Dossier : comment survivre avec 600 € par mois en Languedoc-Roussillon

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    Image CHRISTOPHE FORTIN
Publié le , mis à jour
ARNAUD BOUCOMONT

Le Languedoc-Roussillon accumule les records de précarité et de chômage. Près de 540 000 Languedociens sont pauvres en 2013. Derrière les chiffres, des situations humaines alarmantes. Décryptage et témoignages.

L’augmentation donne le vertige : entre 2008 et 2010, le nombre de personnes passées sous le seuil de pauvreté a progressé de 10 % en Languedoc-Roussillon, contre seulement 2 % au niveau national. Derrière ce chiffre, une réalité, des réalités humaines : 45 000 pauvres de plus, soit 500 000 en tout (auxquels se rajoutent, sur la zone de couverture de Midi Libre, 41 000 Aveyronnais). Et le tourbillon ne semblant jamais devoir s’arrêter, la région s’enfonce un peu plus encore en 2011 : l’Insee vient d’en comptabiliser 9 200 de plus. Soit 19,6 % de la population, contre 19,4 % en 2010. La région confirme ainsi son 3e rang national.

Taux de pauvreté, 32 % de la population pour Perpignan et Béziers

Un Languedocien sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Département par département, l’Aude se classe à la 2e place (21 %), derrière la Seine-Saint-Denis, loin de la moyenne française (14 %). Mais le constat est encore plus dramatique si on pose une loupe plus fine. L’Insee ne communique pas de chiffres communaux, mais le bureau d’études Compas l’a fait à sa place. Selon son estimation pour 2009, le taux de pauvreté monte à 32 % de la population pour Perpignan et Béziers, au 10e rang national ex aequo. Nîmes enregistre un taux de 29 % (18 670 ménages concernés) et Montpellier 27 % (29 853 foyers). Les villes et l’arrière-pays souffrent le plus fortement, tandis que les Languedociens aux revenus plus confortables se sont installés à la périphérie immédiate des villes.

Un plan national

L’Insee s’attend à ce qu’on « dépasse les 20 % » dans la région pour 2012. Une hausse de 0,4 % (19,6 % en 2011) équivaudrait à 17 000 habitants pauvres de plus. Sans compter 2013, qui n’a pas été plus brillant ! Selon des estimations réalistes, la région doit compter près de 540 000 habitants en dessous du seuil de pauvreté en cette fin d’année. Face à l’urgence, un plan quinquennal de lutte contre la pauvreté vient d’être lancé au niveau national. La revalorisation du RSA de 10 % d’ici à 2017 (2 % déjà en septembre 2013) devrait aider ceux qui voisinent avec le seuil de pauvreté à enfin le dépasser. Sans rouler sur l’or.
Mais il faudra aussi parvenir à toucher ceux qui auraient déjà droit à des aides et qui n’en font pas la demande. Pointée du doigt, la complexité administrative, encore plus aigue pour une partie de la population qui en maîtrise mal les rouages. Le Défenseur des droits Dominique Baudis estime que « près de la moitié de ceux qui auraient droit au RSA ou à la CMU (couverture médicale universelle, NDLR) ne les réclament pas, ne vont pas au bout du labyrinthe, baissent les bras ».

Le gouvernement Ayrault a promis un « choc de simplification ». Le projet de loi pour la ville, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale fin novembre, en fait partie. Les classifications diverses et sigles barbares - à l’image des ZUS, les zones urbaines sensibles - vont être abandonnés au profit d’un seul critère : celui des revenus fiscaux avant redistribution. Par carrés de 200 mètres sur 200 mètres, l’Etat va identifier les quartiers qui réclament une aide particulière. Et si cette nouvelle carte de la pauvreté ne sera connue qu’au printemps, le gouvernement a déjà annoncé que des villes comme Uzès et Pont-Saint-Esprit profiteraient de cette nouvelle cartographie. A l’instar de villes moyennes qui ont été délaissées, jusqu’à présent, au profit des plans Banlieues. Une centaine de villes devrait entrer dans le dispositif et environ 300 en sortir.

En milieu rural

Particularisme languedocien, la pauvreté rurale y est plus importante qu’ailleurs. Sur 500 000 habitants pauvres, 100 000 sont en zone rurale. 18,3 % des Languedociens sont pauvres dans le rural, contre 19,9 % dans l’urbain. L’écart existe, mais il est moins important qu’au niveau national : 11,7 % dans le rural, 15 % dans l’urbain. En Lozère, 17,7 % des 65 ans et plus sont en dessous du seuil de pauvreté, soit presque deux fois plus que la moyenne nationale (9,3 %). La part des retraités, en Lozère, est plus importante qu’ailleurs, avec qui plus est des retraites peu élevées... Sur fond de revenus agricoles les plus bas de France et d’une importante population vieillissante dans le secteur du handicap, très développé dans le département.

Des exemples concrets 

Joseph, bonnet vissé sur la tête, accueille à sa table, dans la cantine bon marché de l’association Saint-Vincent-de-Paul, à Béziers. Joseph est malicieux. "Le sourire, ça cache la misère", lance cet ex-maçon de 60 ans, SDF. "La vie se trompe. Aujourd’hui en haut, demain en bas. On peut rebondir, mais c’est pas évident. Quand on aime, on aime. Je me suis planté jusqu’au bout." Joseph use des ellipses et des oxymores... "Je suis grand-père. Mon petit-fils, je ne le vois plus. Je ne vois plus personne. Tout va bien." Joseph sourit.

Lucette, 82 ans, coquette et digne, explique qu’avec ses 950 € de retraite, une fois déduites les charges fixes, elle n’a que "20 € pour vivre par semaine"... Dont 6 € pour la cantine de Saint-Vincent-de-Paul. "Je ne mangerais pas le midi s’il n’y avait pas ça." Autant dire qu’il ne reste plus rien pour des travaux dans son appartement : "J’ai des fuites d’eau. Les murs pourrissent, la peinture ne tient plus, le plafond me tombe dessus."

Denise, 65 ans, a 715 € de minimum vieillesse et 180 € de loyer. "Je ne mange que le midi. Le soir, c’est une soupe et un fruit." Denise a bien vu que certains clients de la cantine solidaire "prennent les restes, c’est autorisé", mais elle a pour l’instant rechigné à le faire. Denise s’accroche à sa dignité. "Ma maison a été vendue aux enchères. Mon mari buvait. On a tout perdu." Elle aimerait bien quitter son appartement de l’avenue Foch. "Je n’ai pas assez de retraite. Je passe nulle part. Personne ne vous prend avec 715 €. Il faut gagner trois fois le prix du loyer."

Mohamed et son amie, trentenaires, ont eu un peu de chance. Ils ont été relogés après que de la peinture au plomb a été détectée dans leur vieil immeuble de la rue Mistral. Le couple sans emploi avec ses trois enfants ne paie que 50 € de loyer, grâce à l’APL. Mais avec 580 € de revenus à tous les deux, tous les euros sont comptés. Mohamed fait chou blanc depuis des mois dans les agences d’intérim et à Pôle emploi. Du racisme ? "Ça compte un peu", lâche-t-il pudiquement. Tunisien, il ne peut même pas compter sur sa communauté. "Je suis de la capitale, et à Béziers ils ne prennent personne de la capitale. Et pas question du côté des Marocains et des Algériens, ils restent entre eux."

Amélie, 30 ans, bataille pour récupérer la garde de son enfant. Ça fait trois ans qu’elle ne travaille pas. Elle explique qu’elle se remettra à vraiment chercher quand elle aura fini son parcours du combattant. "J’ai la rage, à l’intérieur. Je ne sens pas d’aide, pas de soutien. On va à un endroit. Ils savent pas, ils vous envoient là-bas. Là-bas, ils savent pas non plus." Amélie mime un circuit avec ses mains... "Pour moi, c’est comme un rond-point. On tourne." Elle a trouvé du réconfort auprès de Corinne, bon samaritain qui offre ses petits tuyaux et ses bons plans à qui veut bien. "Je mets du scotch", résume Corinne. "Si vous ne savez pas, c’est pas celui que vous avez en face de vous dans les administrations qui va vous répondre. Il vaut mieux arriver avec les informations." Amélie va aller s’inscrire aux Restos du cœur. "Je n’ai rien à manger. Trois boîtes de conserve." En la quittant, Corinne lui glisse deux cigarettes.

Brice, 30 ans, est lui aussi au RSA. Avec 490 € par mois. Et pas de boulot à l’horizon. "Les boîtes d’intérim demandent minimum une voiture. Et puis il y en a qui disent qu’il faut de l’expérience. Je leur dis “Comment voulez-vous que je sois habitué si vous ne me faites pas travailler”. Ce qui me sauve, c’est que je suis pas dans l’alcool, dans la drogue, comme d’autres. Ils ont un leurre devant les yeux, qui les empêche d’avancer. Je risque de devenir comme eux si je reste à fréquenter ces gens-là. Il va falloir que je parte d’ici, sinon c’est foutu."

David, 42 ans, se dit la même chose. "Je me demande si on ne va pas partir autre part. Mais je suis là depuis 35 ans." C’est là aussi qu’ont grandi ses enfants, 10 et 5 ans. Il n’a pas de nouvelles de leur mère. "Je suis au RSA. Je jongle sur les loyers, l’électricité, sur tout ! Je suis désespéré de cette ville et je ne suis pas le seul." Maçon et chauffeur de formation, il a travaillé quelques mois à la voirie pour la mairie. Sans embauche durable à la clef. "Je me prive, c’est rien. C’est pour le bien de mes enfants." David a bon fond à défaut d’avoir les poches pleines. "Comme disait mon grand-père, on n’est pas des mauvais bougres dans la famille."

Maguy, commerçante de 50 ans, explique qu’il y a "les vrais pauvres et ceux qui font semblant". Elle parle d’une cliente qui "chipote sur les prix et qui vient de se faire refaire la poitrine pour 4 500 €, tout en liquide, c’est de l’économie souterraine". Maguy peste contre les dealers qui squattent sa petite rue du vieux Béziers, y compris son pas-de-porte. Le centre-ville se vide de ses magasins. Et les petits commerçants comme elle ont bien du mal à remplir les places libres aux emplacements porteurs. "Les propriétaires préfèrent ne pas louer leurs locaux plutôt que de se prendre la tête avec des impayés. Je prends sur mon argent personnel. Je ne fais pas de bénéfice et je vis de l’ASS (l’allocation de solidarité spécifique, NDLR). Un commerce, c’était mon rêve de gamine. J’ai fini de rêver. Je prends une claque. Pourtant, je ne voulais pas d’un grand truc. Juste au moins payer mes factures."

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