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Centrafrique : un Etat de non-droit

La Centrafrique peine à restaurer un Etat de droit. La communauté internationale doute que le gouvernement de ce pays, miné par la crise politico-militaire, puisse restaurer un système judiciaire.

Par  (contributeur Le Monde Afrique, Bangui)

Publié le 27 mai 2015 à 12h04, modifié le 28 mai 2015 à 09h57

Temps de Lecture 4 min.

Un homme détenu dans le

Le 11 avril dernier, l’ex-ministre du tourisme Romaric Vomitiadé s’échappe des locaux de la Section de recherche et d’investigation de Bangui (SRI) où il était détenu pour viol sur mineure. Il sera rattrapé dix jours plus tard, en République démocratique du Congo, après un feuilleton rocambolesque qui a frôlé l’incident diplomatique entre les deux pays.

Le 19 mai, c’est le capitaine Eugène Ngaïkoisset, ex-responsable de la garde présidentielle de François Bozizé qui disparaît à son tour des geôles de la SRI, sans que personne ne puisse s’en expliquer. Ngaïkoisset est tristement connu sous le surnom du « boucher de Paoua », accusé d’avoir mené des massacres de grande ampleur entre 2005 et 2006 autour du village de Paoua, pour le compte de l’ex-président François Bozizé.

Des complices d’envergure

Ces deux évasions rapprochées ne font qu’illustrer les failles de la justice centrafricaine qui peine à reconstruire une chaîne pénale efficace. Au grand dam du procureur de Bangui Ghislain Grezenguet : « Ça me fait grincer des gents. Que voulez-vous que je vous dise. On se démène pour mettre ces bandits en prison et ils s’en échappent sans problème. Cela pose question, c’est sûr. »

Des questions sur d’éventuelles complicités au sein des plus hautes sphères du pouvoir. Pour le cas de Romaric Vomitiadé, l’affaire s’est réglée en coulisses. Après une enquête interne, « on a retrouvé la signature du procureur général, Maurice Dollé, sur le cahier de présence, une heure avant que Vomitiadé ne disparaisse », explique une source proche de l’enquête.

Le commandant de la SRI, Stanislas Kossi affirme lui, que M. Dollé aurait « donné l’ordre » de libérer l’ex-ministre pour que celui-ci puisse aller s’acheter des médicaments. Sans escorte policière. Quelques jours après, le procureur général était remercié.

« C’est encore bien trop gentil », maugrée un magistrat centrafricain. « La présidente était furieuse. Il y a des preuves concrètes de complicités au sein même des ministères. De la sécurité et de la justice », affirme-t-il en reprenant l’exemple de Ngaïkoisset. « Ce monsieur arrive par avion de Kinshaha. Nous sommes avertis de son arrivée. Il est sous mandat d’arrêt. La loi veut qu’il soit transféré directement à la prison de Ngaragba [la seule fonctionnelle à Bangui]. Mais on le retrouve finalement à la SRI, qui devient une sorte de prison dorée pour les ex-pointures du régime. La vraie question, c’est de savoir qui a pris la décision de ne pas l’envoyer à Ngaragba. Une chose est sûre, l’ordre est venu d’en haut. »

Ce même magistrat affirme avoir été mis au courant en amont des rumeurs d’évasion d’Eugène Ngaïkoisset. Des soupçons transmis au ministre de la sécurité et au ministre de la justice. « Est ce que la protection a été renforcée ? Non. Ngaïkoisset est simplement sorti de la geôle. » Avec la bienveillance, complice ou forcée, des gardiens (6 d’entre eux de service ce jour-là ont d’ailleurs été remerciés).

Système judiciaire inexistant

Ces deux cas sont symptomatiques des maux centrafricains et ne font que renforcer les doutes de la communauté internationale quand aux capacités du gouvernement à restaurer son système judiciaire. « Ngaïkoisset, Vomitiadé, ce sont des gros poissons. Des symboles. Mais au-delà de ça, c’est toute la chaîne pénale qui est à reconstruire », explique Yves Kokoyo, le doyen des juges d’instruction de Bangui.

Dans le pays, il n’y a plus que de deux prisons fonctionnelles. « Les juges ne sont pas capables d’opérer dans les provinces, faute de sécurité. Les prisonniers sans jugement s’accumulent dans des centres de détention insalubres », énumère-t-il.

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A Mbaïki, par exemple, 52 détenus s’entassent dans 4 cellules. « La nuit, une trentaine qui sont jugés les plus dangereux sont enfermés ensemble dans une geôle de 3 x 2 m, car c’est la seule pièce qui ferme à clef », explique Jonathan Pedneault, consultant pour le compte de l’ONG Amnesty International. « Il y a des problèmes à tous les niveaux. De l’arrestation à l’enquête jusqu’au jugement. La Minusca [la force des Nations unies] alimente le pipeline des prisonniers, le plus souvent des cas de flagrance. Mais le système judiciaire actuel n’est pas capable d’accepter cet afflux, donc ça refoule », poursuit-il.

Dans le pays, il y a une session de jugement criminel par an, qui s’étale sur un mois. Il n’y en a pas eu depuis 2012. Les prisonniers sans jugement s’accumulent, sans compter ceux dont on ignore le motif de leur présence en prison. A Ngaragba, prévue à l’origine pour accueillir environ 300 personnes, ils sont plus de 700. Plus d’une cinquantaine sont « sans mandat. C’est-à-dire qu’on ne sait pas pourquoi ils sont là », explique Danielle Boisvert, chef de l’unité des affaires pénitentiaires pour la Minusca. « Restaurer la chaîne pénale, on s’y emploie avec le gouvernement local. Mais c’est un processus complexe et coûteux. Les résultats ne sont pas immédiats. C’est toujours plus facile de détruire que de reconstruire », tempère-t-elle en gardant le sourire.

Autre signe de la difficile refonte d’un Etat de droit : Karim Meckassoua, ancien ministre de François Bozize et candidat potentiel à l’élection présidentielle, s’est vu confisquer son passeport diplomatique le 12 mai, au lendemain de la fin du forum de Bangui. Des
sources gouvernementales le soupçonnent d’avoir été derrière les manifestations qui ont secoué la fin de cette réunion destinée à favoriser la réconciliation. Depuis, aucune instance judiciaire ne lui a fourni les raisons de cette mesure.

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