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Une secte, du sang et de la répression policière : l’incroyable affaire Kalupeteka en Angola

Lors de ses prêches, José Julino Kalupeteka, le leader de la secte évangélique La Lumière du monde, rassemblait des milliers de personnes dans une zone montagneuse au centre de l’Angola. Depuis un mois, il est au centre d’une histoire aussi tragique que troublante.

Par  (contributeur Le Monde Afrique, Luanda, Angola) et

Publié le 06 mai 2015 à 16h12, modifié le 06 mai 2015 à 16h27

Temps de Lecture 5 min.

José Julino Kalupeteka, le 5 mai, à Huambo.

José Julino Kalupeteka, le leader de la secte évangélique La Lumière du monde, n’a jamais fini l’école primaire. Mais lors de ses prêches, il rassemble des milliers de personnes à São Pedro Sumé, une zone montagneuse au centre de l’Angola. Depuis un mois, il est au centre d’une histoire aussi tragique que troublante.

Tout commence le 16 avril dernier. La police mène une opération pour interpeller le chef de la secte. Son mouvement, qui n’est pas reconnu par les autorités et donc illégal, s’entête à poursuivre ses activités, ce qui constitue un trouble à l’ordre public. Munis d’un mandat d’arrêt, les policiers viennent arrêter José Julino Kalupeteka. Mais une fois arrivés sur place, ils rencontrent une résistance inattendue et l’interpellation tourne à l’affrontement meurtrier.

La police et l’armée mobilisées pour arrêter Kalupeteka

Sept officiers de la police nationale sont assassinés par des fidèles de la secte. Deux autres, blessés pendant l’opération, décèdent plus tard. Meurtrie, la police veut venger les siens et réagit avec le soutien de l’armée. Pendant trois heures, comme l’a rapporté un responsable de la police à l’agence de presse angolaise Angop, les combats font rage. Quand le calme revient, il ne reste qu’à compter les morts : 13 membres de la secte sont décédés en plus des policiers, ce qui porte le bilan officiel à 22 morts.

Cette tragédie s’est jouée dans une zone de montagne très reculée, située à 25 kilomètres de la ville de Caála dans la province de Huambo, au centre du pays. C’est là que vivaient les quelque 3 000 fidèles de la secte selon l’agence Angop. Ils avaient répondu à l’appel de leur chef spirituel, le « prophète Kalupeteka », les exhortant à tout quitter pour attendre ensemble la fin du monde, prévue cette année. Certains fidèles l’avaient rejoint depuis plusieurs mois malgré les conditions de vie plus que précaires dans le camp.

Après les combats, suite à la tentative d'arrestation du leader de la secte, dans la province de Huambo.

Ce contexte explique la facilité avec laquelle les autorités ont pu boucler le secteur après le drame. Un état de siège s’est instauré et la montagne Sumé est devenue une « zone militaire », encerclée et isolée du reste du pays. Des hélicoptères ont survolé le périmètre, dissuadant quiconque d’entrer.

Le lendemain de la tuerie, un rapport de la police nationale a annoncé que Kalupeteka était en fuite. Le surlendemain, un autre a affirmé qu’il avait finalement été emprisonné avec son fils et certains de ses disciples.

L’opposition dénonce un « génocide »

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais l’Unita, le principal parti d’opposition, a dès le 21 avril contesté la version des faits présentée par le pouvoir angolais. Selon Raul Danda, le chef de son groupe parlementaire, le bilan serait bien plus grave dans les rangs des civils.

Après une mission sur place, pendant laquelle les parlementaires ont été empêchés d’accéder au site, Raul Danda est même allé plus loin. Ce sont 1 080 personnes qui ont été tuées, affirme-t-il, parlant de « chasse à l’homme », de « fosses communes » et même d’un « génocide ».

Pour enfoncer le clou, le principal parti d’opposition a souligné l’ambiguïté des relations entre le pouvoir et la secte. Décrétée ennemie public numéro un aujourd’hui, elle était jusqu’à peu une grande amie des autorités. Le député de l’Unita Raúl Danda n’a pas manqué de rappeler les rencontres amicales entre les autorités locales et le leader Kalupeteka, que ce soit dans le palais du gouverneur ou dans la montagne du chef religieux. Ce dernier aurait même reçu un cadeau de l’instance provinciale, une jeep de luxe Toyota Prado, preuve de leurs bonnes relations.

Les autorités angolaises ont démenti en bloc les accusations de l’Unita. Dans une intervention à la télévision publique fin avril, le commandant de la police nationale à Huambo l’a mise au défi de présenter des preuves de ses dires. « Nous avons eu recours à des moyens de dissuasion, comme des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes, parce que nous savions que la zone était habitée », a ajouté Elias Livulo, dénonçant une récupération politique du drame.

Des habits abandonnés sur les lieux des affrontements entre les membres de la secte et les forces de l'ordre, dans les montagnes reculées de la province de Huambo.

Le gouverneur de Huambo et ex-ministre des anciens combattants, Kundi Paihama, a lui accusé l’Unita d’être derrière les agissements de la secte en vue de créer de l’instabilité dans le pays. Des responsables de la police ont également, et à plusieurs reprises, laissé entendre que des forces nationales ou étrangères étaient à l’origine de la tragédie, une manœuvre elle aussi très politique…

Retour des vieux antagonismes

Pour de nombreux observateurs, la version de l’Unita est exagérée et doit être prise avec des pincettes. « Il suffirait que le parti publie la liste des victimes pour asseoir ses accusations, ce qu’il ne fait pas pour le moment », souligne un journaliste angolais souhaitant garder l’anonymat.

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Mais le bilan officiel ne convainc pas non plus. Des affrontements acharnés pendant trois heures ne peuvent pas faire seulement une dizaine de morts, font remarquer plusieurs commentateurs. Le refus des autorités de laisser entrer quiconque dans la zone porte aussi à croire qu’elles avaient des choses à cacher. Une association juridique indépendante, Mãos Livres, elle aussi empêchée de pénétrer sur les lieux, travaille en ce moment à un rapport sur les événements.

Mardi 5 mai, en début d’après-midi, le « prophète Kalupeteka », placé en détention depuis le 18 avril, est apparu en bonne santé sur les écrans de la télévision publique. Interrogé sur ses conditions d’incarcération, à l’isolement, le leader de la secte a esquissé un sourire avant d’expliquer qu’il n’avait jamais quitté la prison de Cambiote où il était bien traité.

Ce même jour, il était entendu par le procureur de la république de Huambo, Tito Cassule, qui a précisé que la procédure suit son cours, « en régime préparatoire, à la recherche d’éléments de preuve ». De son côté, l’avocat, David Mendes, membre de l’association de défense des droits de l’homme, n’a pu s’entretenir avec l’accusé.

Pour l’heure, il est toujours bien difficile de savoir ce qui s’est réellement passé ce 16 avril. En revanche, cette histoire témoigne de la facilité avec laquelle les tensions du passé peuvent être réactivées. A travers l’affaire Kalupeteka, c’est le retour du vieil antagonisme entre un parti au pouvoir kimbundu de Luanda et une opposition ovimbundu ancrée dans le centre et le sud du pays. Un conflit que l’on pensait dépassé depuis le retour de la paix en 2002.

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