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«C’est désormais une certitude : j’accepterais d’être euthanasié»

Dix-huit citoyens, triés sur le volet, ont rendu un avis commun sur la fin de vie. Trois d'entre eux racontent cette drôle d'expérience et comment elle a fait évoluer leur perception du sujet.
par Marie Piquemal
publié le 16 décembre 2013 à 18h25

L'institut de sondage Ifop les a appelés. «Accepteriez-vous de participer à une conférence de citoyens sur la fin de vie ?» Ils sont dix-huit à avoir été sélectionnés, en fonction de leur âge, leur sexe, leur profession, leur niveau de diplôme et la région où ils habitent en France métropolitaine, en ville ou à la campagne. «Les sympathies partisanes et pratiques religieuses» ont aussi été prises en compte. «Il est impropre bien sûr de parler d'un échantillon représentatif, insiste Frédéric Dabi de l'Ifop. Disons plutôt que nous avons essayé de refléter au mieux la diversité de la population française et illustrer la variété des points de vue.» Il précise : «Les citoyens recrutés n'ont pas été indemnisés.»

Drôle d'exercice. Nos dix-huit citoyens ont passé quatre week-end ensemble, enfermés à la maison de la Chimie à Paris. Ils ont écouté des intervenants choisis par le Comité consultatif national d'éthique, à l'origine de cette initiative. Puis d'autres, qu'ils ont «sélectionné» eux-mêmes1. Ils ont beaucoup discuté entre eux, à l'issue des interventions ou même le soir, à l'hôtel où ils logeaient tous. Ce dernier week-end, ils ont rédigé à huis clos l'état de leurs réflexions et leurs recommandations.

«Il a été assez facile de tomber d'accord»

Jean-Noël, 48 ans, professeur de linguistique à l’université de Lyon 2, marié, trois enfants. 

«J’ai accepté de participer par curiosité. L’Ifop m’a demandé si j’avais des amis ou de la famille dans le milieu médical et le journalisme, si j’avais déjà eu une expérience d’accompagnement d’un proche en fin de vie. Non, rien de tout ça. Visiblement, je correspondais à leur recherche.

«Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre, avant ce premier week-end où nous nous sommes tous retrouvés à Paris. On nous a installés dans une pièce, et des intervenants se sont relayés pour nous présenter leurs expériences, leurs positions. Chaque fois, ils restaient une heure devant nous: vingt minutes d’exposé, puis un échange, à partir de nos questions. A la fin de chaque demi-journée, on se faisait un débriefing entre nous. On a beaucoup discuté, et vite appris à se connaître. Nous étions tous logés dans le même hôtel, donc entre le soir au restau et les pauses café… Des liens se créent rapidement !

«Bien sûr, il y avait des avis divergents entre nous mais ça été quand même facile de se mettre d’accord sur une position commune. Pour une raison simple : on est tous parti avec les mêmes bases de travail puisque nous avons entendu les mêmes intervenants. Beaucoup comme moi ont découvert la législation actuelle. J’ignorais par exemple l’existence des directives anticipées. On a aussi découvert des faits, comme le manque de formation des médecins sur les soins palliatifs. Il faut améliorer le passage du curatif au palliatif. Ouvrir la possibilité d’une exception d’euthanasie, et permettre dans certains cas, une sédation terminale, et arrêter avec l’hypocrisie qui est de dire qu’on ne donne pas la mort.

«Les intervenants ont tous dit qu’il ne fallait pas d’une nouvelle loi. D’accord, faisons un aménagement de la loi Léonetti, mais  il faut qu’on ouvre des possibilités, qu’on fixe un cadre. Ensuite, c’est aux gens, en fonction de leur croyance, d’utiliser ce cadre ou pas. Mais il faut qu’il existe. Moi, personnellement, j’ai évolué. C’est désormais une certitude : je ne veux pas laisser à ma femme ou mes enfants la difficulté de décider pour moi. Je ne leur ai pas encore parlé mais je vais le faire en rentrant : quand ce sera le moment, j’accepterais d’être euthanasié.»

«Je me devais de participer»

Isabelle, 65 ans, retraitée, ancienne cadre de France Télécom, mariée, mère et grand-mère. Elle habite Paris.

«J’ai d’emblée considéré qu’il était de mon devoir de participer à cette conférence. Comme si j’avais été désignée pour faire partie d’un jury d’assises. Pareil. En tant que citoyenne, je me devais de participer. Je ne me suis pas laissée le choix.

«Avant de participer, j’étais une citoyenne non éclairée sur ces sujets complexes. Même si évidemment, à mon âge, j’ai déjà été confrontée à la mort de proches. J’ai vécu des situations très difficiles, mais à chaque fois, la fin de vie s’est déroulée de manière assez satisfaisante. J’ai gardé quand même une méfiance. Quand l’un de vos proches est diminué, certains membres de la famille ont de l’influence, une emprise sur les autres. Ce risque existe, il faut s’en méfier. J’ai participé à ce panel avec mon vécu, comme nous tous. Mais assez vite, on s’ouvre vers les autres.

«Sur cette question de la fin de vie, il y a deux types de réactions spontanées. Depuis le premier week-end de cette conférence de citoyens, je questionne mes proches autour de moi. C'est très net. D'un côté, vous avez ceux qui vous parlent de leur propre mort et de l'autre, ceux qui répondent de manière tout à fait générale, en faisant abstraction d'eux-mêmes. C'est très étonnant. Les réponses m'ont surprise. L'autre jour, je suis allée rendre visite à une amie âgée de 101 ans. Elle est hémiplégique depuis un AVC, elle ne marche plus, parle difficilement. Je lui ai raconté que je participais à cette conférence, et demandé ce qu'elle avait envie de me dire à ce sujet. Vous savez ce qu'elle m'a répondu ? «Ma vie est trop monotone. J'aimerais qu'elle soit plus variée.» Je n'en suis pas revenue.

«J’ai interrogé aussi des amis qui ont connu des situations difficiles: un proche très malade qui, à la fin a été débranché, ou dont la nutrition a été arrêtée. J’étais persuadée qu’ils allaient me répondre garder un souvenir terrible de ces moments qu’ils jugeaient beaucoup trop longs et douloureux. Pas du tout. Tous m’ont dit avoir regretté que ce soit si court, considérant avoir été privés de moments avec leur proche malade. J’ai été très étonnée.

«En fait, j’en viens à cette conclusion : la vie, c’est comme une courbe qui part d’en bas, monte et retombe. Au début et à la fin de sa vie, on est dépendant des autres. Mais le début comme la fin font partie de la vie. Le problème, dans notre société, c’est qu’on passe de l’enfant-roi, pour arriver à la personne âgée qui serait un peu un déchet.»

«En France, la mort est tabou, personne ne veut en parler»

Yvon, 61 ans, pré-retraité (il travaillait dans le logement social), célibataire, trois enfants. Il vit à  Villefranche-sur-Saône, dans le Rhône.

«A travers mon expérience professionnelle, j’ai souvent mesuré les effets collatéraux d’un accompagnement difficile de fin de vie. Les conséquences sont parfois désastreuses. Combien de fois j’ai vu les proches d’un malade perdre pied après le décès. L’entourage se culpabilise souvent, regrette de ne pas avoir réussi à gérer de telle ou telle manière les derniers moments de vie.

«Alors quand l’institut m’a appelé pour participer à ce panel, j’ai tout de suite compris l’enjeu. Je vis en France depuis plus de trente ans. La première partie de ma vie, je l’ai passée au Congo-Brazzaville. Ce n’est pas du tout pareil qu’ici. Là-bas, tout le monde est préparé à la mort dès le plus jeune âge. Les enfants, par exemple, ne sont pas coupés des veillées funèbres. Non, ils participent comme les adultes.

En France, la mort est taboue, personne ne veut en parler. Tant qu’on ne l’a pas vécu de près, on ne peut pas bien comprendre. Après ces week-ends, je me suis forgé ma propre opinion. Je n’accepterai jamais un acharnement thérapeutique. Cela ne sert à rien, on maintient un espoir pour la famille qui sera forcément déçu. J’essaie de faire passer le message à mes enfants, à doses homéopathiques. Je vais rédiger une directive anticipée. Il faut le faire, mais pas tout seul. J’ai appris cela aussi : mieux vaut être accompagner dans cette démarche par un médecin pour utiliser les bons mots.»

1 Retrouver ici l'avis rédigé par la conférence des citoyens, et la liste des personnes auditionnées.

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