Climat : une autre négociation est possible

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Climat : une autre négociation est possible

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Ce week-end, 208 étudiants de Sciences Po et d'ailleurs ont investi le Théâtre des Amandiers à Nanterre, pour non pas rejouer, mais pré-jouer la conférence internationale sur le climat de décembre 2015.

En exportant cette simulation sur les planches et en l'ouvrant au public, ils ont souhaité influer, grâce à de nouvelles approches des négociations, sur celles encore à venir.
En décembre prochain, la COP21, la vingt-et-unième Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, prendra place à Paris. Son objectif ? Trouver un accord susceptible de maintenir le réchauffement climatique en deçà des 2°C. Du 29 au 31 mai, s'est tenue la simulation de cette même conférence, Make it work , jouée et interprétée par les étudiants de Sciences Po, emmenés par les professeurs Bruno Latour.

De Copenhague Rewind à Make it work L’objectif des 208 étudiants présents ce week-end, certes simulé, était plus ambitieux encore que celui de la véritable COP21. En 2011, les étudiants de Sciences Po avaient tenté de rejouer la conférence de Copenhague, qui s’était soldée par un désastreux échec. “Les étudiants qui participaient, dont je faisais partie, étaient très frustrés. On avait trouvé [un accord] plus ambitieux que celui de Copenhague, ce qui n’était pas très compliqué, et ça ne servait strictement à rien… ”, se remémore Mathilde Imer, élève de Sciences Po à l’époque de Copenhague Rewind , maintenant coordinatrice de la simulation COP21 :

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Cette fois, on a pris la chose un peu à l’envers", explique Sébastien Treyer, directeur des programmes à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). L’organisme, mandaté pour apporter son soutien à la présidence française de la COP21 et favoriser la réussite des négociations climatiques, apporte également son concours aux différentes simulations portées par Sciences Po. "Nous avons essayé de donner aux étudiants des règles qui se décalent par rapport au strict protocole onusien et aux textes qui sont discutés dans la convention des Nations-Unies sur le changement climatique ” :

"Océans", "Forêts", "Internet" : de nouvelles délégations
Pour trouver de nouvelles solutions, les huit étudiants incarnant la présidence et le secrétariat de cette simulation de convention-cadre des Nations-Unis sur le changement climatique (très logiquement surnommés “le G8”), ainsi que les coordinateurs du projet, ont non seulement cassé les codes des négociations, mais avant tout changé de perspective. “Pendant les vraies COP, les négociateurs se consacrent uniquement aux gaz à effet de serre, ils ne traitent le climat que comme un problème d’environnement, précise Alice Maréchal, étudiante en master Affaires européennes et membre du G8. Nous, notre idée, c’était d’inclure des questions comme l’énergie, le commerce, le développement... On demande à nos négociateurs de négocier sur des visions du futur qui sont des trajectoires de développement, plutôt que sur le partage du fardeau climatique.” L’ambition n’est plus uniquement de maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°C à la fin du siècle, mais de réfléchir à une vision de l'avenir englobante des problématiques environnementales.

L’idée initiale de Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique à la COP21, et Bruno Latour, tous deux professeurs à Sciences Po a été d’inclure des délégations non-étatiques : l’Amazonie, le Sahara, les forêts, les océans, les espèces en dangers, les ONG, la jeunesse, les secteurs majeurs de l’économie ou encore Internet. Tous ont leurs propres représentants à la table des négociations, avec lesquels devront composer les délégations plus classiques, dites étatiques. “On explore une de ces solutions, qui est de donner une souveraineté à ces éléments qu’on appelle transnationaux ”, assure Bruno Latour :

Chacune de ces délégations se décompose en cinq entités, toutes représentées par un étudiant : société civile, gouvernement, territoire en danger, secteur économique et un choix ouvert propre à chaque délégation. “On respecte une même structure à chaque fois ”, précise Alice Maréchal :

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Casser les codes… et les délégations
L'autre grand tournant des négociations envisagé par les créateurs de Make it work , c’est la possibilité pour les étudiants de faire exploser les délégations : au sein de chacune d'entre elles, les entités vont pouvoir se séparer et chercher à trouver de nouveaux alliés, en fonction de leurs "position paper" (ou feuille de route). Si cette manœuvre recrée fatalement des logiques de lobbies, telles celles existantes dans une véritable négociation, les initiateurs du projet espèrent surtout voir des coalitions inédites se former, raconte Sébastien Treyer :

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Les négociations vont donc s’effectuer à trois niveaux différents. Aux tractations au sein même d’une délégation, où des forces antagonistes pré-existent souvent, pourront ainsi succéder des pourparlers dans des délégations recomposées en fonction des intérêts communs des entités. Pour peu que 3 à 5 entités s'allient, elles auront alors la possibilité d'apporter des modifications au texte. Ce sont cependant les négociations entre délégations étatiques et, ici, non-étatiques, qui statueront sur le texte final.

Mathilde Imer imagine ainsi le parcours de deux entités de la délégation Villes, d’une petite bourgade française à une mégalopole chinoise :

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Tout le monde devra, idéalement, signer l’accord final. “On a une définition du consensus qui est la même que celle de l’ONU, qui n’est pas l’unanimité classique… même si on la recherche .”

Le théâtre des négociations
L’autre innovation signée Bruno Latour pour Make It Work , c’est sa volonté de sortir l’expérience des locaux de Sciences Po pour l’ouvrir au public, au théâtre des Amandiers de Nanterre. “Le théâtre est idéalement ajusté à l’invention , assure le créateur du programme d’expérimentation en arts et politique de Science Po (SPEAP).* [...] C’est une véritable simulation, les phénomènes sur lesquels bossent les élèves sont vrais. A la base, ça n’est pas du tout une fiction. Ce qui est une fiction, c’est d’avancer plus loin que les vrais, les grands, les adultes disons, sur un certain nombre de points d’organisation de la discussion.”*

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Permettre aux curieux d’accéder aux coulisses de ces négociations, c’est les impliquer dans des problématiques dont ils sont habituellement exclus. “Le public a un rôle d’autant plus important à jouer qu’il peut interpeller les négociateurs, ce qui n’arrive jamais lors d’un vrai sommet ”, estime Marguerite Gouarné, en master politique environnemental et membre du G8. Au cours du week-end, entre deux activités proposées en marge des négociations ( films, conférences, etc.), le public pourra ainsi déambuler dans les salles où se tiennent les débats, accompagnés de guides chargés d’expliquer les méandres de ces pourparlers et, lors de certains temps forts intitulés Meet the delegations , interroger directement les négociateurs sur leurs propositions et leurs objectifs.

Marguerite Gouarné et Alice Maréchal, étudiantes à Sciences Po et membres du G8.
Marguerite Gouarné et Alice Maréchal, étudiantes à Sciences Po et membres du G8.

Entre la logistique, la mise en scène, et les 41 délégations, plus de 200 élèves tenteront donc, ce week end, de trouver des solutions au long-cours à des problématiques environnementales. Ils espèrent ainsi, directement ou non, influer sur la véritable COP21 qui prendra place en décembre prochain. Le réel intérêt de la négociation ne réside pas nécessairement dans les propositions que les étudiants apporteront. D’autant que malgré les nombreuses formations dispensées par les professeurs et entreprises partenaires du projet, la simulation ne peut couvrir la totalité des problématiques de territoires.

Les étudiants sont conscients que l’originalité même de Make it work réside dans ses processus de réflexion : en proposant un modèle alternatif, en imposant à des acteurs qui ne communiquent pas entre eux d’échanger et en redessinant les territoires, ils n'envisagent pas le changement climatique comme un fardeau à diviser, mais comme la clé de solutions d'avenir. Bruno Latour :

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C’est formidable d’avoir toute une équipe pour imaginer cette chose complètement improbable, qui peut rater, s’enthousiasme ainsi Bruno Latour. La quantité de choses pouvant échouer est impressionannte. Mais une expérience qui ne peut pas rater, ça n’est pas intéressant.”

"Arrêter de s'engager à s'engager"
Après trois jours intenses de pourparlers, les délégués sont parvenus à produire un texte dans lequel on retrouve des avancées inédites : la création d'un statut de réfugié climatique, la reconnaissance internationale du crime d'écocide ou encore un engagement commun à la protection du continent Arctique... Pourtant, les étudiants admettent à regret que le texte final manque d'ambition.

Le schéma pour comprendre les négociations créé par Victor.
Le schéma pour comprendre les négociations créé par Victor.

A côté d'un schéma en losange scotché à même un mur, à quelques mètres des 200 étudiants en pleines concertations, Victor recueille ainsi les avis de ses collègues et concède que les étudiants ont eu beaucoup de mal à s'affranchir des règles de la négociation :

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"Une vision du monde ne peut pas être unifiée, précise le jeune homme. Il faut prendre en compte la notion de conflit, qu'on reconnaisse tous ces petits désaccords. Ce qui est drôle c'est que les premiers à avoir fait ça sont les compagnies pétrolières, elles ont réussi à définir leur territoire comme on l'imaginait dans cette simulation ." C'est grâce à cette première réunion en tant qu'entités, et non pas en tant que délégations étatiques ou non-étatiques, qu'est apparu un consensus autour de la nécessaire protection de l'Arctique.

Les étudiants les plus matinaux, après 3 heures de sommeil, votent les amendements.
Les étudiants les plus matinaux, après 3 heures de sommeil, votent les amendements.

Cette impossibilité à établir une vision commune, de nombreux étudiants l'ont constatée. Ils se sont donc isolés de l'assemblée générale pour envisager de nouvelles solutions. Parmi eux, Arnaud, représentant de la société civile dans la délégation de l'Union Européenne, assure, très enthousiaste, que pour changer la donne "il faut cesser de réfléchir de manière globale " :

Arnaud et ses confrères ont cessé de réfléchir à l'échelle de territoires, où les oppositions restent insolubles, et veulent créer une plateforme susceptible de mettre en contact des entités (villes, entreprises, associations, etc.) pour répondre à leurs besoins immédiats. De nombreux étudiants ont ainsi choisi de se désintéresser temporairement de l'accord classique. Un autre groupe a proposé la création de protocoles fantômes : chaque article non voté sera inscrit en marge du texte final, pour que chacun puisse comprendre les raisons du refus.

Marguerite Gouarné, membre du G8, se remémore avec un sourire la frustration de certains étudiants : "*A un moment il y a eu une tentative de putsch, des négociateurs sont montés sur les tables pour dire qu'il fallait sortir du texte classique... mais comme ils n'avaient pas encore de propositions, ils ont été écartés et les négociations sur le texte ont continué * " :

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Mathilde Imer, coordinatrice du projet, estime elle que l'accord final manque d'ambition, mais que les projets lancés en marge, bien que peu concrets, sont innovants. "Finalement, l’idée qu’avaient Bruno Latour et Laurence Tubiana en disant qu’il faut représenter plus fortement la complexité du monde permet d’arriver à des solutions qui répondent à cette complexité, contrairement aux négociations classiques qui simplifient peut-être un peu trop et oublient de poser différement le problème " :

Le temps du consensus est terminé

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De cette expérience menée par Sciences Po, outre les propositions inédites du texte et les innovations créées en marge, il restera surtout aux étudiants un fort intérêt pour les questions climatiques. "Après * Copenhague Rewind, beaucoup d'entre nous sont partis dans des entreprises privées ou dans le public pour travailler sur ces questions là et contribuer à faire bouger les choses à notre niveau"* , confie Mathilde Imer. Après Make it work, nombreux sont les étudiants qui n'envisagent plus l'avenir sans s'intéresser à l'environnement. Arnaud et ses comparses veulent, eux, poursuivre leur projet hors-simulation : "Je suis super motivé pour continuer après... Que ça ne serve pas à rien ! "

Les panneaux des différentes délégations
Les panneaux des différentes délégations

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