David Letterman passe la main : il avait révolutionné l’humour américain

Son sens de l'absurde, ses moqueries envers la religion ou les politiciens ont fait le succès de ses audiences. Le présentateur durant trente-trois ans du célèbre “Late show” prend sa retraite le 20 mai.

Par Gaétan Mathieu

Publié le 12 mai 2015 à 11h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h38

Après trente-trois ans de late show, David Letterman va prendre sa retraite le 20 mai prochain. Si son émission semble un peu datée aujourd’hui et souffre de la comparaison avec celles de Jimmy Fallon et Jimmy Kimmel, David Letterman n’en reste pas moins le précurseur de l’humour qui fait recette aujourd’hui à la télévision et au cinéma.

Regarder aujourd’hui David Letterman, 68 ans, c’est un peu comme zapper sur Antoine de Caunes dans Le Grand Journal. On aurait tendance à oublier que le présentateur américain, assagi aujourd’hui, a façonné, plus encore que le trublion de Canal+, les talkshows à la télévision, et plus généralement la comédie. Le présentateur aux dents du bonheur accompagne les soirées des Américains depuis février 1982, d’abord sur NBC, puis sur CBS à partir de 1993.

Pourtant, tout a commencé le matin pour David Letterman, lorsque NBC l’engage en 1980 pour présenter une émission de divertissement. Mais son humour, parfois cynique, souvent absurde, et résolument avant-gardiste, ne plaît pas aux housewives américaines. Malgré un succès critique, l’émission est annulée au bout de cinq mois, faute d’audience. Le style Letterman séduit Johnny Carson, présentateur star du late show de la chaîne. Il décide de produire Late Night with David Letterman, diffusé à partir de minuit et demie.

“Nous sommes tous 100% coupables d’avoir copié Letterman”

« Nous sommes tous 100% coupables d’avoir copié Letterman. Son émission a tout changé, a transformé la comédie aux Etats-Unis. Nous sommes tous devenus cool d’un coup. » Ces compliments de Jimmy Kimmel, aujourd’hui présentateur du late show d'ABC, font écho aux éloges d’autres grands noms de la comédie américaine, de Ben Stiller à Will Ferrell. « J’étais toujours exténué à l’école le lendemain de son émission. Mais je m’en foutais de rater mes examens. J’avais toujours l’impression que quelque chose d’important allait se passer », confiait le producteur-réalisateur de comédies le plus influent d’Hollywood, Judd Apatow, à Rolling Stone en 2011. À ses débuts, David Letterman attire un public très jeune, là où la vedette de la chaîne, Johnny Carson, plaît à papa et maman. Rester éveillé jusqu’à 1h du matin pour regarder Late Night with David Letterman est un acte branché. Aux antipodes de Johnny Carson, de ses blagues bon enfant et chaleureuses, et de son copinage avec les stars, David Letterman est le premier à se moquer à la télévision des célébrités, de la pop-culture. Irrévérencieux, acerbe, excentrique, David Letterman élève le bizarre et le sarcasme au rang d’art bien avant que la culture mainstream ne s’en empare et ne fasse des « marginaux » les nouveaux gens cools.

Plutôt que d’interviewer les acteurs d’Hollywood – qui évitent pour la plupart son émission jugée un peu trop artisanale dans sa conception et laissant trop de place à l’improvisation – David Letterman interroge avec dérision les commerçants du quartier comme s’ils étaient des célébrités, et invite les comiques en devenir, Jerry Seinfeld et Andy Kaufman en tête. Son langage libre, son sens de l’absurde, ses moqueries envers la religion, les politiciens et la direction de la chaîne qui le diffuse ne sont pas sans rappeler l’humour des Simpson, avec qui il partage d’ailleurs de nombreux auteurs. Le choix des invités musicaux est aussi déterminant dans le succès de David Letterman. Les groupes de rock et de soul, peu présents dans les Late shows de ses prédécesseurs, se succèdent dans le Late Night. Les performances, dès la première année d’antenne, d’Iggy Pop, de Paul Simon, ou de James Brown finissent d’asseoir la popularité de Letterman chez les jeunes.

Une image ternie mais une audience toujours au rendez-vous

Lorsque Johnny Carson prend sa retraite et que NBC désigne Jay Leno comme son successeur, David Letterman quitte la chaîne qui l’a lancé et prend les rênes du late show concurrent de CBS, conscient que les jeunes le suivront. Diffusée à 23h30, son émission est plus soumise qu’auparavant à la pression de l’audience, et les aspérités qui avaient fait son succès à ses débuts disparaissent. Moins subversive, l’émission accueille dorénavant les stars de la chanson et du cinéma américain. Mais la révolution a déjà eu lieu, et David Letterman a posé les bases du Late show moderne tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Ces dernières années, son image aura été ternie par des articles relatant son sexisme en coulisses, et par son aveu, face caméra, d’infidélités lors de son émission du 1er octobre 2009. Avouant être victime de chantage, le présentateur préfère prendre les devants et confesse avoir eu plusieurs relations extra-conjugales. Ses fans du début, la cinquantaine passée aujourd’hui, ne lui en ont jamais tenu rigueur et ont continué à lui assurer de bonnes audiences, suffisantes pour justifier un salaire estimé entre 15 et 20 millions de dollars par an. S’il n’a pas encore dévoilé ses projets futurs – une émission de télévision plus occasionnelle n’est pas à exclure – David Letterman a déjà reçu une invitation pour combler son nouveau temps libre. Celle de Barack Obama, qui l’a invité à jouer aux dominos lorsqu’ils seront tous les deux sans emploi, en 2016.

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