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Décryptage

Sperme, ovocytes : à vos dons

L'Agence de la biomédecine cherche à attirer davantage de donneurs et donneuses afin de satisfaire les besoins de 3 000 couples infertiles.
par Elsa Maudet
publié le 28 mai 2015 à 7h17

L'Agence de la biomédecine va lancer, à partir du 1er juin, une campagne d'information à la radio sur les dons de sperme et d'ovocytes. Objectif : atteindre les 900 donneuses et 300 donneurs afin de répondre aux besoins des couples infertiles, alors que l'on ne comptait que 456 donneuses et 268 donneurs en 2013 (période pour laquelle on dispose des chiffres les plus récents). «Ce n'est pas un but inaccessible, à condition de bien faire passer l'information», plaide le professeur Dominique Royère, responsable de la direction Procréation, embryologie et génétique humaine à l'Agence de la biomédecine.

Quels sont les besoins en France ?

Plus de 3 000 couples infertiles sont actuellement en attente de gamètes. Les besoins sont particulièrement criants en matière de dons d'ovocytes, pour lesquels «la situation est grandement problématique», alerte Louis Bujan, médecin de la reproduction et président de la fédération des Cécos (centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme). Le délai d'attente actuellement pour recevoir des ovocytes est d'un à deux ans.

Le niveau des dons de sperme n'est quant à lui pas alarmant, mais reste insuffisant pour «travailler confortablement», pointe le professeur Bujan. Surtout, il existe un réel besoin de diversité : on manque notamment de donneurs de sperme noirs, asiatiques ou ayant un groupe sanguin rare.

Face à cette pénurie, certains couples sont contraints de se rendre à l'étranger. Avec ce que cela implique, en plus de l'épreuve psychologique, en termes d'inégalités, les foyers aisés pouvant se le permettre, les autres non. «L'accès aux soins doit être égal pour tous», tranche le professeur Royère.

Qui peut donner ?

Peuvent donner leurs ovocytes les femmes âgées de 18 à 37 ans, en bonne santé, ayant déjà eu au moins un enfant. Les hommes ont quant à eux jusqu'à 45 ans pour donner leur sperme, aux mêmes conditions. Les dons s'effectuent dans des Cécos ou des centres d'aide médicale à la procréation situés hors Cécos.

Pour ces messieurs, la démarche est plutôt simple : le sperme est recueilli par masturbation, opération pour laquelle le donneur peut se faire assister de sa conjointe ou son conjoint s’il le désire. Un même donneur peut permettre de concevoir jusqu’à 10 enfants.

Le don d'ovocytes est plus complexe : la femme doit se soumettre à un traitement hormonal, puis fait l'objet d'une surveillance médicale (prises de sang et échographie), avant de se faire hospitaliser une journée pour que soit réalisé le prélèvement, sous anesthésie. Paradoxalement, pourtant, les femmes donnent plus que les hommes (456 contre 268 en 2013). «En plus d'un acte de solidarité d'un couple envers un autre couple, je pense que la solidarité d'une femme pour une autre femme est un élément moteur dans la prise de décision», estime le professeur Royère. Chaque donneuse peut engendrer deux grossesses au maximum.

Depuis la révision des lois de bioéthique de 2011, les donneurs n'ont plus l'obligation d'avoir déjà eu des enfants. Mais le ministère de la Santé n'a toujours pas signé les décrets d'application… Cela permettrait d'élargir la cible, mais, pour le professeur Royère, ce n'est pas nécessairement la priorité : «Cibler 400 ou 500 donneuses parmi l'ensemble de la population féminine âgée de 30 à 37 ans [autrement dit la plupart des femmes ayant déjà un enfant, ndlr] n'est pas hors de portée.»

Comment lever les réticences ?

«Il faut augmenter la culture du don en France, y compris pour le sang, les organes ou la moelle osseuse», plaide le professeur Bujan. On l'aura compris, les besoins sont plus grands pour les dons d'ovocytes, et l'opération plus délicate que pour le don de sperme. Mais «il n'y a pas de complications», tient à rassurer le professeur Royère.

Le processus de don d'ovocytes dure entre 10 et 12 jours. L'assurance maladie prend en charge les déplacements, les frais médicaux et les frais annexes qu'impose la démarche (garde d'enfant, perte de salaire due à des journées d'absence…), afin d'assurer une neutralité financière parfaite. En revanche, nulle question de rémunérer les dons, pénurie ou pas. «Sinon, on va déraper très vite. On part dans un système marchand et ça me pose problème. On ne sera plus dans un système de don, mais de commerce, balaie le professeur Bujan. Il faut appeler à la solidarité et parler de la souffrance des couples stériles.»

Donner son sperme ou ses ovocytes implique bien sûr de transmettre son patrimoine génétique. Mais «les donneurs sont des donneurs de gamètes, ils n'ont pas le sentiment d'être à l'origine de la naissance d'un enfant, c'est assez clair dans leur esprit», assure le professeur Royère. Les interrogations sont plus fortes quant à une éventuelle consanguinité, si jamais l'enfant du donneur venait à fréquenter l'enfant issu du don. «1 500 à 2 000 enfants sont issus de dons en France, et [dans l'ensemble de la population, ndlr] 15 à 25 000 enfants ne sont pas issus de leur père. Le risque de consanguinité existe donc bien plus dans la nature que par le don», explique le professeur Bujan.

Les débats sur la levée ou non de l’anonymat des donneurs ont évidemment mis un coup de frein aux dons, mais ce principe d’anonymat a été préservé, et sa levée ne serait de toute façon pas rétroactive.

Quel est l’intérêt d’une telle campagne d’information ?

Les campagnes précédentes en faveur des dons de gamète se faisaient à plus petite échelle, par des encarts dans la presse ou des messages destinés à certains internautes bien ciblés, car potentiels donneurs. Une démarche insuffisante. «Si on avait les mêmes campagnes pour le don de sang que pour le don de sperme, on n'aurait pas de don de sang», raille le professeur Bujan. De fait, près d'un Français sur deux ignore que l'on peut donner des ovocytes et un sur 5 des spermatozoïdes, selon un sondage Viavoice réalisé en décembre dernier. Les donneurs actuels étant souvent des personnes dont l'entourage connaît des problèmes de fertilité, l'enjeu est de convaincre plus largement.

Une campagne lancée en 2008 avait permis d’augmenter de 50% le nombre de donneurs de sperme dans les mois qui ont suivi, indique le professeur Bujan. Signe que la pénurie est bien due à un manque d’information plus qu’à un réel blocage.

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