« Nous sommes aujourd’hui au cœur d’une période dite “de tuilage”. C’est en bonne intelligence avec Rémy Pflimlin qu’elle se déroule. Je ne souhaite interférer dans aucun de ses choix au quotidien. » Pour son premier acte de communication, la nouvelle présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, a envoyé lundi 1er juin un e-mail au comité exécutif. Elle y définit l’entre-deux imaginé par le législateur pour préparer l’arrivée du futur président : nommée le 23 avril par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’ex-dirigeante d’Orange France n’entrera en fonction que le 22 août, cinq mois plus tard.
« Imaginez qu’on ne vous garde pas, mais qu’on vous demande de conseiller votre successeur, qui vous regarde travailler », ironise Eric Vial, syndicaliste Force ouvrière, à propos de M. Pflimlin, qui estime, lui, que le tuilage se passe bien. « Dans d’autres entreprises, il y a une transition : l’ancienne équipe conseille mais la nouvelle est en fonction, raconte un cadre. L’ambiance est un peu surréaliste. On doit continuer à travailler normalement mais des interlocuteurs extérieurs, dans des négociations, jouent sur l’arrivée de la nouvelle équipe. Et on lit des rumeurs dans la presse sur le départ des uns ou l’arrivée d’autres. »
Départ de Thierry Thuillier
Le cas qui a fait couler le plus d’encre est celui de Thierry Thuillier, le directeur de l’information et directeur de France 2, qui a confirmé, lundi, rejoindre Canal+. Il y prendra en main les sports, un secteur stratégique mais aussi une passion.
A en croire nombre d’échos de presse, M. Thuillier était vu comme penchant à droite par certains dans l’exécutif et indésirable de ce fait, à deux ans de la présidentielle. Interrogé, celui-ci a toujours dit que ses relations professionnelles avec l’exécutif étaient bonnes et que les accrochages sur des contenus concernaient tant la majorité que l’opposition. Dans l’entourage de Mme Ernotte, on fait remarquer qu’elle n’a pas décidé de se passer de M. Thuillier, que c’est lui qui a choisi de partir en négociant depuis plusieurs mois avec Canal+.
Pour lui succéder plusieurs noms circulent en interne : Etienne Leenhardt, rédacteur en chef du service enquêtes et reportages de France 2, Yannick Letranchant, directeur de France 3 Nord-Ouest, ou Nathalie Saint-Cricq, chef du service politique de France 2, qui précise ne pas avoir rencontré Mme Ernotte. Hervé Béroud, directeur de la rédaction de la chaîne d’information BFM-TV a été cité par Le Figaro. Par ailleurs, le présentateur du 20 heures de France 2, David Pujadas, a déclaré qu’en cas de départ de M. Thuillier, il se « poserait la question » de son avenir.
Rassurer les salariés
Consciente que les salariés attendent d’être rassurés sur le casting de la nouvelle direction, l’équipe de Mme Ernotte ne pourra pas donner de précisions rapidement : n’étant pas mandataire social, elle ne peut pas en principe négocier d’embauches ou de départs. C’est plutôt à la faveur de départs choisis, comme celui de M. Thuillier, qu’elle pourra donner le nom de remplaçants.
Pour la nouvelle présidente, la résolution du cas Thuillier clarifie l’enjeu de la composition de son équipe, qui doit comporter un directeur de la stratégie et des programmes, mais aussi – selon le projet présenté au CSA – des patrons de chaînes plus forts et autonomes qu’aujourd’hui.
Mme Ernotte consulte largement en interne et en externe et a notamment rencontré Bibiane Godfroid, ex-directrice des programmes de M6. « Ses choix seront scrutés car elle ne connaît pas la télévision. Son équipe importe donc », explique une cadre.
Seconde phase du tuilage
Mme Ernotte veut entrer aujourd’hui dans une seconde phase du tuilage : « Je vous remercie de me remettre, d’ici le vendredi 5 juin, un document écrit portant sur les dossiers sous votre responsabilité, écrit-elle au comité exécutif.
Depuis un mois, la future présidente dispose – comme ses prédécesseurs – de deux bureaux et d’une salle de réunion au Ponant, un immeuble situé à 200 mètres du siège de France Télévisions.
Elle y est entourée de son assistante et de son directeur de cabinet, Stéphane Sitbon-Gomez, ancien bras droit de l’écologiste Cécile Duflot, ainsi que le consultant en stratégie et communication Denis Pingaud, qui reste président de sa société Balises (et conseille également le président de Radio France, Mathieu Gallet).
A la rencontre des dirigeants
Jusqu’ici, Mme Ernotte a rencontré une vingtaine de dirigeants de l’entreprise, par ordre de hiérarchie. « Elle cherchait à faire connaissance, posait surtout des questions et était très à l’écoute », raconte un cadre.
Lors de ces entretiens, la nouvelle présidente s’est montrée ouverte sur son projet remis au CSA, qui en interne avait suscité des inquiétudes parce qu’il faisait de France 2 une chaîne du flux, et de France 3, une chaîne de la création. Les grilles de rentrée ont été faites par l’équipe de M. Pflimlin, qui explique qu’il y aura peu de changements majeurs.
« La constitution des grilles et le tuilage se passent bien parce que nos résultats sont bons, notamment sur France 2, grâce à l’information et la fiction », souligne-t-on dans l’équipe du président sortant. Le 2 juin, une « nouvelle offre numérique » sera annoncée par Bruno Patino, directeur des programmes et du numérique.
M. Pflimlin a donné la consigne d’informer Mme Ernotte des dossiers pouvant engager l’entreprise à moyen terme. Celle-ci a ainsi été consultée sur une négociation de droits sportifs ou sur la pénibilité du travail. Plusieurs discussions de dialogue social se poursuivent en effet, avec l’actuel directeur des ressources humaines Patrice Papet, qui avance un bilan de 650 postes réduits sous le mandat de M. Pflimlin à France Télévisions, « passée sous la barre des 10 000 salariés ».
Côté financier, la régie publicitaire se réjouit d’un très bon premier trimestre, même si depuis, le repli des parrainages à l’antenne entraîne à fin mai un retard de 5 millions d’euros environ sur l’objectif publicitaire de 2015.
Les syndicats en campagne
Pour les syndicats, la période de tuilage n’est pas un long fleuve tranquille. Les élections syndicales qui auront lieu dans quelques semaines au siège ont été l’occasion de tensions, le syndicat minoritaire et franc-tireur SNPCA-CGC ayant insinué que la CGT avait soutenu Mme Ernotte.
Appuyé par FO sur ce point, Marc Chauvelot, délégué de la CGT, a démenti et rappelé que les syndicats avaient reçu pendant la campagne un grand nombre de candidats à la présidence. L’élu préfère insister sur une revendication syndicale de longue date – qu’il souhaite faire traduire dans une charte avant l’été : le recours prioritaire à la production interne plutôt qu’à des sociétés extérieures.
« Ce sera une façon de commencer à discuter avec Mme Ernotte », dit-il, alors que la présidente va rencontrer les organisations syndicales courant juin. Mme Ernotte a également prévu, ce mois, de rencontrer les personnels de France Télévisions.
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