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Les deux "sœurs de Ravensbrück" au Panthéon

Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz rejoindront la demeure des grands hommes, le 27 mai. Deux femmes exceptionnelles, amies jusqu’à leur mort. Pour le JDD, leurs descendants racontent.

Marie Quenet , Mis à jour le
Isabelle Anthonioz-Gaggini, fille de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, devant les portraits de sa mère et Germaine Tillion au Panthéon.
Isabelle Anthonioz-Gaggini, fille de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, devant les portraits de sa mère et Germaine Tillion au Panthéon. © Jérôme Mars pour le JDD

Elles ont été plus que des amies, des "sœurs", depuis leur déportation à Ravensbrück. Le 27 mai, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz , deux figures de la Résistance, "entreront" côte à côte au Panthéon. L'ethnologue qui milita, après-guerre, pour la paix en Algérie et la nièce du général de Gaulle, présidente d'ATD Quart Monde, rejoindront la cohorte des grands hommes. "Cela fait quand même un choc!" sourit Émilie Sabeau-Jouannet, 71 ans, la nièce de Germaine Tillion.

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Les enfants de Geneviève sont aussi émus. "Pour Germaine Tillion, on s'y attendait. Nous avons même participé à la campagne pour sa panthéonisation, témoigne Isabelle Anthonioz-Gaggini, 64 ans. Mais pour maman, le coup de téléphone de l'Élysée a été une surprise. Non pas qu'elle le mérite moins que les autres. Mais c'était quelqu'un d'assez discret, de modeste, malgré des convictions fortes et tenaces." Avec ses frères, ils se sont posé la question : "Aurait-elle accepté?"

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Pas de transfert des corps

L'idée de transférer le corps a été assez vite écartée : "Maman voulait être enterrée avec papa en Haute-Savoie, dans le petit village où ils se sont mariés en 1946. Leurs cercueils en bois ont été mis directement dans la terre. On imaginait mal les séparer." L'Élysée propose de faire entrer le couple au Panthéon? "On s'est beaucoup interrogé. Puis on a appris que le corps d'Aimé Césaire était resté en Martinique, que seule une poignée de terre avait été transmise. Cela nous a inspirés."

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Leur mère restera donc à Bossey, parmi les fleurs, à l'ombre de la croix sculptée par l'un de ses fils. Ses enfants devaient y prélever un peu de terre ce week-end. Même démarche pour Germaine Tillion. Sa nièce refuse qu'elle quitte le caveau familial : "Elle repose avec sa sœur, sa nièce, son père et sa grand-mère. Toute la famille Tillion est là! Sauf sa mère Émilie, gazée à Ravensbrück." Une cérémonie sera organisée mercredi au cimetière de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) pour recueillir la terre destinée au Panthéon.

Cette entrée dans la demeure des grands hommes réjouit les deux familles. "Je fais la part des choses entre maman, la personne que je connais intimement, et la personne publique. Celle-ci appartient à la République dans ce qu'elle a de plus beau : la Résistance, la fraternité, analyse Isabelle. Avec Germaine Tillion, elles représentent toutes ces femmes résistantes, souvent peu connues." Et la nièce de Germaine d'interroger avec malice : "Quelle autre femme y a-t-il au Panthéon? Marie Curie, rien que cela…"

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Cette entrée commune les touche beaucoup. "Leur complicité était si forte", réagit Isabelle, qui sort un livre d'entretiens entre Germaine et sa mère (Dialogues, Plon). "Ma tante était sa "grande sœur", renchérit Émilie. Car Germaine Tillion a 33 ans en 1940, Geneviève de Gaulle 19 ans. Mais toutes deux entrent immédiatement en résistance. Arrêtées, déportées, elles font connaissance dans l'enfer de Ravensbrück.

C'est le début d'une longue amitié. Après-guerre, les deux femmes partagent quelque temps un petit studio à Paris. Puis Germaine devient la marraine d'un fils de Geneviève. Chaque été, elle reçoit la famille Anthonioz dans sa maison du Morbihan. "Maman avait sa chambre attitrée, se souvient Isabelle. Germaine Tillion veillait à ce nous soyons bien nourris, ouvrait de très bonnes bouteilles, et s'intéressait à tout le monde. Si un gamin écoutait la conversation, elle se tournait vers lui en disant : "Et toi, qu'est-ce que tu en penses ?""

Chacune combat l'inacceptable. La misère pour Geneviève de Gaulle, qui renonce au cabinet ministériel d'André Malraux pour défendre les plus pauvres, arrachant une loi contre l'exclusion en 1998. Le sort du peuple algérien pour Germaine Tillion, qui met en place des centres sociaux, puis dénonce le terrorisme du FLN et la torture pratiquée par les militaires français. Elles ont en commun l'attention aux autres. La volonté d'agir.

En 1998, Geneviève est la première femme à être fait Grand-Croix de la Légion d'honneur? Un an plus tard, c'est elle qui décore Germaine, deuxième femme à recevoir cette distinction. Pendant la guerre d'Algérie, Geneviève facilite les démarches : "Maman a permis à Germaine Tillion de rencontrer Charles de Gaulle." En particulier pour plaider la grâce d'un condamné à mort.

Dans la crypte non loin d'André Malraux, de Jean Moulin...

Deux femmes exceptionnelles, humaines, accessibles. "À la maison, l'atmosphère était joyeuse, décrit la fille de Geneviève. Maman nous racontait les camps. Mais elle a filtré. Par exemple, elle n'a pas voulu qu'on l'accompagne au procès de Klaus Barbie." De son côté, Émilie, autrefois psychologue au CNRS, évoque l'humour contagieux de sa tante : "Vous connaissez l'opérette-revue qu'elle a écrite à Ravensbrück?"

Bientôt ces deux sœurs de combat rejoindront la crypte, non loin de Jean Moulin, André Malraux ou Jean Monnet. Les descendantes se préoccupent surtout de la suite. "Il faut perpétuer leurs principes auprès des jeunes", martèle Émilie, venue à l'exposition "Quatre Vies en résistance" inaugurée jeudi au Panthéon malgré ses jambes fragiles. "On peut emmener les collégiens visiter les camps, ce qu'il en reste s'anesthésie. Mais les témoins disparaissent, s'inquiète Isabelle, qui revient d'un voyage à Ravensbrück. Les enfants de déportés ont un devoir de transmission. Mais comment continuer?" 

Source: JDD papier

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