Inutile de comprendre l’espagnol pour savoir si l’on est bien arrivé dans la région du Michoacan (Centre-Ouest). Il suffit de suivre les papillons ocre et noir. Déclinés en aimants pour le réfrigérateur dans les magasins, dessinés sur les pancartes au bord de la route, brodés sur les vêtements des enfants, ceux qu’on appelle les mariposa monarca représentent bien plus qu’un simple insecte coloré dans cette partie du Mexique. Ils sont à la ville de Zitacuaro (Centre) ce que la dentelle est à Calais. Un emblème. Une fierté.
Il faut dire qu’ils attirent chaque année 150 000 touristes venus du monde entier. Des Mexicains, des Canadiens et des Américains principalement. Mais aussi des Européens et des Chinois fascinés par cette énigme biologique. Armés de téléobjectifs, de laines polaires et de jumelles, ils viennent observer, de novembre à mars, un phénomène rare : la migration du monarque.
Par millions sur quelques pins
Alors que la plupart des papillons ont une durée de vie ailée qui ne dépasse guerre la semaine, celui-ci est capable de parcourir 4 000 kilomètres du Canada jusqu’au Mexique afin d’hiberner et de reprendre des forces pendant l’hiver. Et, sans que les biologistes puissent l’expliquer, il réussit au printemps à retrouver son chemin vers le Canada. Ainsi, pendant cinq mois, il se niche par millions sur quelques pins des montagnes du Michoacan, dans des réserves baptisées « sanctuaires ».
Sur Internet, les vidéos et les photos de cette nuée de papillons orange ne manquent pas. Pourtant, se rendre dans ces lieux classés au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2008 ne garantit pas le même spectacle à chaque visite. Après douze heures de vol au départ de Paris vers Mexico, deux heures de route à sillonner des champs de maïs au parfum de soufre jusqu’aux montagnes vertes du Michoacan, il faudra encore près d’une heure dans une voiture avec un guide pour rejoindre l’une des réserves.
Le ballet des papillons dans une réserve du Michoacan
Située à plus de trois mille mètres d’altitude, celle d’El Rosario est la plus connue. A l’entrée, des enfants aux joues dodues sautent sur les touristes pour leur demander quelques dollars pendant que leurs parents installent des petits souvenirs à vendre sur des étals en carton.
Ce matin-là, il fait gris et humide. Les locaux se plaignent de l’arrivée tardive du monarque. « Il a rejoint la réserve il y a quinze jours seulement ! Un jour, ils ne viendront plus », prévoient les plus pessimistes. La plupart des touristes, encore peu nombreux en décembre, sont déjà au courant. Certains d’entre eux, de vrais mordus du papillon, ont déjà visité trois réserves. Ils sont même allés à Monterey, en Californie, en octobre pour voir l’une des haltes du monarque sur les eucalyptus, au bord du Pacifique.
D’autres, visiblement néophytes et mal équipés, espèrent bien provoquer une émeute sur le réseau de partage de photos Instagram en postant un cliché d’un ciel parsemé de papillons. Mieux vaut ne pas avoir atterri la veille pour se lancer dans la visite d’El Rosario : à plus de 3 000 mètres d’altitude et avec sept heures de décalage horaire, la progression dans la montagne ferait passer n’importe qui pour un novice.
Encore un effort et il faut faire le silence. Surtout ne pas déranger les papillons. Le moindre son peut les mettre en danger.
La première partie de la montée est bordée de marches et de panneaux illustrés. On traverse ensuite un plateau où les plantes grasses se mêlent aux fleurs sauvages et aux senteurs de conifères. Puis, si l’on regarde au sol, quelques touches de couleur apparaissent : des fragments d’ailes de papillons mènent les visiteurs au centre névralgique de la réserve comme les cailloux blancs du Petit Poucet. Encore un effort et il faut faire le silence. Surtout ne pas déranger les papillons. Le moindre son peut les mettre en danger.
Derrière une corde qui empêche les touristes d’avancer se dressent des pins gigantesques. Pas de papillon en vue. La déception est si lourde qu’il se met à pleuvoir. Un biologiste chuchote en souriant : « Regardez, ils sont là ! » Les jumelles passent de main en main. Effectivement, ils sont bien là. Mais, à la place de la démonstration colorée que tout le monde espérait, les papillons font la grève du déploiement d’ailes. Agglutinés les uns aux autres, ils ressemblent à des feuilles mortes, à peine plus claires que le tronc. Certains volent au sol. On se précipite pour les photographier. Mais, comme des oiseaux tombés du nid, ceux-là ne survivront pas.
« Ecosystème très fragile »
Au bout d’une heure d’observation, les touristes redescendent un peu déçus mais bien décidés à revenir un jour où il fera plus chaud. « C’est en février qu’il faut venir, c’est là que vous les verrez tournoyer au-dessus de vos têtes », explique Lisette Span, une Française expatriée au Mexique qui tient avec son mari l’hôtel Rancho San Cayetano, à la sortie de Zitacuaro. « Même si l’on doit avouer que, chaque année, il y en a de moins en moins », dit-elle, aussi attristée que les experts de la biodiversité, qui ne cessent de mettre en garde contre la déforestation de la région et l’utilisation massive de pesticides aux Etats-Unis, dont les papillons se nourrissent avant d’arriver au Mexique.
« L’écosystème du papillon est très fragile et il suffit de quelques arbres en moins pour modifier le microclimat nécessaire à sa migration », indique Eduardo Rendon Salinas, chargé d’un programme de reforestation et de protection du papillon pour WWF (Fonds mondial pour la vie sauvage).
Et c’est sans doute cet équilibre mystérieux qui émeut autant les touristes. Qu’ils les voient en plein envol ou en colonies sur une branche, tous sont bien conscients qu’il s’agit d’un moment privilégié. Enigmatique. Et peut-être voué à disparaître.
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