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Centrales à charbon : la France fume chez les autres

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Les ONG Oxfam et les Amis de la Terre pointent du doigt les émissions de CO2 de l'Hexagone issues de ses centrales à charbon dans le monde.
par Isabelle Hanne
publié le 19 mai 2015 à 6h59

Via leurs 46 centrales à charbon dans le monde, EDF et GDF Suez, récemment rebaptisé Engie, émettent chaque année plus de 151 millions de tonnes de CO2. «Soit près de la moitié des émissions de la France», dénoncent les ONG Oxfam et les Amis de la terre, qui publient ce mardi un rapport intitulé Emissions d'Etat : comment les centrales à charbon d'EDF et Engie réchauffent la planète. La pollution de ces centrales à charbon a pu être chiffrée grâce aux banques de données de l'université d'Oxford, avec qui les deux ONG ont collaboré.

Pourquoi se concentrer sur le charbon ?

Le charbon, combustible le plus polluant de toutes les énergies fossiles, est la première cause du réchauffement climatique. Sa combustion génère à elle-seule 44% des émissions mondiales de CO2, toujours selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). En tête, la production d'électricité des centrales à charbon, loin devant le transport ou l'agriculture. «Bien que les centrales à charbon ne représentent que 41% de la production d'énergie au niveau mondial, elles sont responsables de plus de 72% des émissions du secteur de l'énergie», précise le rapport, s'appuyant sur le World Energy Outlook 2014 de l'AIE. Pourtant, entre 2007 et 2012, la demande mondiale de charbon a crû de 3,4% par an, et progressera encore de 2,3% par an d'ici à 2018. Une augmentation «intenable» pour la planète, juge l'AIE.

Quelles sont les activités charbon d’EDF à l’étranger ?

Chez EDF, on ne dit pas charbon, mais «thermique fossile hors gaz», soit 9,1% de la production électrique mondiale du groupe selon son rapport d'activité 2013. Sur ses 16 centrales à charbon, EDF en possède 5 en Chine, et 11 en Europe. Dont deux en Grande-Bretagne, celles de Cottam et West Burton, qui figurent dans le top 30 des centrales à charbon les plus polluantes d'Europe, selon une étude de l'Université d'Oxford parue en mars. Ces centrales ont pourtant bénéficié cette année de nouvelles subventions de l'état britannique de 180 millions de livres (250 millions d'euros). «Il est scandaleux que le charbon, qui est le pire contributeur aux effets dévastateurs du changement climatique, soit encore pris en charge par l'argent public de certains pays riches comme le Royaume-Uni», s'étrangle le rapport.

Et tandis qu'EDF ferme ses centrales à charbon en France (dix centrales arrêtées depuis 2013), l'entreprise investit en Europe de l'Est et en Chine. Via sa filiale Eddison, qu'elle détient à 99%, elle «envisage d'investir dans la centrale à lignite de Kolubara [en Serbie, ndlr]. Or le lignite est la forme la plus nocive du charbon, extrêmement polluant et fortement émetteur de gaz à effet de serre», précise le rapport. Qui rappelle que la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), qui avait initialement promis une aide de 400 millions d'euros, s'est retirée du projet. «Il n'y a pas de projet en Serbie en tant que tel à ce stade», répond-on chez EDF.

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En Chine en revanche, les travaux pour la future centrale ultra-supercritique (une technologie plus économe en charbon, donc en émissions, et présentée comme «plus propre et plus efficace» par ses promoteurs) dans la province du Guangxi sont déjà lancés, pour une mise en service en 2016. «Les Chinois sont demandeurs : 75% de l'électricité du pays est produite à partir de centrales thermiques à charbon», se défend EDF, qui rappelle que le groupe «investit sur les technologies les plus performantes et les plus abouties». Mais même les centrales à charbon les plus performantes émettent toujours deux fois plus de CO2 que les centrales au gaz, devance le rapport.

Et chez Engie ?

Avec ses 30 centrales à charbon dans le monde, des Etats-Unis à la Chine en passant par le Chili, l’Australie et l’Allemagne, l’ex-GDF émet 81 millions de tonnes de CO2 par an. Et Engie ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : avec son partenaire Exxaro, la société a récemment remporté un appel à projet pour une nouvelle centrale à charbon à Thabametsi, en Afrique du Sud.

Un projet contesté : plusieurs centaines de personnes ont manifesté vendredi dernier à Johannesburg, près du consulat de France pour critiquer le soutien hexagonal à la filière charbon. «La centrale de Thabametsi est une bombe climatique pour l'Afrique du Sud», accuse le porte-parole d'Earthlife Africa, l'ONG organisatrice de la marche. Dans la province du Limpopo où sera implantée la centrale, «la qualité de l'air est déjà en deçà des standards» recommandés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), souligne le rapport. D'autant que «l'industrie du charbon viendra augmenter le stress hydrique dans une région déjà sous pression.»

Quelle est la responsabilité de la France ?

EDF est une entreprise détenue à 84% par l'Etat français. Engie, à 33%. Le rapport souligne le «pouvoir d'influence» et la «responsabilité première» du gouvernement sur ces entreprises. Et critique la France pour son «hypocrisie» et son «incohérence», l'année où elle accueille et organise la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP21), en décembre à Paris.

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Alors que le pays s'est engagé à réduire ses émissions via son Projet de loi de transition énergétique, et à supprimer les aides publiques à l'exportation pour les projets de centrales à charbon les plus polluantes, «ces pratiques contribuent à enfermer les pays "hôtes", où se situent ces centrales, dans des trajectoires hautement carbonées».

Et le rapport de s'agacer : «Alors que François Hollande parcourt la planète en multipliant les appels à action pour lutter contre le changement climatique, la France pollue allègrement à l'étranger via ses entreprises à capital public.»

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