FN et droites radicales : les liaisons incestueuses ?

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Avec
  • Joël Gombin Politiste, membre de l'observatoire des radicalités politique de la Fondation Jean Jaurès et chercheur à l'Université de Picardie Jules-Verne
  • Lamprini Rori Maîtresse de conférence et professeure assistante d'analyse politique à l'Université d'Athènes
  • Bruno Larebière Journaliste indépendant, conseiller en stratégie de communication
  • Samuel Bouron Docteur en sociologie, enseignant à L'Université Paris 2 Panthéon-Assas
  • Dominique Albertini Journaliste à Libération, spécialiste de l'extrême droite en France

Qui se ressemble ne s’assemble pas forcément. C’est le constat que l’on pourrait tirer d’une observation de la galaxie de l’extrême droite française, dont le Front National est le représentant le plus emblématique.Quels sont les rapports de force et de proximité du Front National avec l’ensemble des partis qui sont identifiés à l’extrême droite de notre vie politique?

1er mai 2015 : Jean-Marie Le Pen monte sur scène avant le discours de sa fille Marine Le Pen, président du FN
1er mai 2015 : Jean-Marie Le Pen monte sur scène avant le discours de sa fille Marine Le Pen, président du FN
© Reuters - Philippe Wojazer

Alors que Marine Le Pen et Florian Philippot menacent quiconque assimile le FN à l’extrême droite de les traîner en justice, alors que Jean-Marie Le Pen envisage pour sa part de créer une nouvelle formation politique après son éviction du FN, alors que de nombreux leaders de mouvements de la nébuleuse nationaliste agonissent le FN "nouvelle formule" d’injures, nous avons souhaité comprendre comment l’histoire de ce parti le place dans une position forcément singulière au sein de l’extrême droite française.

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Organisé en 1972 comme une coalition de groupuscules d’extrême-droite, rassembleur des nostalgiques de l’Algérie française, des nationalistes et anti-communistes d’Ordre Nouveau, des révisionnistes et des pétainistes, le Front National s’est progressivement structuré intellectuellement et politiquement, tout en gardant sous la présidence de Jean-Marie Le Pen sa dimension composite.

Avec sa stratégie de dédiabolisation du FN depuis 2011, Marine le Pen a prétendu rompre avec les accointances intellectuelles et politiques de son père et de ses amis, en bref, normaliser le parti. Mais ce que la crise au sein de la famille Le Pen révèle, c’est l’ampleur du gouffre existant entre le parti rêvé de Marine Le Pen, un FN light et présentable, normalisé en somme, et le parti réel, dont de nombreux cadres et militants conservent des liens parfois étroits avec des groupes politiques plus radicaux, et des idéologies moins médiatiquement correctes.

Comment l’histoire du FN explique-t-elle ces rapports ambigus entre le FN et le reste de l’extrême-droite ? Pourquoi une certaine extrême-droite en vient à critiquer avec une telle virulence l’évolution du Front national ? Quel rôle a joué Jean-Marie Le Pen dans la synthèse qu’on croyait réservée au Parti Socialiste, entre des courants parfois irréconciliables de l’idéologie d’extrême-droite ?

Invité-e-s : Dominique Albertini, journaliste à Libération, chargé du FN et co-auteur avec David Doucet du livre "Histoire du Front national" [2013, Éditions Tallandier]. Samuel Bouron, docteur en sociologie, enseignant à L'Université Paris 2 Panthéon-Assas. Il réalise une enquête par immersion auprès des jeunes militants « Identitaires ». Il a dirigé avec Maïa Drouard "Les beaux quartiers de l’extrême droite" [2014, Éditions Agone].

Joël Gombin, chercheur en Sciences politiques à l'Université de Picardie Jules-Verne, spécialiste du FN, auteur d'une thèse sur le vote FN en région PACA et directeur d'ouvrage avec Pierre Mayance du livre "Droit(es) aux urnes en PACA ! Gombin Joël, (dir)," [2009, Coll. "Cahiers politiques, L’Harmattan] Bruno Larebière, journaliste indépendant, conseiller en stratégie de communication, ancien rédacteur en chef de l'hebdomadaire Minute, ancien membre du bureau exécutif du Bloc identitaire.

**La séquence internationale :L'extrême droite en Grèce. ** Lamprini Rori, chercheuse en Sciences politiques, spécialiste de l’extrême droit en Grèce. Elle a publié un article sur la montée du parti politique grec d'extrême droite Aube Dorée, à Athènes.

Le conseil de lecture de la semaine Marine Le Pen prise aux mots de Cécile Alduy et de Stéphanie Wahnich [2015, Le Seuil] Respectivement Professeure de littérature à l’Université de Stanford en Californie, et Professeur de communication politique à l’Université Paris-Est Créteil, Cécile Alduy et Stéphane Wahnich ont fait le pari, comme le titre l’indique, de prendre les discours de la présidente du FN au sérieux, et de s’intéresser à cette bataille des mots que le parti d’extrême droite – un terme contesté, on l’a vu – a lancé au début des années 80.

Les deux chercheuses démontrent l’évolution de la langue fracassante, directe, brutale de Jean-Marie Le Pen, vers une langue plus mélangée de Marine Le Pen, toujours virtuose mais mettant en sourdine les thèmes les plus clivants et récupérant un vocabulaire plus consensuel, plus républicain, voire parfois même de gauche, donc plus opaque. Par le biais des discours, c’est l’évolution de l’idéologie même du FN qui est présentée avec brio, du tropisme économique au virage étatique, voire républicain, ou encore l’introduction de nouveaux enjeux comme le féminisme ou la laïcité, ou la disparition d’autres : la morale chrétienne ou l’antisémitisme. **Tout à fait convaincante est l’analyse très détaillée des discours de dénonciation de l’immigration, dont la logique sémantique demeure « quasi » intacte entre le père et la fille, démontrant que certaines choses ne changent pas au FN malgré les apparences... **

Analysant les conditions de réception des discours et pas seulement celles de la production de ceux-ci, la force de ce livre est de montrer comment Marine Le Pen et ses lieutenants ont intégré la structure de leur électorat : celui d’une France périphérique, de plus en plus rurale et en tous les cas régionalisée, un électorat défiant vis-à-vis de la classe politique et à la recherche de boucs émissaires pour justifier ses difficultés.

**Le chapitre évoquant les mythologies qui sous-tendent ces discours ** : le sursaut national, la croisade, le complot, l’âge d’or perdu, est l’un des cœurs battants de ce très riche ouvrage qui **nous dévoile finalement l’imaginaire du FN et la force de l’idéologie dans ce parti. **

Cet ouvrage nous démontre de belle manière, l’ensemble des liens existant entre le discours du FN et celui du reste de l’extrême droite française depuis près d’un siècle, malgré les dénégations de Marine Le Pen et de Florian Philippot.

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