
QUINQUENNAT - Les anniversaires à l'Elysée se suivent et se ressemblent. Malgré un changement de premier ministre, malgré l'état de grâce de "l'esprit du 11 janvier", le second président socialiste de la Ve République ne parvient toujours pas à remonter la pente de son impressionnante impopularité.
Chômage qui bat record sur record, déficits qui tardent à se résorber, partenaires désunis, majorité au bord de la crise de nerf... Trois ans après son sacre présidentiel et deux ans avant de remettre son titre en jeu, François Hollande est-il déjà "hors course" comme le suggèrent ceux qui, à gauche, rêvent déjà d'une primaire qui le priverait de son statut de "candidat naturel"?
"En politique, rien n'est joué d'avance", martèlent les hollandais qui s'activent déjà en coulisses pour amorcer la reconquête d'un électorat déboussolé par les mauvais résultats économiques de l'exécutif. Trop tard? En 2010, trois ans après son élection triomphale, un Nicolas Sarkozy miné par la crise économique s'était lui aussi lancé dans une course folle pour tenter de refaire son retard.
Mais la cote de l'ancien président "n'est jamais remontée suffisamment pour qu'il puisse remporter la présidentielle de 2012", rappelle à raison le politologue de l'Ifop Jérôme Fourquet. L'histoire se répétera-t-elle pour François Hollande? Analyse comparée de deux mi-temps avant le match retour de 2017.
Avril 2010, Nicolas Sarkozy est au fond du trou. Malgré une présidence de l'UE globalement saluée, son image s'est profondément dégradée suite à la violente crise financière qui s'est abattue sur le monde. Les polémiques à répétition sur son style bling bling et le scandale autour de la présidence de l'Epad où Nicolas Sarkozy a tenté d'imposer son fils Jean n'ont guère amélioré les choses. Résultat: sa cote de popularité stagne à 31% selon le baromètre Ifop, soit le noyau dur de son électorat de 2007. Pire, 66% des Français estiment que les "trois années de présidence Sarkozy" ont été un "échec", selon un sondage Viavoice pour Libération. En cause pour 70% des sondés: son manque de résultats en pleine tempête économique.
Mais cinq années plus tard, la position de François Hollande semble encore plus précaire. Malgré l'état de grâce post-marche républicaine, le président socialiste stagne autour de la barre des 20% de popularité. Et 81% des Français estiment que son bilan des trois ans à l'Elysée est négatif, selon un sondage CSA pour Atlantico.
Plus inquiétant encore, une majorité d'électeurs socialistes partagent ce constat désabusé à l'égard de leur champion alors qu'à la même période Nicolas Sarkozy pouvait encore compter sur le noyau dur de son électorat.
D'un quinquennat à l'autre, même constat. Si François Fillon et Manuel Valls n'ont pas été épargnés par l'impopularité de leurs présidents respectifs, les deux chefs de gouvernement ont affiché chacun en leur temps une cote d'amour bien plus flatteuse. En 2010, malgré des débuts difficiles à Matignon, François Fillon affiche une cote de confiance de 47% chez Viavoice tandis que, cinq ans après, Manuel Valls peut se targuer d'une popularité de 40% selon l'institut Ifop.
Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, ce décalage d'image atteint de telles proportions qu'il engendrera des tensions avec son chef de gouvernement. Ce dernier restera toutefois fidèle au poste jusqu'en 2012. A l'inverse, Manuel Valls et François Hollande mettent en scène leur complicité et surtout leur complémentarité. Parfois avec succès comme l'a démontré leur gestion commune des attentats de janvier.
Mais l'actuel premier ministre pourrait rapidement devenir un soutien embarrassant alors que celui-ci caracole en tête des pronostics en cas de primaire à gauche. Manuel Valls arriverait alors premier devant Martine Aubry et François Hollande. Une rivalité que n'avait pas eu à gérer Nicolas Sarkozy pendant son propre mandat.
Différence majeure d'un mandat à l'autre, François Hollande fait face à une fronde inédite au sein de son propre camp tandis que la droite a toujours soutenu bon gré mal gré Nicolas Sarkozy dans la tempête. En cause: l'orientation sociale-libérale de la politique économique de l'exécutif socialiste amorcée par le pacte de compétitivité dès 2012 et renforcée par l'arrivée de Manuel Valls à Matignon et le choix du pacte de responsabilité.
Résultat des courses: la majorité arc-en-ciel de François Hollande a explosé en vol, les écologistes boudant le gouvernement tandis que les frondeurs rêvent d'imposer une cohabitation en prenant les rênes du Parti socialiste au prochain congrès de Poitiers.
En son temps, Nicolas Sarkozy avait lui aussi dû donner des gages à sa majorité en rompant avec l'ouverture et les oeillades à gauche du début de son quinquennat. Une stratégie qui n'avait pas empêché l'aile centriste de l'UMP, alors incarnée par Jean-Louis Borloo, de rompre avec fracas pour partir fonder ce qui deviendra l'UDI.
Embourbé dans une crise financière et économique historique, Nicolas Sarkozy aura été contraint de consacrer les deux dernières années de son mandat à lutter contre un chômage endémique tout en engageant plan de rigueur sur plan de rigueur pour faire face à la crise de la dette.
Un casse-tête auquel François Hollande a dû lui aussi répondre dès le début de son quinquennat mais qui pourrait être levé d'ici la fin de son mandat si la reprise économique qui se profile se confirme enfin. Les indices de cette embellie sont là, même s'ils sont encore fragiles et ne se ressentent pas sur la courbe du chômage. Aidée par une faible inflation, la consommation repart, l'industrie se porte mieux. Surtout, la conjoncture européenne semble enfin jouer en la faveur du dirigeant français: les taux d'intérêts sont bas ce qui est propice à l'investissement, l'euro est proche du dollar ce qui dope les exportations et la baisse du prix du pétrole soulage la balance commerciale.
Encore faut-il que cette éclaircie économique tourne au grand soleil suffisamment longtemps avant 2017 pour que François Hollande puisse capitaliser sur ses bienfaits.
Confronté en 2010 à une crise dont il ne voyait pas la fin, Nicolas Sarkozy avait opté pour un sévère coup de barre à droite inauguré par un discours à Grenoble fortement inspiré par son conseiller de l'ombre Patrick Buisson. Entre débat sur l'identité nationale et course à l'échalote sur la place de l'Islam, cette stratégie a fortement divisé les cadres de l'UMP qui, encore aujourd'hui, n'ont toujours pas tranché si elle avait fait perdre Nicolas Sarkozy ou si elle lui avait permis d'éviter une défaite plus humiliante encore.
En 2015, François Hollande et ses partisans sont eux aussi à la croisée des chemins. Pour l'heure, pas question de changer de ligne économique. "A ce stade-là d'un quinquennat, qu'est-ce que ça voudrait dire de changer de politique économique? Les fruits nous ne les aurons que par la constance, par l'opiniâtreté", plaide le hollandais Michel Sapin.
Mais dans le même temps, le président de la République doit à tout prix fédérer son camp et au-delà s'il veut espérer pouvoir se qualifier pour le second tour de l'élection présidentielle. Un remaniement faisant une large place aux frondeurs et aux écologistes sur la base d'un nouveau contrat de majorité pourrait ouvrir la voie d'ici la fin de l'année.
Le temps presse. 2016 sera l'année de la primaire à droite, tout comme 2011 l'avait été pour celle du Parti socialiste. Nul doute que le quatrième anniversaire de François Hollande à l'Elysée sifflera alors le sprint final vers la prochaine élection présidentielle.