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Cancer : le pari des thérapies ciblées

Un essai clinique conduit en France confirme l’intérêt des thérapies ciblées contre le cancer. C’est l’une des bonnes nouvelles du plus grand congrès mondial de cancérologie qui se déroule depuis vendredi à Chicago.

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Grâce aux progrès de la génomique, les thérapies ciblées vont révolutionner la lutte contre le cancer.

Par Yann Verdo

Publié le 29 mai 2015 à 18:00

Le gratin mondial des professeurs en cancérologie, réunis depuis vendredi à Chicago pour la 51édition du congrès de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) en bruit sûrement encore... Des essais cliniques prometteurs, il y en a certes partout et tout le temps, surtout dans un domaine aussi massivement investi par la recherche publique et privée que la cancérologie. Mais celui qui a commencé il y a un peu plus de deux ans en France, et dont les premiers résultats viennent d’être dévoilés par les représentants de l’Institut national du cancer (INCa), est d’un genre entièrement nouveau. Surtout, il préfigure ce que sera la lutte contre ce fléau dans les années à venir, lorsque les médicaments donnés aux malades seront choisis non plus en fonction de l’organe atteint mais de l’anomalie génétique sous-jacente, celle-ci pouvant être commune à des cancers n’ayant a priori rien à voir entre eux. Ce qui est précisément l’approche testée par les chercheurs français dans le cadre du programme AcSé.

Sous cet acronyme (pour « accès sécurisé aux médicaments ») se cachent en réalité non pas un mais deux essais cliniques en cours, dont seul le premier a fait l’objet d’une communication à l’ASCO. Lancé au printemps 2013 par l’INCa, il porte sur le crizotinib, une molécule initialement développée par Pfizer pour combattre le cancer du poumon mais que l’on soupçonne fortement aujourd’hui, grâce aux avancées de la génomique, d’avoir une efficacité beaucoup plus large. Car le crizotinib agit sur un certain gène, le gène ALK, dont l’altération se retrouve dans différents types de cancers, aux localisations très variées. Dans le cadre de l’essai clinique coordonné par l’INCa, jusqu’à 500 malades, répartis dans une vingtaine de cohortes correspondant à autant d’organes atteints mais présentant tous la mutation ALK, se verront prescrire du crizotinib. Leur suivi sur plusieurs années permettra de savoir dans quels cas la molécule a un effet bénéfique et dans quels cas elle n’en a pas.

Il a été annoncé ce week-end à Chicago que, pour deux des types de tumeurs étudiées, les malades avaient bien réagi. Mais, au-delà de ce premier résultat encourageant, c’est bien la nouveauté de l’approche, au cœur de la révolution que constituent les thérapies ciblées, qui mérite d’être saluée. « L’essai AcSé sur le crizotinib est le tout premier au monde dans lequel la thérapie proposée soit liée à une anomalie moléculaire et non à une localisation », souligne Axelle Davezac, directrice générale de la Fondation ARC, qui finance à hauteur de 80 % les 3,2 millions d’euros que coûte le programme.

A ce jour, un peu plus de 120 patients sur les 500 prévus ont été enrôlés pour tester l’effet du crizotinib sur d’autres cancers que celui du poumon. Ce recrutement encore incomplet a d’ores et déjà nécessité de décrypter les génomes de quelque 4.000 tumeurs afin de déterminer s’ils présentaient l’altération ALK, chantier gigantesque qui aurait été tout bonnement impossible sans les 28 plates-formes de séquençage de l’INCa réparties sur toute la France. Passer au crible un si grand nombre de codes génétiques engendre une énorme masse de données numériques, raison pour laquelle la thématique du Big Data a justement été mise à l’honneur de l’édition 2015 de l’ASCO (lire ci-contre).

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Cocktails de molécules

Si le concept des thérapies ciblées n’est pas récent – les premiers tâtonnements remontent aux années 1990  –, leur mise en œuvre à grande échelle, elle, commence à peine : il a fallu pour cela que les Big Pharma, d’abord frileuses, investissent ce marché de niche. Aujourd’hui, plusieurs centaines de molécules à différents stades de développement se pressent dans le pipe-line de l’industrie dans l’attente d’être soumises aux essais cliniques, passage obligé avant toute commercialisation. Mais de nombreux obstacles demeurent. L’un d’eux est de nature réglementaire. Pour accélérer la mise sur le marché des thérapies ciblées, il faut assouplir la réglementation en vigueur, mal adaptée à ce nouveau type de médicaments. « Jusqu’ici, explique le Pr François Sigaux, directeur de la recherche et de l’innovation à l’INCa, une molécule (par exemple, le crizotinib) ne se voit accorder une autorisation de mise sur le marché que pour une localisation bien précise de cancer (en l’occurrence, le poumon) associée à une altération génétique donnée (toujours dans notre exemple, l’altération ALK). Ce cadre est beaucoup trop restrictif pour les thérapies ciblées, par nature transversales. »

Il est possible aux cancérologues de contourner cet écueil en délivrant une thérapie ciblée à titre dérogatoire, sous la forme d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). Mais, si cela laisse éventuellement une chance au malade, ce n’est d’aucune utilité pour la recherche, car ces ATU accordées au cas par cas ne permettent pas d’avoir une vue d’ensemble de ce qui fonctionne et ne fonctionne pas – d’où tout l’intérêt d’un programme comme AcSé.

Un autre enjeu, qui nous ramène à la problématique du Big Data, tient au fait que les thérapies ciblées ne montreront toute leur efficacité que le jour où elles seront prescrites non pas isolément, mais de façon combinée. Non seulement entre elles, mais aussi avec d’autres médicaments relevant du champ voisin de l’immunothérapie, cette stratégie thérapeutique consistant à utiliser notre système immunitaire pour vaincre la maladie. « Génomique, thérapies ciblées et immunothérapie forment un ménage à trois », résume François Sigaux.

Cette nécessité de recourir à des cocktails de molécules, à l’instar des trithérapies dont bénéficient les victimes du sida, tient à ce que les tumeurs, un peu comme les bactéries avec les antibiotiques, peuvent développer une résistance à telle ou telle molécule. Les cancérologues pensent qu’en injectant plusieurs molécules à la fois, cette résistance pourrait être vaincue.

Mais être capable de prescrire au cas par cas le bon cocktail nécessite d’avoir préalablement mis en place de gigantesques bases de données, agrégeant les génomes des malades, ceux de leur tumeur ainsi que l’ensemble des données cliniques provenant des essais. Cela nécessite également, pour pouvoir exploiter au mieux de telles mines d’informations, d’avoir réussi à développer des algorithmes informatiques extrêmement sophistiqués, « d’une complexité comparable à celles des algorithmes utilisés pour la prévision météo », note François Sigaux. Les bio-informaticiens ont donc du pain sur la planche. Mais le jeu en vaut la chandelle. « Le pari que nous faisons avec les thérapies ciblées, c’est bien de faire du cancer une maladie dont on guérit », affirme le cancérologue, pourtant peu enclin aux déclarations à l’emporte-pièce.

Une affaire de gros octets

Face au cancer, le nerf de la guerre est peut-être moins aujourd’hui l’argent que l’octet. Les organisateurs de l’ASCO l’ont bien compris, qui ont justement choisi le Big Data comme thématique de cette édition 2015. Filles de la génomique, les thérapies ciblées ne sont vraiment devenues une réalité qu’à partir du moment où l’arrivée des séquenceurs à haut débit a permis des décrypter des génomes rapidement et à moindre coût. Mais la masse de données numériques engendrée par un seul séquençage est considérable. Or, pour pouvoir prescrire à chaque patient la combinaison de molécules la plus efficace contre sa forme de cancer, les médecins ont besoin de s’appuyer sur des banques virtuelles conservant toutes les données issues de la génomique (génomes des tumeurs, génomes de leurs hôtes) et de la clinique (résultats des essais). Un chantier proprement pharaonique, prévient François Sigaux, directeur de la recherche et de l’innovation à l’INCa : « Si l’on devait faire ce travail pour les 350.000 nouveaux malades du cancer que compte chaque année notre pays, cela représenterait une masse de données de l’ordre de l’exaoctet. » Soit pas moins de 1 milliard de gigaoctets !

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