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Billet de blog 6 mai 2015

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Pourquoi j'ai voté contre le projet de loi sur le renseignement !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai voté contre le Projet de loi sur le renseignement. Trop d’inquiétudes n’ont pas été levées dans un débat trop proche dans le temps des évènements tragiques de ce début d’année. Ce recul insuffisant et aussi le sentiment d’instrumentalisation ressenti lors de certaines annonces récentes n’auront pas permis une approche sereine, seule garante du libre arbitre indispensable à une décision de cette importance.

Nous avons suffisamment reproché au précédent Président de la République de multiplier les réponses à caractère législatif face aux inquiétudes qui peuvent s’exprimer après certains évènements, pour ne pas tomber dans le même travers ! Les lois de circonstances sont rarement de bonnes lois.

Renforcer la lutte contre le terrorisme est une évidence et les services de renseignements doivent bénéficier des moyens nécessaires, notamment humains pour mieux développer le service de ciblage d’individus potentiellement dangereux. Il est aussi parallèlement nécessaire de prendre des mesures pour encadrer des pratiques parfois illégales. C’était l’objectif initial de ce texte.

Mais ce Projet de loi déborde désormais largement de son motif premier. Car si le combat contre le terrorisme est une priorité, il est aussi absolument indispensable de trouver un point d’équilibre qui permette de ne pas, dans le même temps, attenter aux libertés publiques. Et, avec un nombre impressionnant d’organisations et d’associations de la société civile, toutes légitimes pour donner un avis fondé, j’ai estimé que cet équilibre était loin d’être atteint.
Malgré les affirmations des représentants du gouvernement, cette loi s’apparenterait de fait à un Patriot Act à la française, et on sait pertinemment ce que cette loi a couté aux USA en termes de restrictions des libertés pour, au final et de l’aveu même des services de renseignement concernés, des résultats quasi inexistants !

C’est la correspondante du New York Times à Paris qui relève l’ironie de la démarche française au regard de la réforme que sont en train de mener les Etats-Unis sur la même problématique : « Au moment où les législateurs américains remettent en cause les larges pouvoirs de surveillance adoptés par le gouvernement après le 11 Septembre, la chambre basse du Parlement français vient de faire un grand pas dans la direction opposée mardi, en approuvant à une vaste majorité une loi qui pourrait conférer aux autorités les plus grands pouvoirs intrusifs jamais obtenus. » (Le Monde 06 mai 2015)

Jean-Marie Delarue, le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, , qui est sans doute l’un des mieux placés en France pour parler du contrôle des services, dit la même chose : « Avec les fameuses boîtes noires de surveillance par algorithmes, cela va donner lieu au recueil de milliards de données pour identifier la quinzaine de personnes ayant appelé un terroriste présumé ! Le recueil et la conservation de milliards de données pendant cinq ans sont-ils proportionnés au besoin de trouver, par exemple, une douzaine de personnes suspectées de terrorisme ? Je suis certain du contraire ».

Autoriser la captation massive de données de connexion, de communications, de déplacements de l’ensemble de la population, ou confier au premier ministre des pouvoirs exorbitants sans véritable contrepouvoir, on peut imaginer ce que cela pourrait donner entre les mains d’un pouvoir autoritaire …surtout quand on se souvient des dérives parfois constatées dans nos régimes démocratiques.

La CNIL, le Défenseur des Droits, le Syndicat de la Magistrature, le syndicat des avocats de France, la Ligue des Droits de l’Homme, le Conseil de l’Europe…les expressions défavorables se sont multipliées. Je n’en cite qu’une : Nils Muiznieks, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe : « Je suis très inquiet. Il y a de nombreux risques dans ce projet de loi. L’application des mesures antiterroristes est très large, et très intrusive. Le risque est très grand que l’on aboutisse à une surveillance non ciblée, touchant l’ensemble de la population. ». Et d’ajouter, à l’adresse des parlementaires français : « Le projet de loi du gouvernement s’attaque aux valeurs démocratiques que les terroristes essaient de détruire. »

Contre le terrorisme, des lois existent déjà : commençons par les appliquer. Prenons le temps de la réflexion pour pouvoir construire sereinement, avec le recul suffisant, celle qui encadrera les pratiques des services de renseignements. Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, l’urgence est souvent mauvaise conseillère !

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