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Les plus anciens outils de pierre découverts au Kenya

Une équipe menée par une archéologue française a mis au jour des outils lithiques vieux de 3,3 millions d’années, façonnés avant l’apparition du genre humain.

Le Monde

Publié le 20 mai 2015 à 11h44, modifié le 25 mai 2015 à 11h34

Temps de Lecture 5 min.

Sonia Harmand (CNRS, Université Stony Brook, New York), responsable de la mission archéologique West Turkana, examine un des plus anciens outils lithiques (3,3 millions d'années) découverts lors d'une prospection au Kenya.

Le scénario favori des archéologues concernant l’apparition des premiers outils avait survécu à bien des vicissitudes. Il vient d’être mis à mal par un article très attendu de la revue Nature, jeudi 21 mai, qui décrit la découverte au Kenya, par une équipe conduite par l’archéologue française Sonia Harmand, des plus anciennes pierres taillées, datées à 3,3 millions d’années avant notre ère – soit un bond dans le passé de quelque 700 000 ans ! Un passé où le genre humain n’était pas encore de ce monde.

Jusqu’ici, pour les outils, tout commençait il y a entre 3 et 2 millions d’années. C’est l’époque où, selon les spécialistes, les routes des australopithèques − la famille de « Lucy » − se séparent. Le gros de la troupe disparaît ou évolue vers des espèces plus robustes, aux mâchoires puissantes, les paranthropes, éteints il y a environ un million d’années. Quant au reste, il donne naissance au genre humain.

Cette lignée, le genre Homo, aurait alors quitté définitivement les arbres pour devenir, de plus en plus, un fabricant d’outils. C’est en effet à peu près en même temps qu’apparaissaient les premiers fossiles humains et les plus anciens outils connus jusqu’à présent, âgés de 2,6 millions d’années, en Ethiopie. Réalisés en retirant des éclats de pierre à des blocs ou des galets, ces derniers servaient sans doute, entre autres, à dépecer des proies ou des charognes. C’est ce qu’indiquent des os d’animaux striés par quelque chose de tranchant, qui apparaissent peu de temps après, également en Éthiopie.

L’archéologue Sonia Harmand avait une idée derrière la tête : « Et s’il existait des sites encore plus vieux que Lokalalei au Kenya ? »

Curieusement, les premiers tailleurs d’outils semblaient déjà assez expérimentés. C’est ce que montraient, en 1999, les travaux de l’équipe d’Hélène Roche, du CNRS, sur le site de « Lokalalei 2C », au Kenya. Prenant sa retraite en 2011, cette dernière confie alors la responsabilité de la mission à son ancienne élève Sonia Harmand (CNRS, université Stony Brook, New York).

Celle-ci a une idée derrière la tête. « Et s’il existait des sites encore plus vieux que celui de Lokalalei, au Kenya ? » Consultés, des géologues indiquent qu’il y a bien dans la même région des sédiments anciens, d’au moins 2,7 millions d’années. S’ils contenaient des outils, ceux-ci seraient donc les plus vieux du monde − d’une courte tête. Alors Sonia Harmand demande puis obtient une bourse, et monte une équipe.

Vue générale du site de Lomekwi, au Kenya, où les plus vieux outils lithiques connus (3,3 millions d'années) ont été découverts.

À l’été 2011, l’expédition est prête et se dirige vers la zone. « On est partis à plusieurs voitures, et le 9 juillet, on s’est perdus. » Les cartes géologiques et les repérages préalables sur les images satellites n’ont pas été d’un grand secours : dans ce désert de cailloux, de broussailles et d’acacias, il n’y a pas beaucoup de points de repère. « L’endroit où nous étions arrivés était assez inhabituel. Nous sommes montés sur un petit promontoire pour essayer de voir où nous nous trouvions. Là-haut, il y avait une vue assez incroyable sur une sorte de cirque. Alors j’ai proposé de prospecter la zone. »

L’équipe, munie de talkies-walkies, se disperse. Mais à peine quelques minutes plus tard, son mari, qui participe à la mission, l’appelle. « Il m’a dit : “Il faudrait que tu viennes voir, un des prospecteurs a repéré des choses intéressantes.” Quand je suis arrivée, j’ai tout de suite vu de curieuses grosses pierres », raconte-t-elle. Elle commence à ficher près de l’une d’entre elles un de ces petits drapeaux qu’utilisent les archéologues pour signaler les pièces intéressantes lors des prospections. Mais bientôt, le doute n’est plus permis : la zone se couvre de drapeaux. Elle appelle alors le reste de l’équipe.

Sonia Harmand et l'un des prospecteurs de la mission archéologique plantent de petits drapeaux près des éléments qui méritent examen.

Les géologues confirment que les sédiments où se trouvent les pierres sont bien ces couches anciennes que recherchait l’équipe. Plus tard, la fouille du site, appelé « Lomekwi 3 », montrera que pierres et sédiments sont bien contemporains. Au total, après plusieurs missions, les archéologues ont collecté plus d’une centaine de ces pierres qui « semblent bien avoir été taillées intentionnellement », selon Dietrich Stout, de l’université Emory, aux États-Unis. Les hominidés utilisaient pour cela deux méthodes simples, avec une pierre servant d’enclume.

Sammy Lokorodi, prospecteur membre de la mission archéologique, originaire de la région Turkana, qui a découvert le site où ont été mis au jour les plus anciens outils lithiques.

Ces outils ne ressemblent pas du tout à ceux que connaissaient les archéologues pour les époques anciennes, car ceux-ci dépassent rarement une dizaine de centimètres. Or à Lomekwi, plusieurs blocs flirtent allègrement avec les trente centimètres, le plus lourd atteignant quinze kilos.

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De très vieux outils, donc, mais de quel âge exactement ? Et c’est là que les datations prennent tout le monde de court. Les pierres taillées remontent en fait à 3,3 millions d’années, et non 2,7 comme le pensaient initialement les géologues. Ce sont bien, de loin, les plus vieux outils du monde. Ce sont aussi les plus anciennes traces d’une activité de type humain. Le plus vieux site archéologique, en somme.

Outil de pierre en cours d'extraction sur le site de

Sauf que tout cela se place 500 000 ans avant l’apparition des premiers humains. Alors, qui a fabriqué ces outils ? Les membres du genre Homo, qui n’apparaissent qu’il y a 2,8 millions d’années, semblent pour le moment exclus. Il peut s’agir des australopithèques, dont plusieurs fossiles sont connus pour cette période, mais en Éthiopie.

Reste encore un autre candidat, qui n’est pas le moins intéressant. Car en se perdant, l’équipe est tombée à seulement un kilomètre du site d’une autre découverte, faite dix ans plus tôt. C’est celle d’un fossile qui date à peu près de la même époque, entre 3,2 et 3,5 millions d’années. Une sorte de franc-tireur de la paléoanthropologie : le « kenyanthrope ». Il n’est représenté que par un seul fossile, un crâne au visage relativement plat. Ne sachant pas bien où le ranger, les paléoanthropologues lui ont créé un nouveau genre, ce que certains de leurs collègues contestent.

Moulage du crâne de

Quoi qu’il en soit, les humains ne sont sans doute pas les premiers inventeurs des outils. Les australopithèques ou les kenyanthropes étaient capables d’en concevoir. Leurs outils sont rudimentaires, mais cela tient sans doute plus à leur anatomie qu’à leurs capacités cognitives. « Quand on essaie d’apprendre aux bonobos à tailler des pierres comme cela se faisait il y a 2,5 millions d’années, explique Dietrich Stout, ils refusent, préférant utiliser des méthodes plus simples, similaires à celles de Lomekwi. » Leur pouce n’est en effet pas assez robuste. Ce qui était sans doute le cas des hominidés de Lomekwi, même si leur préhension était sans doute meilleure, d’après les études sur les australopithèques.

Nicolas Constans

Le Monde

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