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Cuba / Culture

Leonardo Padura, une œuvre nourrie de Cuba

Journaliste, romancier avant tout, mais aussi scénariste, de plus en plus, le Cubain Leonardo Padura est l'auteur d'une oeuvre importante, largement traduite et diffusée. Au fil de ses livres et scénarios, il raconte l'histoire de sa génération, celle qui a grandi avec les promesses de la révolution cubaine de 1959 et vit désormais avec « les souvenirs et les traumatismes du passé, les déceptions et les aspirations du présent ». Samedi 2 mai, à La Havane, avait lieu la première projection du film de Laurent Cantet, Retour à Ithaque, écrit avec Leonardo Padura et sorti en France fin 2014. Un film au coeur de son questionnement et de celui du détective Mario Conde, son personnage fétiche, pour lequel Leonardo Padura a encore des projets.

L'écrivain cubain Léonardo Padura.
L'écrivain cubain Léonardo Padura. DR
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RFI :Retour à Ithaque, adapté du roman de Leonardo Padura Le Palmier et l'étoile (éd. Métailié 2009), est l'histoire de cinq amis, quatre hommes et une femme qui se retrouvent sur une terrasse de La Havane autour de l'un d'entre eux qui rentre de seize années d'exil. Sur ce lieu exigu, quoique ouvert qu'est la terrasse, les personnages nous font vivre en concentré, pendant les quelques heures d'une nuit, les espoirs et frustrations de toute une « génération qui s'est sacrifiée dans l'espoir d'un avenir meilleur pour tous », écrit Padura. Le film, qui aurait dû être projeté en décembre dans le cadre du Festival du film de La Havane avait été retiré de la programmation.

Leonardo Padura : C'était la première projection publique du film, [samedi soir]. Il y avait des gens qui l'avaient déjà vu, soit à l'extérieur de Cuba, soit à Cuba, via un canal de diffusion alternatif. Mais la salle d'une capacité de plus de 1 000 places était absolument pleine. C'était très émouvant : Laurent Cantet a appelé sur scène tous ceux qui avaient travaillé sur le film. Quand je suis monté à mon tour sur scène et que le public a commencé à m'applaudir, j'étais vraiment très, très ému. C'était incroyable parce qu'il y avait là les acteurs qui ont travaillé sur le film et qui sont très connus et j'ai eu droit à la plus longue ovation.

Le film, programmé pour le Festival de cinéma de La Havane, avait été retiré de l'affiche...

L'explication officielle a été que le président de l'Institut de cinéma n'avait pas pu voir le film. Et il ne voulait pas programmer le film sans l'avoir vu. C'est pour cette raison que le film a été retiré de la programmation. Le directeur de l'Institut du cinéma nous avait, dès le départ, assuré qu'une autre occasion pour présenter le film serait cherchée. Le Festival du film français de La Havane a donc été cette nouvelle opportunité, et c'est tant mieux, parce que cela a permis de mettre un terme au problème posé par le retrait du film. Il aura fallu que les Cubains attendent cinq mois pour pouvoir voir le film de façon officielle, mais nombreux étaient ceux qui avaient déjà réussi à le voir par des moyens alternatifs...

[Quand le film a été retiré de la programmation en décembre], il y a eu de nombreuses protestations de la part des artistes de cinéma. Les gens de cinéma se sont montrés très solidaires. Un groupe important de cinéastes – une sorte de comité qui représente les cinéastes cubains – a eu d'emblée une attitude très ferme... Ils ont même écrit un document public qui a été signé par la suite par tous les Prix nationaux du cinéma cubain, les grandes figures du cinéma cubain qui ont eu ce prix. Lors de la présentation du film, Laurent Cantet a eu un remerciement spécial pour ces collègues du cinéma et les lauréats des prix qui avaient signé l'appel pour que le film soit projeté à Cuba.

Retour à Ithaque est le fruit d'une longue gestation…

Cela fait plusieurs années que je connais Laurent Cantet. Je le connaissais avant que nous travaillions ensemble. Il avait lu et beaucoup aimé mon roman La novela de mi vida [ traduit en français parLe Palmier et l'étoile ] et voulait faire ma connaissance. Et moi, de mon côté, je voulais rencontrer aussi un réalisateur tel que Laurent Cantet.

Quand, ensuite, il y a eu ce projet de film de 7 jours à La Havane et qu'on lui a proposé d'être de l'équipe des réalisateurs, il a dit "D'accord, mais à condition de travailler avec moi". Nous avons alors fait un court-métrage test de 15 minutes, ce qui était la règle dans ce projet de sept films. Nous avons fait un essai à partir d'un avant-projet de scénario avec un groupe d'acteurs, mais Laurent Cantet s'est rendu compte que l'histoire [ du roman Le Palmier et de l'étoile ] méritait un autre développement.

Il était alors en pleine préparation du film Foxfire, aussi m'a-t-il demandé un délai pour terminer le film et ce n'est qu'ensuite que nous avons commencé à travailler sur Retour à Ithaque.

Les personnages du film sont représentatifs d'une génération. « Nous nous sommes proposé de faire une synthèse des attentes, espoirs, frustrations, rêves et blessures d'une génération spécifique de l'histoire cubaine : celle qui a grandi au sein d'un processus révolutionnaire », écrivez-vous...

J'ai essayé de faire le portrait d'un groupe d'amis à partir de l'histoire du roman Le Palmier et l'étoile. Ce sont cinq personnages qui, chacun à tour de rôle, dans le film se livrent à une confession ou catharsis, c'est comme ça que nous l'avons voulu. Et chaque personnage apporte un équilibre aux autres. Les personnages sont comme beaucoup de personnes à Cuba. Ce qui les rend extraordinaires, c'est la situation dans laquelle ils se trouvent à ce moment-là, la manière dont ils révèlent leurs histoires mais à la sortie du cinéma, plusieurs personnes m'ont dit : vous avez fait mon portrait dans le film !

Les aventures de Mario Conde, personnage fétiche de Padura, cousin caraïbe du Pepe Carvalho de Manuel Vasquez Montalban, vont être portées à l'écran.

Cela prendra la forme d'une série de quatre films de 90 minutes destinés à une diffusion télé, même si l'un d'entre eux aura aussi un format cinéma. Il sera un peu plus long et ce sera aussi le premier à être tourné. Il s'intitulera Vientos de cuaresma [adapté du roman Vents de carême paru en 2004 aux éditions Métailié].

Les romans avec Mario Conde comme protagoniste ne sont pas précisément des romans d'action. Mario Conde promène sa « gueule de bois chronique », ses doutes et ses amours dans les romans. Comment écrit-on un scénario à partir des émotions que vit Conde, ses coups de coeur et coups de gueule ?

C'est très compliqué en effet ! C'est mon épouse, avec qui j'ai toujours travaillé, qui a fait ce travail... Lucia [Lòpez Coll] a travaillé en amont, sur les premières versions, débroussaillé le chemin, écartant ce qui pouvait être écarté ou gardant ce que nous pensions devoir être gardé, pour arriver à une première mouture du scénario. C'est qu'il fallait transposer le langage de romans qui apparaissent comme étant très cinématographiques, mais qui en réalité sont très littéraires. Le mot y est primordial. Et il fallait transposer tout ce matériau en un langage fondamentalement visuel, dans lequel les personnages jouent, évoluent, prennent corps et densité physique. L'essence des romans est bien entendu préservée, mais nous avons dû y introduire de nombreux changements pour qu'ils soient transposables en films. Ce ne seront pas, c'est clair, des films policiers au sens classique du genre, comme les films policiers que l'on voit habituellement en télé ou au cinéma. Ce seront plutôt des films qui donnent à penser, avec une toile de fond sociale et en réalité très peu d'action.

Retour à Ithaque, un film de Laurent Cantet, sur un scénarion co-écrit avec Leonardo Padura
Retour à Ithaque, un film de Laurent Cantet, sur un scénarion co-écrit avec Leonardo Padura DR

7 jours à La Havane, Retour à Ithaque, et sans doute d'autres... Comment concilier l'écriture de roman et le travail cinématographique qui prend pour vous de plus en plus d'importance ?

Je veux y mettre un frein, parce que ce que je préfère, c'est écrire des romans ! Je me suis trouvé plongé dans un environnement de rencontres. Après la projection du film, lors d'une réception j'ai parlé avec le « maestro » Costa Gavras. Il m'a dit des choses très jolies sur le film Retour à Ithaque qui lui avait beaucoup plu. Il l'avait déjà vu à Paris, mais c'était pour lui une nouvelle expérience de le voir à La Havane. Et il m'a dit aussi quelque chose qui m'a fait encore plus plaisir : « J'aimerais travailler avec toi, j'aimerais que tu écrives quelque chose pour moi » ! Mais j'ai déjà plusieurs engagements : des travaux à finir, des cours à l'université de Puerto Rico, des présentations d'ouvrages dans différentes parties du monde... et je veux me concentrer sur le nouveau roman que j'ai commencé à écrire et qui est en sommeil dans l'ordinateur.

C'est une histoire un peu compliquée, comme toutes mes histoires, dans laquelle on retrouve Mario Conde, la vie dans la Cuba d'aujourd'hui et on descend aussi dans des infra-mondes un peu moins visibles, pour ce qui est du volet « social » de l'œuvre. Et pour ce qui est du volet « intellectuel », il y sera question de la disparition à Cuba d'une vierge noire catalane du XIIe siècle.

Dans le personnage de Mario Conde il y a beaucoup de Padura. Vous avez dit un jour « Conde a vieilli, il a maintenant autour de 50 ans ». Dans votre dernier roman Hérétiques, il en a 55...

Dès le début, Conde m'a servi en quelque sorte d'intermédiaire entre la réalité que je voulais refléter et le reflet de cette réalité dans la littérature. C'est ma manière de voir la réalité cubaine, de la comprendre et de me l'expliquer, au fil de toutes ces nouvelles. Et j'ai fait en sorte qu'il vieillisse avec moi. Dans le roman que je suis en train d'écrire, Conde va avoir 60 ans, comme moi. Et il envisage la vie d'une manière complètement différente par rapport aux premiers romans, dans lesquels il avait 35 ans. A 60 ans, c'est inévitable. La jeunesse s'est enfuie, physiquement et mentalement, on n'est plus la même personne, et tout ce qu'on raconte, comme quoi quand on est plus vieux on est plus sage, est complètement faux. On devient plus vieux, plus bête et plus sentimental !

Les films, coproduits par Cuba, l'Allemagne et l'Espagne, seront dirigés par Felix Viscarret, jeune réalisateur espagnol et c'est l'acteur Jorge Perugorrìa qui tiendra le rôle de Mario Conde.

C'est l'acteur cubain le plus connu à l'international actuellement. Le réalisateur a déjà beaucoup travaillé avec lui, c'est son rôle, la direction d'acteur. Moi, j'ai écrit les dialogues, le scénario et maintenant il appartient au réalisateur de créer visuellement le personnage. Le tournage commence le 18 mai prochain et nous sommes en plein travail.

Il y a quelques années, dans un entretien à Libération, vous avez dit que vous ne vous considériez pas comme un « grand écrivain, mais comme un bon Cubain ».

Sur un terrain aussi particulier que la littérature, il est très difficile de (se) mesurer. Si j'étais un coureur de 100 mètres comme Usain Bolt, je saurais si je suis meilleur parce que je fais un meilleur temps ou si, au contraire, je perds du terrain. En littérature, on ne peut pas mesurer les choses comme ça. En 2000, ont été écrits et publiés à Cuba des livres qui ont eu une diffusion internationale et même ont reçu des prix (*). Et je crois que ma propre production s'est améliorée tout comme mon métier. On apprend aussi en écrivant, même si, chaque fois que je commence un nouveau roman, j'ai le sentiment de ne pas savoir écrire et que je dois apprendre à écrire ce roman.

Pour ce qui est de ma relation avec Cuba, elle n'a pas changé : j'appartiens à cette culture, à cette réalité, à cette société et ce sont elles qui nourrissent fondamentalement mon oeuvre, que ce soit en tant qu'écrivain, journaliste ou scénariste. C'est une relation que je veux conserver même si, parfois, je pense que je devrais prendre des vacances ou me cacher hors de La Havane ou hors de Cuba pour avoir plus de temps pour écrire. La promotion des livres demande beaucoup de temps...

Et comme, en plus, j'exprime mes opinions, je suis d'autant plus sollicité. On me demande de m'exprimer sur la littérature et le cinéma, mais aussi beaucoup sur la société cubaine. Mais ce dont je préfère parler c'est de littérature et de cinéma.

(*) parmi ces livres, El rojo en la pluma del loro, de l'Uruguayen Daniel Chavarria, récompensé par le prestigieux prix Casa de las Americas

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