant une réelle popularité dans son parti comme l'a démontré son irruption lors du défilé du 1er mai. Si Florian Philippot apporte du crédit à cette option, elle est néanmoins loin de tenir la corde au FN où d'autres proches de Marine Le Pen plaident pour un traitement de faveur envers celui qui a incarné le Front pendant plus de quarante ans.
En revanche, difficile pour Marine Le Pen, qui a érigé le cas de son père en question de principe, de totalement passer l'éponge comme le lui suggère le lepéniste Bruno Gollnisch. Non seulement la présidente du FN s'estime directement visée par la "malveillance" répétée de son père, mais elle s'est également engagée à purger le Front de ses brebis galeuses alors que la commission de discipline doit instruire les 28 et 29 mai les cas de quelques dizaines de candidats aux départementales, accusés d'avoir commis ou partagés des propos racistes, homophobes ou antisémites sur les réseaux sociaux.
"L'exclusion n'est pas à l'ordre du jour mais Marine va marquer le coup", parie un soutien de la présidente qui, la veille, n'a pourtant pas mâché ses mots contre ce père qui ne "supporte pas que le Front national continue à exister alors qu'il n'en a plus la direction".
Blâme, avertissement, suspension
Si la direction du FN refuse d'aller jusqu'à l'exclusion de Jean-Marie Le Pen, quelles sont ses options? Lui retirer sa présidence d'honneur semblait une option crédible à entendre Marine Le Pen ce week-end mais le scénario est juridiquement compliqué, comme le reconnaissent les juristes et plusieurs cadres du parti. La raison est simple: les statuts ne prévoient pas cette possibilité et il faudrait convoquer un congrès extraordinaire pour les modifier. "Pourquoi pas un grand congrès de rénovation", n'exclut pas Marine Le Pen, citée par Le Figaro.
"On ne peut pas retirer le titre de président d'honneur sans un vote du Congrès" a confirmé l'avocat Gilbert M. Collard au Talk du Figaro, déplorant que le parti frontiste soit "juridiquement coincé". Interrogé sur la date de cet éventuel congrès exceptionnel, le député du Gard a éludé: "Ca va être fait très vite". "On va être obligé de réorganiser complètement le mouvement" a complété celui qui n'est pas encore membre du Front national.
Plus symboliquement, le bureau exécutif peut aller puiser dans la panoplie des punitions prévue par le règlement intérieur de la commission de discipline du parti. L'article 8 de ce règlement prévoit que les sanctions vont, par ordre de gravité, de la "réprimande ou l'avertissement" au "blâme" avant "l'interdiction d'exercer une activité politique". Viennent ensuite la "suspension temporaire ne pouvant excéder deux ans" et enfin "l'exclusion".
En droit du travail, l'avertissement est une sanction mineure précisée à l'écrit ou à l'oral. Un blâme est en revanche signifié de manière écrite et fait office de dernier avertissement avant sanction plus grave. Jean-Marie Le Pen ayant été privé d'investiture en PACA, certains cadres du parti jugent qu'il a déjà été sanctionné au titre de l"'interdiction d'exercer une activité politique". "Je pense qu'il est tout à fait prêt - je suppose - à donner acte que ce qu'il dit n'engage pas nécessairement le FN", a plaidé ce lundi sur France Info l'eurodéputé Bruno Gollnisch.
Reste la suspension temporaire, seule solution pour se désolidariser de ses dérapages au moins jusqu'en 2017.
Quoi qu'il arrive, et ce même si Jean-Marie Le Pen n'est pas en l'état de venir se défendre devant le BE, sa décision sera définitive et applicable immédiatement. "Les décisions du conseil d'administration, du Bureau ou du Président en matière disciplinaire sont sans appel et, de convention expresse, ne peuvent donner lieu à aucune action judiciaire", prévient l'article 8 des statuts.