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« Nous espérons que cette affaire ne ternira pas l’image de la Croix-Rouge »

Salariés et bénévoles de l’association française oscillent entre incompréhension et malaise après les révélations du « Parisien » sur les entorses au droit du travail.

Propos recueillis par  (Lyon, correspondant), et  (Marseille, correspondant)

Publié le 02 juin 2015 à 12h33, modifié le 02 juin 2015 à 17h41

Temps de Lecture 5 min.

« Je ne prendrai pas le risque de parler. Adressez-vous à la communication ou à la direction. » Les révélations, dimanche 31 mai, du Parisien sur les entorses au droit du travail à la Croix-Rouge française, le non-paiement d’heures supplémentaires et le risque d’une amende de 2,8 millions d’euros, ont eu un premier effet : réduire au silence la plupart des salariés et des bénévoles, que ce soit à Paris, à Lyon ou encore à Marseille. Il est vrai que consigne avait été donnée par la direction de ne pas parler à la presse.

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« Que la direction confonde bénévolat et salariat, ça, c’est une réalité dans cette entreprise qui manque de transparence », se hasarde un cadre marseillais de la Croix-Rouge française qui préfère conserver l’anonymat. « Les cadres ne sont pas payés pour leurs heures supplémentaires et ont du mal à les récupérer. Il n’est pas rare qu’on nous convoque pour des réunions fixées après nos horaires de travail. Comme au siège, ce serait bien que l’inspection du travail fasse un petit tour chez nous. »

La réalité décrite par Marie (dont le prénom a été modifié à sa demande), employée dans le service d’aide à domicile, tranche avec le renom de l’association. « C’est beau l’image de la Croix-Rouge, mais l’envers du décor ce sont des petits salaires. Ce n’est pas qu’on soit maltraités mais il y a beaucoup de précarité, des salariés qui ont du mal à joindre les deux bouts, à trouver un logement… » Fière malgré tout de travailler à la Croix-Rouge, Marie cite le salaire d’une aide-soignante avec vingt ans d’ancienneté, 1 200 euros pour un trois quart-temps, ou celui d’un brancardier à 1 100 euros en fin de carrière. « On nous dit qu’on est là pour sauver des vies mais cela ne doit pas se faire à n’importe quel prix. »

« Personne ne vous parlera ici ! »

A Paris, devant le siège rue Didot (14e arrondissement), aucun salarié n’accepte de répondre aux questions si ce n’est sous le couvert de l’anonymat. Une jeune femme pressée lance : « Éloignez-vous un peu, personne ne vous parlera ici ! » « Cela fait dix ans que je vis la pression des horaires et du toujours plus, c’est bien que cela sorte au grand jour », témoigne néanmoins une secrétaire. Mais ce sentiment ne fait pas l’unanimité : « Je suis très heureuse de travailler à la Croix-Rouge française où je peux récupérer mes jours », tient à faire savoir une cadre du service juridique. « Les cadres qui se plaignent oublient qu’ils ont 23 jours de RTT par an. Ils peuvent bien faire quelques heures supp’», estiment deux employés. « Les budgets sont en baisse, les demandes en hausse. Notre modèle économique et notre organisation sont bousculés », reconnaît une cadre.

Pour les salariés rhônalpins, cette affaire de défaut de comptage d’heures supplémentaires, est très parisienne. Le siège, où sont traitées les relations internationales, reste un peu à part de la réalité quotidienne de la Croix-Rouge en région. En tout cas, cette affaire ne semble pas devoir affecter les relations sociales des multiples établissements régionaux. « Pour la Croix-Rouge ça fait désordre. Mais franchement on ne se sent pas concernés. Dans les établissements régionaux, il est très peu question d’heures supplémentaires », confie Carmine Colangeli, brancardier, représentant CFDT au centre des Massues à Lyon. Pour lui, le personnel est plutôt vigilant sur la réorganisation globale engagée : « On nous présente un projet d’optimisation, on est dans une période de rigueur dans un secteur de santé ultra-concurrentiel, les partenaires sociaux discutent de ça dans les instances, c’est l’enjeu actuel. »

« Depuis une dizaine d’années nous sommes lancés dans la professionnalisation à grands pas, observe Marie-Catherine Roquette, directrice régionale Rhône-Alpes. L’association est devenue une entreprise, avec ses contrôleurs de gestion, ses pilotages par métiers, qui cherchent à dépoussiérer son image. »

Le choc est parfois violent

Dans la région Rhône-Alpes, la Croix-Rouge est devenue un acteur économique majeur avec près de 4 000 salariés. Elle gère une soixantaine d’établissements sanitaires et un institut de formation. Avec un budget de l’ordre de 150 millions d’euros, la direction Rhône-Alpes représente 12 % de l’activité de la Croix-Rouge française. « C’est une association magnifique, on est mobilisé pour améliorer la qualité de nos missions », juge Mme Roquette.

Chez les bénévoles, c’est l’incompréhension qui domine. Beaucoup refusent de témoigner, renvoyant à la direction de la communication. « Oui, il faut respecter le code du travail mais nous, nous ne comptons pas nos heures », indique Paul, 60 ans, bénévole à Paris depuis longtemps. « Tout ce que nous espérons, c’est que cette affaire ne ternisse pas l’image de l’association et n’entraîne pas une baisse des dons, car leur produit revient aux unités locales », remarque t-il, témoignant du rapport assez distant qu’entretiennent une grande majorité de bénévoles avec la direction.

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Matisse Belusa, qui fut, jusqu’en 2012, président de l’unité locale du 6e arrondissement de Paris, explique :

« La Croix-Rouge française est une énorme organisation. A Paris, nous ne manquons jamais de bras et c’est une aventure humaine incroyable. Mais le choc peut être violent entre les bénévoles, qui s’impliquent énormément, et les instances dirigeantes, qui ne mesurent pas toujours leur travail, n’écoutent pas assez le terrain. Lorsqu’un bénévole a commis une maladresse, elles prennent parfois des sanctions humainement difficiles à vivre »

Un élu du bureau d’une délégation départementale confie :

« Depuis l’arrivée du nouveau président [Jean-Jacques Eledjam] il y a deux ans, nous sentons une gestion assez brutale, avec des instructions que nous ne pouvons pas discuter. Le moindre désaccord est sanctionné  »

« Beaucoup d’exagération »

« La Croix-Rouge ne peut pas se permettre d’un côté d’aider les gens par sa vocation essentielle, et de l’autre de mal se conduire avec ses salariés », réagit Jean-Pierre Vainchtock, président de la délégation départementale du Rhône, qui gère 800 bénévoles, dont 180 secouristes de l’organisme caritatif. Pour les bénévoles, l’affaire du droit du travail écorne bien sûr l’image de l’institution. « Une association à vocation humanitaire doit plus que tout autre respecter les règles du droit du travail », reconnaît bien volontiers M. Vainchtock, tout en relativisant la polémique : « Il y a sans doute beaucoup d’exagération dans la présentation médiatique des choses. »

« Cela n’entache pas l’image de la Croix-Rouge, estime Ludovic Lanzi, responsable des équipes mobiles et maraudes de nuit à Marseille. Il s’agit d’une question de gestion de salariés mais les bénévoles savent pourquoi ils font ce qu’ils font. Ils ont été plus choqués par la récupération de notre logo Samu social sur une affiche du Front national lors des dernières élections départementales. »

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