Peu habitués des grèves dures, les Allemands respirent mieux depuis jeudi. Le mouvement de grève illimité lancé mardi dernier par le petit mais puissant syndicat des conducteurs de locomotives (GDL) a été suspendu, évitant ainsi à l'Allemagne d'être paralysée pendant la Pentecôte et au-delà. Le GDL et la direction de Deutsche Bahn se sont accordés in-extremis sur l'ouverture d'une "trêve sociale" jusqu'au 17 juin et sur la nomination sans conditions de deux médiateurs.

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Pourtant le danger de conflit social est loin d'être écarté. En effet, la "Loi sur l'unité syndicale" (Tarifeinheitsgestz), que le Bundestag doit adopter ce vendredi matin pourrait bien venir jeter de l'huile sur le feu. Le texte de loi prévoit en effet que si deux syndicats d'une même entreprise n'arrivent pas à s'entendre sur leur périmètre de représentation, alors, c'est la convention collective négociée par le syndicat affichant le plus d'adhérents dans l'entreprise qui l'emportera. Le petit n'aura alors plus le droit de faire grève pour imposer ses revendications: "Dans le cas de Deutsche Bahn, où le GDL est en concurrence avec le grand syndicat du rail EVG, c'est l'EVG qui gagnera et le petit GDL n'aura plus rien à dire. Ce qui explique peut-être pourquoi le syndicat des conducteurs de locomotives lutte aussi agressivement", explique un vieux routard des négociations collectives.

Limiter la concurrence syndicale et les conflits sociaux

Pour les tenants de la loi, l'exemple du conflit du rail qui dure depuis plus d'un an et a déjà coûté quelques centaines de millions d'euros aux Allemands, justifie la future loi à merveille. "Le GDL a déjà fait 9 grèves depuis un an, le pays est régulièrement bloqué, et tout cela, juste pour gagner quelques milliers d'adhérents ? C'est inadmissible. D'autant que ce n'est pas la seule grève du genre", s'insurge Albert, un usagé du RER berlinois (S-Bahn), largement touché par le mouvement.

Il est vrai qu'actuellement, les secteurs du transport aérien, de la Poste, de l'éducation et du commerce, sont aussi touchés par des conflits sociaux. "Il n'y a pas beaucoup plus de grèves qu'avant en Allemagne. Mais les grèves d'hier, c'était plutôt chez les sous-traitants automobiles ou le charbon. Ce n'était pas très visible. Aujourd'hui, c'est dans le secteur social et les services, cela nous affectent plus directement", explique le sociologue spécialisé Stefan Liebig de l'Université de Bielefeld.

"Ce que nous remarquons c'est que les différences salariales entre les secteurs et les professions ont très fortement augmenté ces vingt dernières années en Allemagne. La tendance à se sentir injustement traité et rémunéré est aussi une conséquence d'accords collectifs qui sont de plus en plus négociés au niveau des entreprises. Tout devient beaucoup plus différencié et les gens s'en rendent aussi beaucoup plus compte", détaille-t-il en renvoyant également au chômage des années 90, aux réformes de Schröder et à l'explosion des bas salaires dans les services, la restauration, le commerce ou l'alimentation.

Le droit de grève remis en cause

C'est dans ce contexte général qu'une décision de justice de 2010 légitimant la concurrence syndicale dans les entreprises est venue raviver les craintes des fédérations patronales et des grands syndicats industriels de voir l'Allemagne plonger dans le chaos social. Ces grandes organisations ont donc fait pression pour que la "loi sur l'unité syndicale" voie le jour.

Pour Andréa Nahles, la ministre social-démocrate de l'Emploi et des Affaires sociales, son texte doit précisément permettre de limiter cette concurrence ainsi que l'atomisation et la multiplication des accords collectifs, toutes choses qui coûtent du temps et de l'argent si l'on en abuse. Bien sûr, "le droit de grève reste intact", garantissait la ministre fin 2014 en présentant le contenu du projet. Pourtant, plus le temps avance, plus la garantie offerte semble douteuse. En début de semaine, même la secrétaire d'État à l'emploi, Anette Kramme, l'a admis implicitement dans une réponse au Parlement.

Recours devant le Tribunal consitutionnel

En conséquence, la plupart des petits syndicats sectoriels allemands mais aussi les grands syndicats des services (Verdi), de l'alimentation (NGG) ou encore de l'éducation (GEW) ont annoncé qu'ils déposeraient une plainte devant le Tribunal constitutionnel dès que la loi, dont l'entrée en vigueur en prévue pour le 1 juillet, aura été votée.


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