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Hommage à Olivier Royant - Sebastião Salgado en 2015 : "Les arbres sont la clé de notre survie"

Sebastião Salgado et son épouse, Lélia, sur les terres de l’Instituto Terra. Le couple est à l’initiative du reboisement de ces 750 hectares. « La nature est revenue, même les jaguars sont de retour. »
Sebastião Salgado et son épouse, Lélia, sur les terres de l’Instituto Terra. Le couple est à l’initiative du reboisement de ces 750 hectares. « La nature est revenue, même les jaguars sont de retour. » © Benoît Gysembergh / Paris Match
Interview Olivier Royant , Mis à jour le

En 2015, Olivier Royant, directeur de la rédaction de Paris Match décédé le 31 décembre, avait rencontré le grand photographe brésilien Sebastião Salgado.

Directeur de la rédaction de Paris Match, Olivier Royant s'est éteint le 31 décembre 2020 . Afin de lui rendre hommage, nous vous proposons de redécouvrir les entretiens et les reportages qui ont marqué sa carrière.

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En 2015, Olivier Royant avait rencontré Sebastião Salgado pour évoquer avec le grand photographe et son épouse Lélia la déforestation au Brésil... 

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Voici l'interview de Sebastião Salgado par Olivier Royant, telle que publiée dans Paris Match en 2015.

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Paris Match n°3444, 21 mai 2015

Sebastião Salgado : "Les arbres sont la clé de notre survie. Le jour où on le comprendra, nous irons prions devant eux"

Un entretien avec Olivier Royant

Avec sa femme, Lélia, le photographe Sebastião Salgado défend la forêt et a rendu à la nature la terre de son enfance. 

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« Mes photos ont permis à la nature de me parler », dit Sebastião Salgado. Et de lui montrer ses plaies. De retour dans son pays après onze ans d'absence, le photographe brésilien découvre la métamorphose des paysages. Mais la forêt amazonienne n'est pas la seule à souffrir: Indonésie, Afrique, Canada, Sibérie... d'ici à 2030, une forêt de la taille de trois fois l'Espagne aura disparu. Les arbres, qui couvrent 30% des terres émergées, créent et protègent les sources d'eau mais absorbent plus d'un tiers du dioxyde de carbone émis par les activités humaines. Rasés, brûlés, dégradés, ils ne jouent plus leur rôle de capteurs de CO2, en libèrent au contraire des quantités phénoménales. Et menacent d'assoiffer la planète.

Paris Match. La sécheresse au Brésil, cette année, a suscité un électrochoc pour les grandes villes.
Sebastião Salgado. C’est un vrai cri d’alarme pour Rio et São Paulo . Après la saison des pluies, le plus grand réservoir de São Paulo n’est rempli qu’à 15 % de sa capacité. Les Brésiliens prient pour la pluie, mais nous avons franchi un cap où la demande en eau du pays est supérieure à l’offre. C’est une crise sans précédent. La seule solution passe par les arbres.

Quel est le lien entre les arbres et la sécheresse ?
Les arbres garantissent la production d’eau. C’est l’eau des fleuves qui remplit les grands réservoirs, pas l’eau de pluie. Dans le plus grand pays agricole au monde, on a déboisé à outrance, laissé derrière nous un désert et oublié de conserver des arbres pour protéger les sources d’eau.

Les arbres sont les “cheveux” de la terre. Par leurs racines, leurs branches, ils fixent l’humidité

Le débit des fleuves devient-il insuffisant pour alimenter les villes ?
La terre ne génère pas l’eau, c’est le nuage –  ce fleuve dans le ciel – qui la détient. Quand cette eau tombe, il faut la retenir. Les arbres sont les “cheveux” de la terre. Par leurs racines, leurs branches, ils fixent l’humidité et créent des sources. Chez nous, les grands bassins hydrographiques sont menacés par la disparition des arbres autour des sources d’eau.

A lire aussi: Sebastiao Salgado: au commencement était la terre

Le premier responsable serait l’élevage intensif des bovins…
Une vache pèse 600 kilos. A chaque mouvement, elle compacte le sol, empêchant l’eau de pluie de parvenir à la source. Cette eau n’atteindra jamais le fleuve, qui se tarit. Pour sauver le système, la seule solution est de “replanter” des sources, en recréant des périmètres d’humidité où les bovins n’ont pas accès.

L'Instituto Terra (Minas Gerais) en haut en 2001 et en bas en  2013: 2 millions d’arbres plantés
L'Instituto Terra (Minas Gerais) en haut en 2001 et en bas en  2013: 2 millions d’arbres plantés © Sebastião Salgado

Vous êtes un enfant de la forêt ?
Quand j’étais enfant, dans l’Etat du Minas Gerais, il y avait tellement de bois que quatre énormes scieries tournaient à plein régime pour le débiter. Seul le peroba intéressait vraiment les acheteurs. Un bois idéal pour faire les beaux parquets et les meubles. Ma région en produisait le plus. Mon père était fier de son travail. Il disait : “J’ai coupé tout ce bois pour élever mes enfants.” C’est l’histoire du Brésil. On abattait l’épaisse forêt atlantique pour la transformer en pâturage pour le bétail. Quand la terre était épuisée, on allait déboiser un nouveau territoire.

Une scène vous a-t-elle particulièrement marqué ?
J’avais 6 ou 8 ans. J’étais avec mon père. Les hommes étaient en train d’abattre un arbre énorme, un magnifique peroba centenaire, haut d’une quarantaine de mètres. Ils ont mis au moins quatre jours pour le vaincre à la hache. A la fin, il a fallu un attelage d’une trentaine de bœufs pour l’arracher à la terre. L’arbre est tombé. C’était une scène déchirante. Le fracas le plus terrible qu’il m’ait été donné d’entendre dans toute mon existence. Ce bruit résonne encore dans ma tête.

Quand avez-vous pris conscience du basculement ?
En 1980, quand Lélia et moi sommes retournés au Brésil après onze années passées en France, nous avons constaté l’ampleur de la catastrophe. Ce n’était plus mon pays. La forêt avait disparu. A Vitoria, ville côtière, Lélia ne reconnaissait plus rien. On avait déplacé les plages de son enfance pour créer le plus grand port d’exportation du minerai. Ceux qui avaient assisté à cette dégradation énorme de l’environnement s’y étaient adaptés et considéraient le processus comme inexorable.

Olhos de Agua [Les yeux de l’eau] est un investissement de 1 milliard d’euros sur une durée de trente ans

Comment, avec Lélia, avez-vous transformé votre désarroi en projet positif, l’Instituto Terra ?
A la fin de l’année 1998, quand j’ai reçu cette terre de mes parents, les événements de Bosnie et du Rwanda m’avaient plongé dans une profonde dépression. Nous avons voulu revenir sur les lieux de mon enfance. Mais ce n’était plus le paradis que j’avais connu. Lélia a dit : “Cette terre est morte. La seule chose qu’il nous reste à faire, c’est aider la forêt à renaître.” Notre défi a été lancé sur un coup de tête. Nous ne savions rien, nous n’étions pas écologistes mais avions la ferme intention de rendre ce morceau de terre à la nature.

Quinze ans plus tard, l’Instituto Terra est un modèle qui inspire le monde entier.
L’Instituto Terra est un vrai laboratoire, le symbole de ce qu’il est possible de faire. Nous avons planté 100 000 arbres la première année et perdu 60 % de notre plantation. Nous étions déprimés, mais 40 % avaient survécu ! Peu à peu, la nature est revenue. Nous avons planté au total 2 millions d’arbres et recréé une vraie forêt “native”, avec ses essences d’origine et sa biodiversité.

Aujourd’hui, avec Lélia, vous avez en tête un projet encore plus fou : faire revivre un fleuve entier ?
Oui, Olhos de Agua [Les yeux de l’eau] est un projet énorme, un investissement de 1 milliard d’euros, conçu sur une durée de trente ans. Il a pour but de recréer le système de sources du rio Doce, un fleuve dont le bassin hydrographique a la taille du ­Portugal. Le projet consiste à replanter 400 000 sources d’eau, à raison de 250 arbres environ par source. Nous devrons isoler 1 hectare de terre autour de chaque source avec du fil de fer barbelé, afin qu’elle ne soit pas piétinée par le bétail. Tous les acteurs économiques sont motivés par ce projet, car sans eau dans la région les terres ne vaudront bientôt plus rien et il leur faudra partir ailleurs.

"Le crime environnemental est le crime de toute une société"

Pendant les huit années où vous avez photographié la Terre pour “Genesis”, qu’avez-vous constaté ?
La déforestation est un phénomène planétaire. Je peux en témoigner. L’attention s’est concentrée sur l’Amazonie mais ­partout on abat les forêts à un rythme vertigineux. En ­Indonésie, en Nouvelle-Guinée, en Afrique… C’est ahurissant. Récemment, j’ai survolé Sumatra. J’étais stupéfait de constater qu’il n’y avait plus d’arbres. Ils ont rasé presque toute la forêt de Sumatra pour la remplacer par des milliers d’hectares de palmiers à huile, l’ingrédient de base de l’alimentation moderne.

A qui la faute ?
Il ne faut pointer du doigt ni les politiciens ni les industries. Cette situation n’est pas due à l’aveuglement des politiques mais à un aveuglement général. Le crime environnemental est le crime de toute une société. C’est notre modèle qui est en cause. Le jour où nous prendrons conscience du problème, les politiques suivront. Ils n’étaient pas préparés à affronter ce phénomène inédit. Ils savent gérer la croissance économique, l’éducation, mais personne, à un seul moment, n’a songé à protéger la planète. L’être humain est devenu un étranger, un “alien” sur sa propre planète. En devenant un être urbain, l’homme s’est détaché de la nature. Nous sommes des habitants de Paris, Rio ou Pékin. Nous n’habitons plus en France, au Brésil ou en Chine. Nous ne connaissons plus ni nos forêts, ni nos montagnes, ni nos fleuves, ni les animaux qui les habitent. Nous ne sommes plus dans la nature. On ne va pas retourner vivre à la campagne, mais il nous faut au moins entamer un retour spirituel vers la nature. Il faut replanter partout où la terre est devenue stérile.

A lire aussi: "Nous héritons d'une seule planète"

C’est le message le plus important aujourd’hui ?
Les arbres ont l’intelligence de capturer le carbone et de créer de l’oxygène. C’est la seule machine capable de réaliser cette performance. On n’en connaît pas d’autre. Les arbres nous donnent de l’air et nous donnent de l’eau. Ils sont la clé de notre survie. Le jour où l’on comprendra cela, nous les aimerons, nous les caresserons, nous irons prier devant eux.

Nous n’en sommes pas là.
Non, on coupe aujourd’hui dix fois plus d’arbres qu’on n’en plante. Toutes les projections sur l’avenir de l’espèce humaine sont fondées sur la haute technologie et la rentabilité. Il faut que la conférence Cop21 de Paris dépasse cette vision limitée. Il faut arrêter de penser que la technologie peut sauver l’homme, car seule la nature peut sauver l’homme ou le détruire. Nous devons revenir vers la nature et recouvrer notre propre instinct.


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