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Impôts: pourquoi la promesse d'Amazon n'engage à rien

Le montage permet à Amazon de ne payer quasiment aucun impôt ni en France, ni au Luxembourg, ni aux Etats-Unis

Le montage permet à Amazon de ne payer quasiment aucun impôt ni en France, ni au Luxembourg, ni aux Etats-Unis - Amazon

Le géant américain a mis au point un système d'optimisation fiscale quasiment imparable. Et ce quelque soit le lieu où sont déclarés les ventes.

Amazon a-t-il fait une promesse de Gascon? Mardi 26 mai, le site américain a promis de déclarer désormais son chiffre d'affaires dans le pays où ce chiffre d'affaires est effectivement réalisé, et non plus au Luxembourg. En effet, les achats sur le site sont aujourd'hui facturés depuis le grand duché, et non depuis le pays de résidence du client.

Tout le monde en a conclu que le site de commerce électronique allait désormais payer des impôts dans le pays où se trouve le client. Mais c'est aller un peu vite en besogne. En effet, Amazon a mis en place un montage d'optimisation fiscale qui lui permet de payer quasiment aucun impôt non plus au Luxembourg. Si ce montage reste en place, alors il est à craindre que les fiscs européens devront toujours se contenter de miettes...

Profits plombés 

Le montage actuel repose sur un principe simple: réaliser le moins de bénéfice possible afin de payer le moins d'impôt possible. Pour atteindre cet objectif, Amazon plombe délibérément la rentabilité de ses filiales au Luxembourg. En pratique, ces filiales doivent payer fort cher à d'autres filiales d'Amazon le droit d'utiliser la technologie du groupe. Ou leur empruntent de l'argent moyennant d'importants intérêts...

Ainsi, la holding luxembourgeoise Amazon EU SARL, qui détient toutes les filiales européennes, a emprunté 2,2 milliards d'euros à une autre société du groupe, et a versé pour cela 55 millions d'euros d'intérêts en 2014.

Surtout, cette holding luxembourgeoise paye une importante redevance pour l'utilisation des technologies du groupe. Et cette redevance est construite de façon à absorber la quasi-totalité des bénéfices. Précisément, la marge qui reste après le paiement de cette redevance ne peut dépasser 0,55% du chiffre d'affaires.

Résultat: cette holding luxembourgeoise réalise une quinzaine de milliards d'euros de chiffre d'affaires, mais ne réalise qu'un bénéfice très faible -voire génère même des pertes. Elle ne paye donc au fisc luxembourgeois que quelques millions d'euros d'impôts -voire même bénéficie de crédits d'impôts grâce à ses pertes (cf. encadré ci-dessous).

Niches fiscales

Mais ce n'est pas tout. Amazon utilise en outre une faille dans la fiscalité luxembourgeoise. Elle utilise le statut de société en commandite simple (SCS). Avantage: les SCS ne doivent pas payer leur impôt au Luxembourg, mais dans le pays d'origine des actionnaires de la SCS.

Concrètement, Amazon a donc créé une SCS, Amazon Europe Holding Technologies, qui reçoit tout l'argent des redevances et des intérêts sur les prêts. Très rentable, cette SCS génère des centaines de millions de profits, mais paye zéro impôt dessus (cf. encadré ci-dessous).

De 2005 à 2009, cette SCS appartenait à 97% à ACI Holdings Ltd, une holding installée à Gibraltar. Et depuis 2009, cette SCS est détenue par trois holdings immatriculés au Delaware, le paradis fiscal interne des Etats-Unis (Amazon.com Inc, Amazon.com Int'l Sales Inc, Amazon Europe Holding Inc). 

En théorie, c'est donc aux Etats-Unis que l'impôt devrait enfin être payé. En réalité, Amazon échappe une fois de plus à l'impôt, grâce à une autre niche fiscale, cette fois américaine. En effet, la fiscalité américaine exonère d'impôt les bénéfices réalisés à l'étranger mais non rapatriés aux Etats-Unis. Amazon se garde donc bien de les rapatrier, et préfère faire dormir ces profits offshore. A fin 2014, Amazon a ainsi accumulé 2,5 milliards de dollars de profits hors des Etats-Unis.

La boucle est ainsi bouclé. Ce montage permet de ne payer quasiment aucun impôt sur les activités réalisées hors des Etats-Unis, que ce soit dans le pays de consommation (comme la France), dans le pays de facturation (le Luxembourg), ou aux Etats-Unis. Précisément, les impôts versés hors des Etats-Unis n'ont représenté en 2014 qu'une charge de 24 millions de dollars, sur un chiffre d'affaires de 33,5 milliards de dollars... CQFD.

Et comme si cela ne suffisait pas, Amazon a aussi installé des filiales dans d'autres paradis fiscaux, comme Chypre, Jersey, ou les îles Vierges britanniques. 

Les résultats d'Amazon EU SARL (en millions d'euros)

Chiffre d'affaires
2011: 9.130
2012: 11.893
2013: 13.612
2014: 15.463

Résultat net
2011: +20
2012: -68
2013: +29
2014: -45

Impôt sur les bénéfices*
2011: 8,2
2012: 2,2
2013: -5,5
2014: -7,5

Source: comptes d'Amazon EU SARL

*le symbole moins correspond à un crédit d'impôt

Les résultats d'Amazon Europe Technologies Holding SCS (en millions d'euros)

Résultat net
2011: +302
2012: +118
2013: +157
2014: +347

Impôt sur les bénéfices
2011: 0
2012: 0
2013: 0
2014: 0

Source: comptes d'Amazon Europe Technologies Holding SCS

Le Luxembourg, idiot utile de la fiscalité européenne

Si Amazon veut soudain devenir vertueux, c'est que le site américain est dans le collimateur de la Commission européenne depuis 2013. En effet, Bruxelles a lancé une procédure contre le Luxembourg au sujet du montage fiscal mis en place par Amazon et approuvé en 2003 par le grand duché en seulement... onze jours. Bruxelles estime que ce montage constitue une aide d'Etat, car ce montage ne respecte pas les principes fixés par l'OCDE, en particulier sur le calcul de la redevance -appelé "prix de transfert" dans le jargon des fiscalistes.

Bruxelles pointe notamment: "Amazon a un intérêt financier à exagérer le montant de la redevance. En effet, la redevance est déduite du bénéfice imposable de Amazon EU SARL et versée à Amazon Europe Holding Technologies SCS, une entité qui n'est pas assujettie à l'impôt au Luxembourg. De sorte qu’une redevance exagérée réduirait indûment l’impôt payé par Amazon au Luxembourg par un transfert des bénéfices à une entité non assujettie à l’impôt sur les sociétés".

Jamal Henni