Beppe Grillo : « Ils disent que je suis populiste ? Je m’en branle ! »

Julie Carballo, correspondante à Sienne, Italie
25 Février 2013



Comique, blogueur, acteur, grande gueule, Beppe Grillo, 64 ans, est un homme politique hors du commun. Qu’on le suive d’un meeting à l’autre ou qu’on le traite de démagogue, adulé ou détesté, ce Coluche transalpin ne laisse personne indifférent. Crédité de 18 à 20% d'intentions de vote aux législatives italiennes des 24 et 25 février, Beppe Grillo et son parti Movimento 5 Stelle (Mouvement 5 étoiles, « M5S ») ne manquent pas de légitimité et sont parvenus à boucler leur campagne en beauté vendredi soir, en rassemblant 800 000 personnes (selon les organisateurs) dans le centre de Rome. Comment un politicien amateur réussit-il à conquérir autant d'Italiens ? Analyse d’un succès.


Beppe Grillo : « Ils disent que je suis populiste ? Je m’en branle ! »
L’humoriste serait en passe de devenir le troisième homme. Selon les plus récents sondages, son parti le Mouvement 5 étoiles pourrait réunir 18% des suffrages, soit davantage que la coalition centriste de Mario Monti (15%), et à peine moins que le parti de Silvio Berlusconi (19%). A 64 ans, l'infatigable Grillo hurle chaque jour sa colère, partagée par des foules immenses rassemblées sur les places des villes italiennes: « C'est fantastique, tous ces parapluies ! Le tsunami s'étend. Nous sommes une épidémie! » s’est-il écrié, il y a quelques jours, sur la piazza Maggiore de Bologne. C'est là que tout avait commencé, le 8 septembre 2007, avec le « V-Day », sous-entendu « Vaffanculo-Day », lors duquel tous les politiques, de droite comme de gauche, étaient invités à aller « se faire foutre ».

À ses débuts, le mouvement n'a guère été pris au sérieux : le comique populiste s'exprimait sur son site Internet, pour l'essentiel, et organisait, de temps à autre, d’amusants bains de foule. Aujourd'hui, Grillo ne fait plus rire personne. En mai 2012, lors des municipales, ses « grillini » (petits grillons) ont remporté la victoire dans plusieurs villes, dont Parme. Puis, aux régionales d'octobre, le M5S est devenu le premier parti en Sicile. Et maintenant, à l'issue de ce « Tsunami Tour », comme Grillo se plait à surnommer sa campagne, le Parlement italien pourrait se remplir de « grillini ». Grâce, surtout, au vote des 18-23 ans. En effet, de nombreux jeunes reconnaissent qu'il est agressif et même vulgaire, mais ils applaudissent ses prises de position sur l'écologie, la transparence, la lutte anticorruption, le rejet de l'austérité et les délocalisations...

L’alternative politique, le visage de l’antisystème

Un technocrate - Mario Monti - qui imposait des mesures d'austérité impopulaires, un ancien Premier ministre - Silvio Berlusconi - entaché de scandales, une gauche qui n'inspire pas confiance… Facile, pour Beppe Grillo, d'être un bon élève face à une telle concurrence. Cette percée, selon la presse italienne, prouve que l'homme serait le grand bénéficiaire d'un dégoût ambiant des citoyens à l'égard de la politique, et comme le souligne l’éditorialiste Eugenio Scalfari dans L’Espresso : « Il surfe sur la vague de l’antipolitique, lance ses hurlements rauques et ses insultes contre l'Etat, contre les partis, contre le Parlement, contre le président de la République. »

Pour Giuliano Santoro, journaliste et auteur de l'ouvrage Un Grillo qualunque (« Un Grillo quelconque »), le succès du Movimento 5 Stelle tient au personnage de Beppe Grillo et non au programme du parti : « J'oserais même avancer que la plupart des gens ne savent pas quel est le programme politique de son parti. » Et si son programme existe bel et bien, il ne propose que des mesures qui trouvent un écho favorable. En effet les « Vingt points pour sortir de l'obscurité » prévoient un généreux « revenu de citoyenneté » de 1 000 euros par mois - trois ans durant, pour chaque Italien qui en aurait besoin - l’abolition de la taxe immobilière créée par Monti, la suppression des « privilèges » de la classe politique, la sortie de l'euro… Sans pour autant détailler leur financement.

Un populisme qui dépasse le clivage droite-gauche

Outre le fait que son côté contestataire le fasse passer le plus souvent pour un candidat d’extrême-gauche défendant un discours anti-impérialiste, antisystème et pacifiste, paradoxalement, il s'attaque également à l'immigration. Souvent accusé d’adapter son discours à la région dans laquelle se tiennent ses meetings, certains éléments de langage restent constants : sa critique de la « caste » politique au pouvoir et son positionnement proche des gens. Son discours repose sur une logique populiste, explique Gianluca Giansante, conseiller en communication et auteur de Le parole sono importanti (« Les mots sont importants »). A cette accusation, Grillo répond ouvertement : « Ils disent que je suis populiste ? Je m’en branle ! ».

Un blogueur effréné

Au début, il y avait un blog. Créé un 2004, beppegrillo.it est vite devenu le blog le plus visité en Italie et l'un des plus consultés dans le monde, selon le magazine Time. Aujourd'hui, Grillo développe aussi ses points de vue sur les réseaux sociaux : il compte plus de 903 000 abonnés sur Twitter et plus d’un million sur Facebook. Il lance régulièrement sur le web des appels à manifester ou à assister à ses meetings. Derrière cette stratégie 2.0 se cache Gianroberto Casaleggio, propriétaire d’une agence de marketing sur internet. Dans ce pays où le pouvoir politique passe par les médias traditionnels, Casaleggio a su trouver une brèche. « Sans internet, Beppe et moi n'aurions rien pu faire », a-t-il avoué au Guardian, parlant d'une « nouvelle démocratie où la relation est directe entre élus et électeurs ».

Ce n'est pas l'avis de Giuliano Santoro. Pour lui, « Grillo utilise internet comme il utiliserait la télévision, dans la logique d’une communication verticale. Il ne répond pas aux commentaires ou aux critiques. Et s'il n'apparaît pas sur les plateaux télévisés, c’est surtout parce qu’il n’a pas envie de discuter. Il n’a aucun problème avec les caméras quand c'est lui qui mène le jeu. »

« Je veux un Etat avec des couilles. »

Outre son « Vaffanculo-Day », le leader d’extrême-gauche a traité le secrétaire national du Parti démocrate de « zombie » et de « cadavre », le président de la République de « dépouille » et Silvio Berlusconi de « nain psychopathe », avant de déclarer vouloir « un Etat avec des couilles ». « Il utilise la blague et l'ironie comme une arme politique. Ce n'est pas une nouveauté : en France, il y a eu Coluche, au Brésil en 2010 il y avait le clown Tiririca, élu à la Chambre des députés » explique le conseiller en communication Gianluca Giansante. « Ses blagues ont pour objectif de faire perdre leur crédibilité à ses adversaires politiques. »

De même, son langage familier - et parfois grossier - le rend plus proche du grand public. « Les Italiens aiment les termes simples qui les rassurent, ironise Giuliano Santoro. Le langage que les hommes politiques utilisent d’habitude, "il politichese", est un jargon très soutenu mais difficile à comprendre, qui ne parle pas du tout aux gens. Comme Berlusconi, Grillo utilise un langage simple qui s'adresse à un vaste public : riches, pauvres, jeunes, âgés, diplômés ou non. »

« Nous ouvrirons le Parlement comme on ouvre une boîte de thon »

« Nous ouvrirons le Parlement comme on ouvre une boîte de thon », proclame Beppe Grillo lors de ses meetings. Mais sans compter lui-même y entrer. L'humoriste dit servir une cause plus qu'un destin personnel et promeut d'autres candidats. La cause, c'est de « faire entrer le peuple au Parlement ». Les futurs députés ont été élus en ligne par les adhérents du mouvement en décembre. Tous ceux qui s’étaient déjà présentés aux élections municipales ou régionales ont pu se porter candidats, à condition qu’ils n'aient pas été condamnés, qu'ils ne soient pas inscrits dans un autre parti et qu’ils soient domiciliés dans la circonscription où ils sont candidats. Parmi les têtes de liste recensées sur le blog de Grillo, des cadres, des étudiants et une chômeuse, avec une grande nouveauté en Italie : plus de femmes que d'hommes (17 sur 31 candidats). Encore un point fort de sa communication : ces futurs députés ne semblent pas courir après l'argent. Sur le site du Movimento 5 Stelle, une bannière précise : « Nous ne touchons pas d’argent public. » Dans le Guardian, le conseiller web Gianroberto Casaleggio va plus loin : « Nos députés toucheront 5 000 euros par mois et rendront le reste », sachant que les parlementaires italiens touchent plus de 11 000 euros brut mensuels. Dans un pays gangrené par la crise et par la corruption, cette promesse fait mouche. 

Son discours antisystème séduit dans un pays fragilisé par vingt ans de berlusconisme, à l’heure où les scandales liés à la corruption se multiplient. Un ras-le-bol que scandent les partisans lors des meetings au rythme de : « Tous dehors.»
Selon les premières estimations, Beppe Grillo endosserait le rôle du « troisième homme » remportant près de 25,57% des voix, devancé par le Popolo della Libertà de Berlusconi (26,94%) et la gauche socialiste de Bersani, annoncée vainqueur avec 31,70% des suffrages.

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