En Hollande, la chasse aux trolls est ouverte

Pas de méchants lutins ici, mais des délinquants sur Internet. Qu'un pro de l'investigation se charge de confronter à leurs victimes. En vrai télé-justicier.

Par Bertrand Villegas

Publié le 27 mai 2015 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h39

A l’origine, les trolls sont des créatures de la mythologie scandinave. Aujourd’hui, ce terme désigne dans le langage courant ceux qui aiment semer la zizanie sur le Net. Il est donc naturel que ce soient des Suédois qui aient eu les premiers l’idée de consacrer une émission destinée à les éradiquer. Diffusé depuis un an sur la chaîne privée TV3, le programme Chasseurs de trolls a été adapté ce printemps au Danemark, et une version hollandaise vient de débuter. Le principe est partout le même : écouter la plainte d’une victime de harcèlement sur Internet, rechercher le coupable et le confronter à sa victime. Pour accomplir cette mission, la chaîne privée RTL5 a recruté le justicier de la télé le plus célèbre des Pays-Bas : Peter R. de Vries.

Perdus de vue

Honnies en France, les émissions de recherche de criminels ont fait les belles heures de la télé internationale. Le pionnier et vétéran du genre est la chaîne publique allemande ZDF dont le magazine XY est diffusé en primetime depuis quarante-huit ans et imité depuis trente ans par BBC One au Royaume-Uni : la police y fait appel à l’aide des téléspectateurs pour faire progresser ses enquêtes. De Vries est d’une autre trempe : c’est un cow-boy. Journaliste d’investigation, il travaille seul, comme un détective privé, pour combler les lacunes de la police, à qui il livre ses proies une fois capturées. Il détient le record de l’émission la plus regardée de tous les temps en Hollande, depuis qu’en 2002 il a obtenu la confession d’un meurtrier piégé en caméra cachée, son arme préférée. Après dix-sept ans à la télé et une semi-retraite, le voilà qui reprend du service pour s’attaquer au nouveau fléau du cyberharcèlement.

Numéro masqué

Son approche n’a pas changé. Dans le premier épisode, il se rend au domicile de la plaignante de la semaine à bord de son coupé BMW dont il a, par réflexe professionnel, judicieusement masqué l’immatriculation. L’identité de la victime de harcèlement nous est, elle, en revanche entièrement dévoilée. La vie de Jacqueline, jeune mère de deux enfants, est un enfer depuis quatre ans : sa photo est postée sur un site sadomaso. Recevant des mails et des appels obscènes d’hommes, des visites à son domicile, et même à son bureau, elle a découvert qu’un profil d’elle avait été créé sans son consentement sur kinkytijd.nl : de Vries nous montre alors (et à plusieurs reprises pendant l’émission) un cliché d’elle les seins nus et d’autres photos ne pouvant être pris que par des proches. Elle a porté plainte mais la police n’a pas bougé. Elle a alors appelé de Vries pour la sauver. Selon lui, les policiers, qui souvent « ne tapent sur un clavier qu’avec un seul doigt » (sic), ne sont pas formés pour élucider ces délits et laissent tomber. Zorro y est arrivé.  

Trahie par les siens

En deux mois, ses équipes ont réussi à identifier l’adresse IP ayant créé le profil sur le site de chat sado-maso, et les soupçons se sont portés sur la sœur et le beau-frère de Jacqueline, qui vivent dans un camping. Jacqueline s’y rend armée d’un micro-espion et d’une caméra cachée. La conversation est infructueuse jusqu’à ce que de Vries s’y rende à visage découvert, mais toujours en caméra cachée. Disposant d’un atout secret, un numéro de téléphone donné sur le site web, il fait avouer le beauf. Le journaliste révèle dans la foulée à la sœur de Jacqueline que le beauf a aussi créé un faux profil d’elle, avec sa photo, sur le site sadomaso. Effondrée, elle quitte son troll de compagnon.

Mission accomplie pour de Vries. Toute la vie privée de Jacqueline a été maintenant exposée, et les trolls peuvent même se déchaîner, mais la dénonciation publique est selon lui nécessaire pour que les criminels ne sentent plus en toute impunité. Chaque émission est pour lui un combat – cette fois, il veut une loi pour faciliter l’obtention auprès des sites web de l’identité des harceleurs – et il y croit : c’est la clé de sa popularité.

Bertrand Villegas est cofondateur de The Wit, un site d’information professionnelle sur les programmes de télévision du monde entier lu par les principales chaînes et producteurs français et internationaux. Il révèle et analyse les tendances et spécificités des écrans étrangers qui peuvent aussi bien étonner qu’inspirer. Retrouvez sa chronique tous les semaines sur Télérama.fr.

 

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