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L’associé de Sarkozy, voie offshore des Balkany ?

De nouveaux éléments recueillis par «Libération» accablent Maître Claude, soupçonné d’avoir orchestré l’évasion fiscale du maire de Levallois et de son épouse.
par Renaud Lecadre et Emmanuel Fansten
publié le 20 mai 2015 à 19h46

L'avocat Arnaud Claude, associé historique de Nicolas Sarkozy au sein du cabinet «Claude & Sarkozy», a bien participé aux montages offshore du couple Balkany. Les juges Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon, chargés d'instruire l'affaire depuis décembre 2013, ont formellement établi que Me Claude a joué un rôle actif dans ce vaste schéma d'évasion fiscale. Selon des documents consultés par Libération, l'enquête a révélé l'existence d'un virement de 200 000 dollars, envoyé depuis une société écran suisse sur un compte à Singapour. Sur le bordereau de virement, est indiqué à la main : «Partie des honoraires de Me Claude». Une découverte lourde de conséquences.

Arnaud Claude, 61 ans, apparaît désormais comme l'ultime victime collatérale de l'affaire Balkany. Mis en examen en décembre pour «blanchiment de fraude fiscale», l'avocat est soupçonné d'avoir aidé l'homme de confiance de Patrick Balkany, Jean-Pierre Aubry, à acquérir une luxueuse villa à Marrakech en dissimulant au moins 5 millions d'euros au fisc français via un entrelacs de trusts et de sociétés écrans.

Depuis que la justice s'intéresse à lui, Arnaud Claude dément être intervenu directement dans ce montage tortueux, assurant que les accusations portées contre lui ne sont «confortées par aucun élément matériel». A peine admet-il, du bout des lèvres, avoir rendu service «à titre personnel» à son ami Aubry, qu'il côtoie depuis plus de vingt ans à la mairie de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). «Je n'avais aucune connaissance ni compétence pour gérer ce genre de situations», a répété l'avocat fin mars dans le bureau des juges.

«Aucune idée». Une version qui vient de voler en éclats. Non seulement Arnaud Claude a géré activement le trust ouvert à Genève, mais il est aussi fortement suspecté d'avoir été grassement payé pour le faire. Les juges peuvent désormais s'appuyer sur un document accablant : la preuve que, le 28 avril 2010, Me Claude a lui-même transmis à une fiduciaire suisse, Gestrust, l'instruction de virer 200 000 dollars sur un compte ouvert à Singapour au nom de «Repkow». Une somme qui correspondrait, selon une responsable de la fiduciaire, aux «honoraires de Me Claude». Confronté à ces nouveaux éléments, l'avocat a eu bien du mal à se justifier face aux juges, expliquant que la responsable du compte suisse avait sans doute «mal compris».

Repkow ? «C'est un spécialiste bancaire des marchés asiatiques résidant à Singapour depuis quinze ans, a raconté Me Claude. M. Aubry souhaitait avoir des études sur le fonctionnement des placements et j'ai transmis sa demande à M. Repkow, que je connais. Ce virement correspond à des honoraires de M. Repkow.» Le juge tique : «Comment peut-on verser 200 000 dollars d'honoraires pour une étude sur d'éventuels placements ? Quel argent devait être investi en Asie ?» Arnaud Claude répond benoîtement : «Je n'en ai aucune idée.» Interrogé sur ce point, Jean-Pierre Aubry aura la même réponse : «Aucune idée.» Embarrassé sur le rôle de ce Repkow, aujourd'hui représentant pour la région Asie Pacifique de l'Union bancaire privée (UBP), une des plus grosses banques helvètes, Arnaud Claude finira par lâcher : «C'est mon neveu.» Une affaire de famille qui n'a pas vraiment convaincu les magistrats, persuadés que ces «honoraires» sont bien ceux de Me Claude et correspondent à une activité bien réelle de l'avocat, qui apparaît dès lors comme l'artisan des montages offshore du couple Balkany.

Coquilles. Arnaud Claude fut présent chez Gestrust lors du premier rendez-vous introduisant M. Aubry comme client de la fiduciaire suisse, rendez-vous au cours duquel il est décidé de créer deux coquilles panaméennes : la première, Himola, est destinée à recevoir puis ventiler 5 millions d'euros encaissés par Patrick Balkany en marge de ses pérégrinations africaines ; la seconde, Hayridge, permet d'acheter une villa marocaine, baptisée «Dar Gyucy», et surtout de masquer son véritable propriétaire ( Libération du 24 février).

«C'est Me Claude qui délivrait les instructions, a confirmé aux juges Marc Angst, patron de Gestrust. Il voyait essentiellement mon assistante. Selon ce que celle-ci m'a dit, il passait voir le dossier et donnait des instructions pour le compte de notre client, M. Aubry. Si elle avait une question par rapport au dossier, elle ne contactait jamais M. Aubry, elle contactait Me Claude, soit par téléphone, soit par des visites de Me Claude chez nous. C'est ce qui était convenu […]. Me Claude l'appelait par téléphone en lui disant qu'il lui faxait ses instructions, toujours pour le compte de M. Aubry, en lui demandant d'effectuer le transfert.»

Pour ne pas éveiller les soupçons, Arnaud Claude envoie des fax depuis le bureau d'un avocat voisin, Me Arnaud Nicolas, domicilié lui aussi au 52, boulevard Malesherbes (Paris XVIIe). Ainsi, le 5 janvier 2010, Me Claude adresse par ce biais les coordonnées bancaires au Liban du vendeur de la villa «Dar Gyucy», Mohamed B., avec une instruction de paiement de 2 500 000 euros. «Ce paiement devait correspondre à un dessous-de-table en faveur du vendeur», notent les juges. Deux autres ordres de transfert sont envoyés depuis le fax d'un autre ami d'Arnaud Claude. Chez Gestrust, plusieurs bordereaux de virements sont ainsi annotés : «Instructions received by phone from MClaude.»

Rupture. En dépit de ces éléments probants, Arnaud Claude continue de minorer son rôle. «Je passais à Genève pour d'autres motifs professionnels et je profitais parfois de ces occasions pour passer chez Gestrust pour savoir si tout allait bien dans le cadre des rapports entre M. Angst et M. Aubry.» Aux yeux de Gestrust, pourtant, l'associé de Nicolas Sarkozy serait bien le seul et unique référent du compte Himola. En mars 2014, quand l'affaire commence à s'ébruiter dans la presse, c'est à lui que Gestrust adressera un courrier de rupture, y joignant un chèque de 187 294 dollars (168 900 euros) pour solde de tout compte. Les juges cherchent désormais à déterminer l'étendue de la fraude. Outre le transfert correspondant aux «honoraires» de MClaude, un autre virement intrigue les enquêteurs. Daté du 21 juillet 2009, il porte sur une instruction de paiement de 250 000 dollars avec cette mention inédite : «commission rétroactive»… Destinée à qui ? Mystère. Contacté par Libération, l'avocat d'Arnaud Claude, Me Cyril Gosset, n'a pas souhaité répondre à nos questions.

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