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Défense de l'histoire comme roman national

FIGAROVOX/ANALYSE - Le géographe Michel Lussault, qui préside le Conseil supérieur des programmes (CSP), dénonce la volonté de faire de l'histoire un roman national. Pour Maxime Tandonnet, ce dernier est, au contraire, un bon moyen de faire aimer la France aux élèves.


Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l'exercice de l'État pour FigaroVox. Il est haut fonctionnaire, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République et auteur de nombreux ouvrages, dont Histoire des présidents de la République , Perrin, 2013. Son dernier livre Au coeur du Volcan, carnet de l'Élysée est paru le 27 août. Découvrez également ses chroniques sur son blog.


ÉÉDans une interview donnée au Monde de l'Education, le 13 mai, M. Michel Lussault, président du conseil supérieur des programmes, affirme: «Il y a quelque chose de dérangeant dans l'idée, récurrente, de vouloir faire de l'histoire un «roman national» [...] Cela renvoie à une conception de l'histoire qui ne serait pas un outil de lucidité [...] Or, il s'agit de reconnaître la pluralité de l'histoire de France.»

Le roman national était pourtant présent dans l'enseignement de l'histoire sous la IIIe République. Celui-ci avait parmi ses objectifs, de contribuer à former les enfants à l'amour de la patrie. Cet état d'esprit se retrouve dans l'introduction du célèbre manuel d'histoire de 1912 d'Ernest Lavisse: «Tu dois aimer la France parce que la nature l'a faite belle et parce que l'histoire l'a faite grande». L'objectif d'enseigner l'amour de la France était au centre des objectifs de l'instruction publique sous la IIIe République et le roman national a été l'un des outils de l'affirmation de la Nation moderne, de son unité et de la solidarité entre ses membres. C'est en partie parce que les jeunes Français, pendant des générations, sous l'influence de leurs maîtres, se sont identifiés aux mêmes héros, aux mêmes évènements, à ses gloires et à ses tragédies, que la France a pu se constituer en nation moderne et unifiée.

Ce principe du roman national, porté à sa quintessence par Jules Michelet dont l'oeuvre présente la France à l'image d'une «personne humaine», ne doit pas être confondu avec la propagande (le conditionnement idéologique fondé sur le mensonge) ni être compris comme un obstacle à la lucidité. Promouvoir une histoire nationale n'implique en rien que les personnages qui la peuplent et les évènements qui l'animent soient fictifs, inventés ou magnifiés. Les collégiens et lycéens qui ont connu les manuels de Malet et Isaac comprennent que le roman national n'a rien de fictif ni de mythique. Ils ont appris, à travers cet enseignement, à aimer la France, une France réelle, non inventée et ouverte sur le monde et présentée dans son contexte européen et international. «Il existe, pour le passé, une évidente vérité de l'événement, car le passé est figé, bloqué à jamais. Et une même chose ne peut pas à la fois être et ne pas être» écrit l'historien Jean-Baptiste Durosselle dans Europe, Histoire de ses peuples (Perrin). L'histoire enseignée comme un roman vrai, authentique, un récit chronologique, a suscité la passion pour l'histoire de générations de collégiens et de lycéens.

« En quoi parler de la traite négrière serait-il lâche? » s'interroge M. Lussault. Sans doute, mais il n'est pas non plus interdit de rappeler que l'esclavage est un phénomène tristement universel, qui n'est en aucun cas propre à la France, ni de faire état du rôle pionnier de la France dans son abolition!

La question n'est évidemment pas de dissimuler ou de masquer les aspects douloureux ou indignes de cette histoire mais au contraire de les resituer dans un contexte. «En quoi parler de la traite négrière serait-il lâche?» s'interroge M. Lussault. Sans doute, mais il n'est pas non plus interdit de rappeler que l'esclavage est un phénomène tristement universel, qui n'est en aucun cas propre à la France, ni de faire état du rôle pionnier de la France dans son abolition! Le président du comité supérieur des programmes s'étonne que (dixit) «l'on puisse songer à renoncer à expliquer en quoi les lois antisémites de Vichy sont scandaleuses». Bien sûr que les abominations du régimes de Vichy doivent être enseignées, notamment la pire de toute, et nul n'a jamais dit le contraire. Mais il faut aussi préciser qu'à compter de la poignée de main de Montoire, le 24 octobre 1940, ce régime a progressivement sombré dans une vertigineuse impopularité et rappeler ce que fut la Résistance intérieure et extérieure, contre l'Occupation nazie et la collaboration, avec ses héros et ses dizaines de milliers de fusillés, torturés, déportés. Bref, c'est justement en disant la réalité, toute la réalité, celle des faits dans leur globalité, que l'histoire peut encore faire aimer la France.

«Il s'agit, affirme-t-il, de reconnaître la pluralité de l'histoire de France». Ce propos - sauf erreur d'interprétation - semble aux antipodes de l'histoire de France dans son acception républicaine, telle qu'elle s'exprime sous la plume de Jules Michelet et de tant d'autres auteurs. A travers cette notion de pluralité, il semble que l'on sorte de l'idée d'une histoire-vérité, commune à tous car fondée sur des faits, pour entrer dans une logique relativiste: chacun, chaque communauté, chaque région, aurait sa propre histoire de France. Dès lors, l'enseignement de l'histoire ne serait plus un vecteur d'unification, mais plutôt de fragmentation. A l'heure où la France se voit confrontée aux défis du communautarisme et du repli identitaire sous toutes ses formes, cette approche paraît contraire au principe de son indivisibilité. Il est temps de relire les Malet et Isaac de notre jeunesse et de les faire lire à nos enfants!

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