INTERNATIONAL - C'est sans doute la plus prestigieuse des listes où figurer. 89 intellectuels et responsables politiques ont cet honneur, souvent pour avoir défendu le droit à la souveraineté de l'Ukraine, comme Daniel Cohn-Bendit ou Bernard-Henri Lévy. Certains, comme Bruno Leroux du Parti Socialiste, y figurent peut-être aussi pour avoir demandé une commission d'enquête sur le financement russe du FN.
On y trouve pêle-mêle des députés ou des personnalités belges, lituaniennes, allemandes, suédoises, roumaines, ou polonaises... Logiquement assez fières de figurer sur cette liste et en même temps assez scandalisées de se voir interdits de séjour pour avoir critiqué le Kremlin. Le document envoyé par Moscou à ses ambassades n'était pas censé fuiter. Il est loin de recouvrir l'ensemble des personnes à qui la Russie refuse un visa. Un photgraphe rencontré à Zagreb me confiait récemment s'être vu refusé l'entrée sur le territoire russe, simplement parce qu'il a couvert le conflit en Ukraine.
Le pire de l'URSS et du nationalisme
Bien sûr, avec l'art de la propagande qu'on lui connaît, le régime russe explique que cette liste ne fait que répondre à la liste des sanctions occidentales. Il aura quand même du mal à convaincre qu'on puisse mettre sur le même plan des sanctions visant, d'un côté, les supplétifs d'un régime armant des séparatistes et des criminels... Et de l'autre, des démocrates dont le seul crime est de ne pas être d'accord avec la politique de Vladimir Poutine.
Cette liste confirme la fébrilité d'un régime revenu à ses démons totalitaires. Pas plus tard que la semaine dernière, à peu près au moment où Marine Le Pen rendait visite au chef de la Douma, le président russe a promulgué une loi permettant de fermer n'importe quelle ONG jugé "indésirable". Il suffira de l'accuser d'être un "agent de l'étranger". Comme au bon vieux temps de l'URSS.
Cette régression des libertés en Russie est flagrante. Pourtant, le sujet reste très clivant en Europe et même en France. C'est que la Russie de Poutine fascine et séduit, parfois intellectuellement, parfois plus matériellement.
L'inquiétude envers cette séduction, et ce lobbying, est encore réservée à quelques cercles avertis. Elle n'a pas gagné le grand public. Mais si la crise dure en Ukraine, si le cessez-le-feu -- déjà cent fois violé -- redevient un conflit ouvert, par exemple cet été, ce clivage pourrait peser davantage dans nos débats voire déchirer certaines familles politiques en Europe.
"Crise de russophilie aiguë" à droite
Alain Juppé a récemment mis le sujet sur la table en dénonçant "un accès de russophilie aiguë" au sein de l'UMP, dit Républicains. Une pique qui vise clairement Nicolas Sarkozy et François Fillon. Cette passion déraisonnable s'étend à tous les courants catholiques conservateurs européens : de plus en plus soutenus par la Russie orthodoxe. Elle va même au-delà. De l'extrême droite sous influence jusqu'à la gauche radicale, qui croit rejouer la guerre froide en soutenant un ultra-nationaliste impérialiste.
Sur l'échiquier français, c'est encore la gauche gouvernementale qui s'en sort le plus honorablement. François Hollande a été impeccable dans son soutien au président ukrainien. Son ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, fait de son mieux pour ne pas livrer des Mistral à la Russie. Malgré un contrat très contraignant signé avec les russes par Nicolas Sarkozy et François Fillon.
Mais la droite française n'est la pas la seule à succomber aux sirènes de Moscou.
Le cas troublant du président des socialistes européens
L'Europe est un espace compliqué, où les intérêts nationaux priment souvent sur les idéaux. Serait-ce le cas du président du Parti socialiste européen, qui réunit les partis sociaux-démocrates siégeant au parlement : Sergueï Stanichev ? Il est opposé aux sanctions contre la Russie.
Ce n'est pas si surprenant quand on sait qu'il est la tête du parti socialiste Bulgare. Un pays terriblement dépendant du pétrôle et du gaz russe.
Aucun homme politique bulgare, de droite comme de gauche, ne souhaite contrarier GazProm et le Kremlin. Mais en prime, Sergueï Stanichev vient d'une famille russophile. Lui-même est né en Ukraine, du temps de l'Union soviétique, mais a fait ses études et ses premiers pas politiques à Moscou, dont il relaie parfois la propagande. L'un de ses bras droit soutient ouvertement le projet impérialiste d'une Union eurasiatique voulue par Poutine.
Le président du PSE lui-même réduit volontiers l'Ukraine au parti d'extrême droite "Secteur Droit", dont le candidat a fait moins de 1% aux élections présidentielles ukrainiennes. Lors des commémorations du 9 mai, il lui arrive aussi de dénoncer la menace fasciste en compagnie de nostalgiques de l'URSS brandissant le portrait de Staline.
Sa vigilance antifasciste est pourtant loin d'être acquise. En 2013, son propre parti a fait alliance avec une petit parti fasciste Bulgare, ouvertement raciste et antisémite. Ses amis du Parti socialiste européen s'en sont émus, sans le pousser à démissionner, comme le demandaient des ONG Bulgares.
En l'absence d'une vraie candidature alternative, ils s'apprêtent même à le réélire le 12 juin prochain à la tête du PSE. À moins que les socialistes européens ne se réveillent -- à temps -- et ne se rappellent qu'on ne peut pas vendre le rêve européen à ses pires ennemis, à force de dormir.