CelloGraff, le street art qui oublie les murs

Inventé par deux graffeurs du Val-d'Oise, ce procédé “responsable” permet d'éviter les démêlés liés à la dégradation urbaine. Le concept fait déjà des émules dans le monde entier, et sera visible au Villette Street Festival en mai.

Par Joséphine Bindé

Publié le 02 mai 2015 à 08h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h37

Graffer sans rien vandaliser, c’est possible. C’est ce qu’Astro et Kanos, deux artistes français d’une trentaine d’années originaires de Villiers-le-Bel et de Sarcelles, ont prouvé en inventant un concept astucieux, le CelloGraff. La recette est simple, mais il fallait y penser : créer un mur éphémère grâce à du cellophane tendu entre deux arbres ou deux piliers. Et il ne reste plus qu’à peindre à la bombe. Une bonne idée qui, depuis sa concrétisation en 2009, leur vaut d’être invités à de nombreux festivals en France et à l’étranger, et fait de plus en plus d’émules.

Pour la deuxième édition du Villette Street Festival (du 4 au 17 mai), Astro et Kanos interviendront sur plusieurs murs de film plastique, accompagnés d’une dizaine d'autres graffeurs. Ils y présenteront aussi plusieurs toiles, car les deux hommes ont plus d’un tour dans leur sac : l’un est graphiste et vidéaste, l’autre artiste peintre. Pour eux, le graffiti est un moyen parmi d’autres d’exprimer leur créativité. Les deux complices nous éclairent sur cette tendance de l’art urbain.

Seule contrainte, le côté éphémère

« L’idée, c’était de pouvoir continuer à agir et intervenir dans la ville sans avoir tous les problèmes qu’on rencontre d’habitude », explique Kanos. Ces « problèmes », on les connaît. Amendes, arrestations : les street artists ont pris l’habitude de jeter constamment un œil derrière eux, prêts à détaler à la moindre alerte. Certains en ont eu assez de courir, et cherchent des façons légales de s’exprimer, le plus souvent sur des murs autorisés aux graffeurs.

Avec le CelloGraff, Astro et Kanos sont tranquilles. « On bénéficie d’un vide juridique, précisent-ils. On ne touche pas le sol, on ne dégrade rien. Et à tout moment, on peut enlever le cellophane. Tout le monde voit bien que ça ne gêne pas. » D’ailleurs, la première fois qu’ils ont tendu une cloison à Paris en 2009, des policiers sont passés, les ont vus graffer mais ne se sont pas arrêtés. En six ans, on ne leur a demandé qu’une seule fois de couper leur cellophane.

« L’œuvre, c’est le moment. C’est comme un concert comparé à un CD »

Mais la liberté du CelloGraff, c’est aussi celle de pouvoir créer ses propres murs. « On voulait amener le graffiti dans des endroits où il n’a pas lieu d’être, où il n’y a pas d’espace pour l’accueillir. C’est comme ça qu’on a pu graffer sur le pont Bir Hakeim, près de la Tour Eiffel... », raconte Kanos. Finalement, la seule contrainte réside dans le côté particulièrement éphémère de la chose. Mais cela ne dérange pas les deux artistes : « L’œuvre, c’est le moment. C’est comme un concert comparé à un CD ! On est dans le présent, dans la performance. Et la photo permet simplement de rendre compte de l’action. »

Un public de 7 à 77 ans

Donner une nouvelle image du graffiti, c’était l’un des objectifs d’Astro et Kanos, et on peut dire qu’il est atteint : rebelle à l’origine, le graffiti devient « acceptable », « responsable », sage comme le tri sélectif ou le commerce équitable. C’est avec un brin de fierté que Kanos raconte les réactions du public : « Les gens s’arrêtent, disent “Ah, c’est super !”… C’est l’occasion de discuter avec des personnes d’horizons très différents, de 7 à 77 ans. Les seniors sont même les plus nombreux à réagir ! On se rend compte qu’en fait, ils ne sont pas du tout contre l’esthétique du graffiti. On leur montre que ce n’est pas que de la graine de racaille, et que tout ce qu’on veut, c’est amener un peu de couleur dans la ville ! »

Bien sûr, certains leur reprocheront d’être trop consensuels, voire de trahir l’âme du street art. Mais pour eux, cela n’a aucune importance. « En fait, ce n’est même plus du graffiti, réfléchit Kanos. On cherche juste à nous exprimer esthétiquement. On n’est plus du tout dans la culture de la révolte par les signes, comme à New York dans les années 70. Ce n’est pas le même esprit, on ne prend pas les mêmes risques. »

La tendance se répand

Grâce à leur concept, Astro et Kanos voyagent et travaillent à travers le monde, notamment en Californie, en Floride pour le Chalk Festival (devenu le premier festival de street art des Etats-Unis) et au Canada pour le festival Hip Hop Hopscotch de Halifax. Des rencontres qui ont permis à d’autres artistes de les découvrir et de s’inspirer de leur travail. Aujourd’hui, la tendance se répand comme une traînée de poudre sur Pinterest, Instagram et les blogs spécialisés.

Replete, basé à Leeds (Royaume-Uni), utilise le cellophane pour ses créations mêlant graffiti, sculpture et animation. Ses anamorphoses d’avions de chasse ou de silhouettes futuristes se déploient en extérieur comme dans des usines abandonnées. En plein cœur de Budapest, le collectif Fat Head a quant à lui réalisé un grand vautour rouge sur cellophane à l’occasion du Art Moments Festival de 2012, ainsi qu’un diablotin phosphorescent, photographié de nuit au bord du lac Balaton. En 2014, c’est Coloquix qui a quitté momentanément la ville pour peindre ses personnages féminins en pleine nature.

« Une bonne idée, c’est fait pour être partagé »

Dans les forêts enneigées de Russie, le graffeur moscovite Evgeny Ches réalise de grands tableaux animaliers en jouant à la fois sur la fusion avec le paysage et sur le contraste engendré, grâce aux effets de transparence. Il fait ainsi surgir entre deux arbres un ours polaire ou un écureuil géant. Dans une interview, l’artiste, qui a découvert cette discipline sur Internet, affirme vouloir « trouver d’autres moyens encore d’utiliser cette nouvelle forme qu’est le CelloGraff. »

Mais que pensent Astro et Kanos de leurs imitateurs ? Leur avis est mitigé. « Une bonne idée, c’est fait pour être partagé. Mais quand on développe un concept, c’est autre chose, tempère Kanos. Ce qui nous dérange le plus, c’est ceux qui font de l’argent avec, alors que c’est quelque chose que nous avons développé. D’un côté, c’est gratifiant, mais de l’autre, ça peut être embêtant. Après, on s’inspire les uns les autres, ça fait partie du jeu. »

Evgeny Ches réalise de grands tableaux animaliers en jouant sur la fusion avec le paysage. (Cliquer sur la légende pour voir le site)

Evgeny Ches réalise de grands tableaux animaliers en jouant sur la fusion avec le paysage. (Cliquer sur la légende pour voir le site) © Evgeny Ches

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