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Gestation pour autrui : « J’ai donné la possibilité d’être mère à une autre femme »

Aimée a mis au monde le fils de Sarah, qui a mis en route un troisième enfant avec une autre mère porteuse. Cette famille atypique raconte dans un livre son expérience de la gestation pour autrui, un sujet toujours tabou en France.

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Publié le 10 avril 2015 à 12h17, modifié le 19 août 2019 à 12h54

Temps de Lecture 4 min.

Dans la maison parisienne de Sarah Levine, cinq enfants âgés de 10 ans à 1 an jouent autour de la table de la salle à manger. Elly, Addy, Darvin, Oscar, et Viviane pourraient être frères et sœurs, ou cousins. La réalité est plus compliquée. Ils n’ont pas tous de lien de famille, et pourtant ils en forment une. Biscornue, atypique, mais une famille tout de même. Son lien est le duo de femmes assises avec les enfants, qui se disent « comme des sœurs ». En fait, l’une a porté l’enfant de l’autre. Aimée Melton, 41 ans, a mis au monde Oscar, 4 ans, le fils de Sarah, 46 ans. Elles sont toutes deux américaines. Sarah est installée à Paris depuis dix ans, et mariée à un Français. Aimée passe une semaine chez Sarah avec ses trois enfants.

« Ce sont de vrais enfants, de vraies personnes, pas des sous-citoyens »

Pour que le tableau soit complet, il manque la mère porteuse de Viviane, le deuxième enfant de Sarah. Comme Aimée, elle vit à Denver aux Etats-Unis. Sarah a mis un troisième enfant en route, avec… une troisième mère porteuse. Tout ce petit monde fêtera ensemble la fête nationale du 4-Juillet aux Etats-Unis, dans la famille de Sarah. « J’ai une relation spéciale avec les femmes qui ont porté mes enfants, confie Sarah. En particulier avec Aimée, la première. » Elles ont écrit un livre ensemble, Lorsqu’on n’a que l’amour, paru chez Flammarion en février (304 p., 19 euros). Depuis la naissance d’Oscar, les deux « mères » se voient deux fois par an.

Sarah et Aimée font les choses à l’américaine : cash. Elles dévoilent leur histoire sans fard, donnent leurs noms de famille, et acceptent que leurs enfants soient photographiés. « Ce sont de vrais enfants, de vraies personnes, pas des sous-citoyens », insiste Sarah. Une attitude rare en France, où la gestation pour autrui (GPA) est un sujet tabou, même si 200 familles y auraient recours chaque année selon les associations.

« Je ne l’ai pas fait pour l’argent »

C’est Aimée qui a eu l’idée du livre. « J’étais inquiète des répercussions émotionnelles de tout cela, explique-t-elle en anglais. Et je pensais que le bébé devrait pouvoir lire cette histoire plus tard. » Grande, solidement bâtie, habillée sans chichis, elle n’a jamais quitté sa profession de sage-femme. La question brûle les lèvres : pourquoi porter l’enfant d’un autre couple ? « Cela m’a fait me sentir merveilleuse, importante, puissante », explique-t-elle. Avant d’ajouter en riant : « C’est peut-être un truc egomaniaque ! »

Est-ce l’appât du gain ? Sur les 110 000 euros dépensés au total par Sarah et son mari, 27 000 euros sont allés à Aimée. « Si on tient compte du fait que cela a pris deux ans au total, ce n’est pas énorme, répond-elle. Je ne l’aurais pas fait sans l’argent, mais je ne l’ai pas fait pour l’argent. Il a surtout servi à me justifier vis-à-vis de ma famille et de mon mari. »

C’est une proche de Sarah qui l’a mise en relation avec Aimée, car elle lui avait confié son désir de devenir mère porteuse. Sarah et son mari tentaient depuis quatre ans d’avoir un enfant. Un cancer de l’endomètre suivi d’une ablation de l’utérus venait de leur enlever tout espoir de concevoir seuls. « Ma solution avait un nom : gestation pour autrui », résume Sarah. Mais son mari, Eric, a un avis « conforme à la position officielle de la France » : résolument hostile.

Aimée se sent « gardienne », pas mère

Il a donc fallu le convaincre. « Il a peu à peu ouvert son esprit, à condition que la personne ait une bonne conscience du risque, et qu’on ne l’exploite pas », raconte Sarah. Entre Sarah et Aimée, le courant passe. Des embryons formés in vitro à partir des gamètes de Sarah et Eric sont implantés dans l’utérus d’Aimée. Une fausse couche, puis les rebondissements de la grossesse qui aboutira à la naissance d’Oscar sont partagés grâce à Skype. Aimée se sent « gardienne », pas mère. « On me demande toujours si cela n’a pas été difficile de donner mon bébé, argumente-t-elle. Mais je ne l’ai jamais considéré comme mon enfant. Je n’ai pas donné un bébé. J’ai donné la possibilité d’être mère à une autre femme. »

« Surro-brother »

Elle ne cache rien, pourtant, du vide qui l’a envahi après l’accouchement, quand elle a volontairement placé une serviette entre elle et l’enfant, qu’elle ne se sentait « pas autorisée à toucher de peur que l’amour déferle ». « Je ne quitte pas des yeux Sarah et son bébé. Je regarde Sarah bien plus qu’Oscar, en fait. Je contemple sa joie et je m’en nourris, raconte-t-elle dans le livre. La doublure a cédé sa place à la vraie maman. (…) Tant d’attente impatiente, tant d’énergie investie en préparatifs. Et puis soudain plus rien. Tout est fini. »

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Elle n’a pas de regrets. « On ressent un vide après chaque grand projet », assume-t-elle. Elle a aujourd’hui pour Oscar un sentiment d’amour « protecteur mais pas possessif ». Ses enfants le connaissent et l’appellent leur « surro-brother », de l’anglais surrogate mother, qui signifie mère de substitution. Sarah aime l’expression française de mère porteuse. « Gestatrice, c’est trop sec, dit-elle. Aimée m’a permis de devenir mère. Je ne veux pas enlever ce côté émotionnel. »

Les deux femmes se revendiquent féministes. « Aux Etats-Unis, cela veut dire que les femmes sont jugées libres de disposer de leurs corps, ironise Aimée. Les féministes qui s’opposent à la GPA devraient s’occuper du leur au lieu de dire aux autres ce qu’elles doivent faire. » Elles savent pourtant que leur expérience est à mille lieues de celle des Indiennes ou des Ukrainiennes qui portent des enfants pour survivre, dans des conditions matérielles parfois difficiles, la plupart du temps sans garder de lien avec l’enfant. Sur ce point seulement, les deux amies ne sont pas d’accord. Sarah affirme qu’elle ne l’aurait pas fait dans ces conditions. Aimée estime que « si c’est la meilleure solution pour elles », c’est à ces femmes de décider.

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